Femmes entrepreneures : quels défis doivent-elles surmonter ?
Entre l'inégal partage des tâches domestiques, la gestion familiale, les stéréotypes de genre... Les dirigeantes de PME-ETI font face à de nombreuses difficultés que ne rencontrent pas leurs homologues masculins.
Je m'abonneSeules 12% des PME-ETI sont dirigées par des femmes. Pourtant, les femmes dirigeantes d'entreprise ne rencontrent pas plus de difficultés que les hommes pour accéder au financement, selon Bpifrance Le Lab. Au fil des années, les femmes ont par ailleurs investi des secteurs auparavant très masculins, tels que le droit ou la médecine. Mais alors, comment se fait-il que si peu de femmes se lancent dans la création ou bien la reprise de PME-ETI ?
Entrepreneuriat féminin : de nombreux freins sociaux entravent son développement
Bpifrance Le Lab, le laboratoire d'idées pour les PME-ETI de la banque publique d'investissement, a publié en décembre 2022 une enquête sur les différences entre hommes et femmes entrepreneur(e)s. Menée en partenariat avec le premier réseau français de Femmes Cheffes d'entreprise, FCE France, celle-ci explore notamment les difficultés spécifiques que rencontrent les dirigeantes d'entreprise dans le cadre de leur activité. Il en ressort que les freins empêchant la progression de l'entrepreneuriat féminin sont avant tout sociaux.
Hommes et femmes entrepreneur(e)s : un partage des tâches domestiques toujours inégal
Toutes les études menées sur le sujet convergent : au sein d'un couple, le partage des tâches domestiques et familiales demeure très inégal. Ce constat concerne autant les femmes salariées que les dirigeantes de PME-ETI, et s'applique aussi aux couples au sein desquels les femmes occupent une fonction professionnelle plus favorable que leur conjoint.
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Afin de mesurer l'ampleur de ce phénomène, Bpifrance Le Lab a enquêté auprès de 417 dirigeantes et 743 dirigeants de PME-ETI. Une fois de plus, le constat est sans appel : les femmes consacrent majoritairement plus de temps aux tâches domestiques et familiales que leur conjoint.
Ainsi, alors que 37% des dirigeantes d'entreprise interrogées par la banque publique affirment que leur conjoint ne s'occupe pas de la gestion familiale (éducation des enfants, tâches ménagères, planification des vacances...), cette proportion tombe à 14% pour les dirigeants. Une différence importante qui explique pourquoi 58% des cheffes d'entreprise estiment qu'il est difficile de concilier vie professionnelle et vie personnelle, contre seulement 47% de leurs homologues masculins.
Un écart qui s'accroît avec le nombre d'enfants
Certes, pour la majorité des dirigeant(e)s de PME-ETI en couple, les conjoints ont un rôle de soutien non négligeable. Ils cernent bien les enjeux liés à la fonction de chef(fe) d'entreprise et s'adaptent généralement aux contraintes professionnelles inhérentes à ce poste. Néanmoins, les femmes demeurent largement moins aidées que les hommes dans la gestion familiale, et surtout, cet écart augmente avec le nombre d'enfants : plus un couple a d'enfants, plus la femme consacre de temps aux tâches domestiques et familiales.
Les femmes reçoivent des prescriptions sociales qui peuvent entrer en contradiction : s'investir dans les études, dans le travail. Mais dans le même temps, à partir d'un certain âge on attend d'elles qu'elles prennent en charge le foyer et les enfants. Il y a différentes manières de traduire ces assignations et ces prescriptions sociales mais, très souvent, cela les conduit à devoir renoncer à certaines choses. - Frédérique Debout, maîtresse de conférences en psychodynamique du travail, Conservatoire National des Arts et Métiers
L'enquête de Bpifrance Le Lab aboutit au constat suivant : tandis que 63% des dirigeantes de PME-ETI ayant un enfant déclarent avoir un conjoint qui s'occupe de la gestion familiale, cette proportion est de 77% pour les dirigeants ayant un enfant. Parmi les dirigeantes ayant 2 enfants, 61% s'estiment aidées par leur conjoint dans la gestion familiale, contre 88% des dirigeants père de 2 enfants. Quant aux dirigeantes ayant 4 enfants, si elles sont 64% à se faire aider par leur conjoint, c'est le cas de 92% des dirigeants ayant 4 enfants.
Femmes entrepreneures : comment faire face aux discriminations ?
On le sait, de nombreuses femmes sont victimes de discriminations liées à leur genre au travail. Un triste constat auquel n'échappent pas les dirigeantes de PME-ETI. Malgré leur poste à hautes responsabilités, nombre d'entre elles ne sont pas prises au sérieux, et sans cesse ramenées à leur genre. Sur ce point, les mentalités peinent à évoluer.
Des stéréotypes de genre tenaces
La majorité des cheffes d'entreprise récusent les stéréotypes liés à leur genre. Elles affirment en effet comme les égales des dirigeants, tant en termes de prise de risque, que d'accès au financement, ou encore sur le rapport à la croissance et à l'ambition. Pour la plupart des dirigeantes de PME-ETI, les différences sexuées constituent une fiction en matière entrepreneuriale et ne peuvent certainement pas légitimer un traitement inégal induit par le genre. Malheureusement, pour de nombreuses femmes dirigeantes, ces discriminations font partie intégrante du quotidien... De nombreux témoignages récoltés par Bpifrance Le Lab vont dans ce sens :
Il ne se passe pas une semaine sans qu'un commercial ne débarque et me dise « Il est où le patron ? ». « C'est moi ». « Ah ! Il faudrait que vous alliez chercher votre mari parce qu'on va parler de choses techniques ». - Dirigeante anonyme d'une PME de 14 salariés (Industrie)
Aux rendez-vous clients ou fournisseurs, auxquels mon frère [co-dirigeant] et moi sommes présents, on ne s'adresse qu'à mon frère. Cette situation je l'ai vécue assez régulièrement. - Nathaly Lebargy, dirigeante de Le Fruitier, 35 salariés (Tourisme)
Les mentalités évoluent... lentement
Heureusement, la prise de conscience collective concernant les inégalités femmes-hommes, largement relayée par les médias et soutenue par les politiques publiques, laisse planer l'espoir d'un changement de paradigme à la faveur d'un renouvellement des générations actrices sur le marché du travail. Néanmoins, les évolutions peinent à se faire sentir dans l'immédiat...
Pour l'heure, les dirigeantes ont tout intérêt à s'affirmer et à ne laisser quiconque les prendre de haut du fait de leur genre. Elles peuvent très bien retourner le stigmate et renvoyer leurs interlocuteurs à leurs préjugés sexistes : "Pourquoi, Monsieur, pensez-vous que mon collègue dirige cette société ?"
Oui je suis douce, oui je suis gentille. Mais, à la fois, je suis puissante, je suis tenace, je suis résiliente. Ce n'est pas « OU » mais c'est « ET». - Anne Désir, dirigeante de ABCD Optique, 100 salariés (Commerce)