Bachar Kouatly : grand maître en stratégie(s)
C'est le succès d'une série sur une plateforme vidéo qui a remis en lumière ce jeu millénaire. Pour Bachar Kouatly, les échecs s'inscrivent dans un ADN universel. Il s'agit d'une pratique intense et fascinante qui permet de comprendre et maîtriser des enjeux, tant sur un échiquier que dans la vie.
Je m'abonneFort d'un incontestable don d'adaptabilité, un grand maître international d'échecs peut posséder les qualités requises de tout bon entrepreneur. Bachar Kouatly est de ceux-là.
Pour le comprendre, faisons un retour dans le temps: à peine majeur, le natif de Damas devient, lors des qualifications au championnat du monde de Téhéran de 1975, le plus jeune maître international de l'histoire. Deux ans seulement après sa participation à un tournoi interscolaire à Beyrouth... C'est dire si le destin du jeune joueur ne pouvait être que hors du commun. "Cette passion m'a permis d'avoir deux vies: dans les échecs au plus haut niveau et dans ma vie professionnelle dans les domaines que j'aimais. J'ai eu la chance de faire ce que j'appréciais. J'ai conscience que c'est un luxe", affirme-t-il.
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Passion et excellence
S'il comprend bien assez tôt que les échecs façonneront sa vie, Bachar Kouatly suit la volonté de ses parents qui l'incitent à poursuivre ses études. Un cursus qui le conduit à l'Institut d'Études Politiques de Grenoble où, sans surprise, le jeu occupe toujours une place. Au point de devenir champion de France en 1979.
De compétition en compétition, il devient grand maître en seulement 10 ans, et même le premier grand maître français après François-André Danican, dit Philidor. Ce dernier, au 18e siècle, était reconnu comme le meilleur joueur au monde. Rien que cela.
Qu'espérer de plus, une fois atteinte cette marche ? C'est finalement assez simple. Pour Bashar Kouatly, il est essentiellement question de passion ou, du moins, d'avoir à coeur ce que l'on fait. L'occasion pour lui de raconter une conversation avec son fils, alors que celui-ci patinait dans ses études : "24 heures se découpent en trois temps: 8 heures pour le travail, 8 heures pour dormir, 8 heures pour le reste. Faire quelque chose que l'on n'aime pas revient à passer un tiers de sa vie insatisfait, voire névrosé, tel un esclave de la production. En revanche, faire ce que l'on aime épanouit, crée des cercles vertueux autour de soi et donne le pouvoir de dire non, développe-t-il. Et il n'est là pas seulement question de réussite matérielle. Bill Gates ou Steve Jobs sont des exemples. Mais un apiculteur peut l'être aussi."
La marche du monde
À cet état d'esprit, s'ajoutent une réelle prise avec les éléments et une capacité à s'y adapter pour mieux regarder devant soi. "Les grands matchs d'échecs ont souvent cristallisé les enjeux stratégiques planétaires en cours", déclare Bachar Kouatly. Ainsi, en 1990, il organise le championnat du monde, marqué par le match Karpov-Kasparov, auquel participent 900 journalistes et qui fait l'objet de 17 émissions en direct sur TF1.
L'histoire du monde vit en effet un tournant décisif suite à la chute du mur de Berlin et la fin de l'ère soviétique. Nous assistons alors à l'émergence d'un nouveau monde. Pour le joueur d'échecs, cela fait écho : "Le confort est le propre de la nature humaine, car les repères rassurent. Mais le monde bouge, comme une partie d'échecs est toujours en mouvement. La situation évolue en permanence dans un laps de temps assez court. L'adaptabilité fait partie de l'ADN du joueur d'échecs." Et de citer Nelson Mandela : "Dans la vie, je gagne ou j'apprends. La défaite est un apprentissage, c'est grandir."
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Aussi, à partir de 1995 et sa nomination au poste de président délégué de la Fédération française des échecs - pour laquelle il visite 37 pays en trois mois -, le grand maître fait ses armes dans différents secteurs professionnels. De l'entreprise de matériel électrique de son père en Syrie à la gestion de portefeuilles sur les marchés financiers, en passant notamment par les débuts d'internet et la direction du magazine Europe Échecs, chaque terrain est l'occasion de mettre à profit ses compétences.
"L'important est la prise de décisions. Dans une partie d'échecs, 40 coups équivalent à 40 décisions. Sur les marchés, les choses changent bougent en permanence et vous devez prendre sans cesse des décisions." Et de revenir sur la notion d'apprentissage et de connaissance de soi : "Prendre des décisions signifie aussi commettre des erreurs. Dans "Psychologie de la bataille", nous étions arrivés à la conclusion suivante : dans la vie, on ne sait pas où l'on va. Le prétendre est très prétentieux ou dénote un manque de compréhension de l'existence. En revanche, savoir où l'on ne veut pas être ou ce que l'on ne veut pas faire permet de gagner beaucoup de temps et d'avancer."
L'art du tempo
Bachar Kouatly croit fermement aux bénéfices du jeu pour les plus jeunes : "Cela permet de développer la réflexion, l'anticipation, la maîtrise de soi dans la vie pour l'appréhender le mieux possible." Même crédit pour les dirigeants d'entreprise. Celui qui donne des conférences partout dans le monde connaît les enjeux. "Ce qui est commun à toutes les entreprises, ce sont les temps : législatif, financier, commercial, relations humaines... Il faut parvenir à les conjuguer et à maîtriser ce tempo - comme on dit aux échecs - pour atteindre les objectifs." Même combat pour la prise de décision : "Dans tout projet, il faut se questionner : quid des complications ? Faut-il emprunter ou investir ? etc. Et, comme aux échecs, si tout n'est pas anticipé, la partie est perdue."
Pour ce qui concerne les incertitudes de notre époque, Bachar Kouatly se veut mobilisateur. "Il faut réfléchir au monde tel qu'il est et sera, pas tel qu'il a été. Si l'on ne s'adapte pas, on disparaît. Cette pandémie est une période d'opportunités extraordinaire. Charge aux entreprises d'innover pour recréer de l'emploi et un dynamisme économique." De quoi avancer un pion décisif.