Levée de fonds: les clés d'une bonne négociation
La levée de fonds, une étape difficile à vivre sereinement ? De la préparation en amont aux discussions sur les points-clés du partenariat, voici les éléments à retenir pour retirer les meilleures conditions pour faire fructifier votre entreprise.
Je m'abonne200 millions de dollars, 100 millions d'euros et 33 millions d'euros. Ce sont les montant des trois plus grosses levées de fonds de 2015, respectivement réalisées par BlaBlaCar, Sigfox et Vestiaire Collective. Comme eux, nombre d'entrepreneurs se lancent, chaque jour, en quête d'investisseurs, business angels, fonds de capital-risque ou de capital-investissement. Dans cette démarche, la bonne tenue des négociations détermine les conditions futures de la pérennité de leur entreprise. Et elles se jouent dès les prémices du projet.
Une préparation en amont
Avec pour premier commandement de prendre son temps. "Vous devez anticiper un maximum pour ne pas apparaître pressé de rassembler des fonds. Car cela met le financier en position de force et vous de faiblesse", alerte Christian Fleuret, expert-comptable et président de Finarea, réseau spécialisé dans l'investissement dans les TPE. Dès le montage de votre dossier, définissez très précisément ce que vous souhaitez entreprendre, ainsi que le montant précis de vos besoins. "Il n'y a rien de pire, pour un investisseur, que d'avoir une demande imprécise, infondée, délirante ou fantaisiste. Si le premier pas est mal assuré, il n'y en a, en général, pas de second", ajoute Christian Fleuret.
Une fois votre projet arrêté, il vous reste encore à identifier en amont les fonds d'investissement susceptibles d'être intéressés par votre activité. "Il ne faut pas solliciter la terre entière, cela vous fera perdre de l'argent et de la crédibilité à votre dossier. A contrario, cibler vos interlocuteurs vous donne plus de poids face à eux", insiste l'expert-comptable.
Road show et term sheet
Vous pouvez désormais entamer votre road show et partir à la rencontre des investisseurs de votre choix. Ici, le challenge consiste à tout gérer en même temps. Vos premiers rendez-vous ainsi que vos due diligences - vérifications des acquéreurs sur la situation de l'entreprise - doivent être menés de front avec tous les fonds sollicités. Pourquoi ? Pour disposer de leurs propositions finales de financement - lettres d'intention - dans les mêmes délais.
"Le premier critère d'une négociation bien menée, c'est qu'il y ait des concurrents, souligne Audrey Soussan, analyste IT du fond de capital-risque Ventech. Si plusieurs sont intéressés, les investisseurs sont moins difficiles, l'entrepreneur est en position de force, il peut comparer leurs offres respectives, et c'est là qu'il ose négocier les termes du partenariat." Car c'est dans ces lettres d'intention, ou " term sheets " , que les fonds décrivent les modalités de liquidités et de gouvernance qui accompagneront leur entrée au capital.
La valorisation et l'art du compromis
Valorisation de l'entreprise, montant et nature de l'investissement, ouverture du comité d'administration, modalités de vote des décisions, de départ ou d'entrée... Autant de questions auxquelles répond ce document, et sur lesquelles les intérêts des deux parties diffèrent. "Le fondateur craint de perdre le contrôle de sa société, et d'être trop dilué. Le financier, lui, veut assurer que son investissement soit liquide", souligne Audrey Soussan.
L'entrepreneur essaiera donc de faire monter au maximum la valorisation de son entreprise afin que la part de capital cédée pour rassembler les fonds soit la plus petite possible. En partant d'un chiffre de base, estimé en fonction de la rentabilité, de la maturité et du secteur d'activité de l'entreprise, entrepreneur et financier négocient au regard de la concurrence et des objectifs de dilution.
Protégez votre gouvernance
"De même, côté gouvernance, il doit faire attention à ne pas se retrouver sur un siège facilement éjectable si les événements sont défavorables à la santé de l'entreprise", avise Christian Fleuret. Les investisseurs eux, en misant autant sur votre structure que sur vous, souhaiteront s'assurer que vous resterez à sa tête, au moins à moyen terme. Ils intégreront donc des clauses de "bad leaver" , stipulant des sanctions financières en cas de départ en deçà des délais prévus.
Mais là encore, vous pouvez en contrepartie, négocier une clause de "good leaver". Elle prévoira, en cas de fidélité ou de bons résultats, une relution qui prendra, par exemple, la forme d'un accroissement du bénéfice par action ou par l'augmentation du pouvoir actionnarial détenu par vos actions.
"Dans tous les cas, montrez-vous comme un associé potentiel, en instaurant déjà les bases d'une bonne relation de travail, rappelle Christian Fleuret. Ne tirez donc pas trop la couverture à vous." À ce stade, la majeure partie des négociations a été menée. La rédaction du pacte d'actionnaire, se basant sur la term sheet, ne consiste en général qu'à préciser les détails des aspects négociés en amont. "Quand on arrive à la rédaction du pacte, financeurs et dirigeants ne sont plus les uns contre les autres, car c'est qu'il y a eu un choix mutuel, souligne Audrey Soussan. L'idée c'est quand même de créer une équipe !"
3 clauses que vos investisseurs risquent d'exiger
Exclusivité
En acceptant cette clause, vous vous engagez à vous consacrer pleinement à vos fonctions dans votre entreprise. Vous ne pourrez, par ailleurs, détenir de participations dans une société tierce au-delà d'un pourcentage conclu dans l'accord, à l'exception de celles déclarées à vos investisseurs avant leur entrée au capital.
Confidentialité
Tous documents ou informations concernant votre entreprise, son activité, ses produits, ses clients, sa stratégie, son développement ou sa situation financière sont considérées comme strictement confidentiels. Vous, ainsi que vos investisseurs, acceptez de ne pas les divulguer, sauf accord préalable des mandataires sociaux, ou exigence régalienne.
Assurance homme-clé
Vous n'êtes pas assuré Homme-clé ? Vos investisseurs peuvent l'exiger afin de protéger l'entreprise et ses dirigeants en cas d'incapacité ou de décès du fondateur.
Le témoignage d'Antoine Le Conte, président de Stardust Media and Communication
"La négociation n'est pas une guéguerre"
En juin dernier, la start-up Cheerz boucle sa première levée de fonds d'envergure. Elle récolte 6M€ auprès des investisseurs Serena Capital et A Plus Finace, et de business Angels comme Xavier Niel ou Jean-David Blanc, le fondateur d'Allociné. Pourtant, lorsque son fondateur, Antoine Le Conte, décide de lever des fonds en novembre 2014 pour étendre en Europe son application mobile d'impression de photos, il mise sur 1 à 2M€. "Notre idée était d'en faire une, puis une deuxième après un an pour augmenter notre valorisation entre temps", confie Antoine Le Conte, son fondateur. Fin janvier 2015, il s'accompagne d'un leveur de fonds, Chausson finance, débute son road show, sollicite une vingtaine de fonds et revoit ses ambitions à 2,5M€. Après le premier tour, huit fonds sont intéressés, puis trois à l'étape suivante. Ce sera Serena Capital. Ils conviennent avec eux de la possibilité d'aller chercher, en plus, de la smart money auprès d'investisseurs particuliers. Puis, si le montant de la levée est tout de suite validé par les deux parties - 6M€ au final -, les fondateurs font entendre leur voix dans les négociations. "Ça s'est fait en bonne intelligence, ce n'est pas une guéguerre, assure Antoine Le Conte. Mais nous avons défendu notre stratégie et notre ambition pour augmenter la valorisation de l'entreprise et diminuer notre dilution." Par ailleurs, le fondateur a obtenu, pour ses salariés, une enveloppe en BSPCE.
Fiche repères: Stardust Media and Communication/ Nom commercial: Cheerz/ Application mobile d'impression de photo/ Paris (IVe)/Antoine Le Conte, 30 ans/SAS/Création en 2011/42 sal./ CAp2015 12M€/ @CheerzTo