La fin des managers ?

En mars 2029, quand le PDG de Novacorp annonça la suppression des 48 middle managers pour les remplacer par une intelligence artificielle. L'entreprise risquait gros. Certains parlèrent de folie. D'autres, de génie.
Je m'abonneLa transition fut brutale. En une semaine, les bureaux des managers se sont vidés. Aucun pots de départ officiel, pas de discours larmoyants. Juste une annonce vidéo postée sur le réseau interne mettant fin à des semaines de suspens.
À leur place ? LUMA, pour « Leadership Unifié de Management Autonome » une intelligence artificielle de management décentralisée, fonctionnant 24h/24, ouverte à chaque employé via une interface conversationnelle. Elle analysait tout sans jugement dans une optique d'amélioration continue en temps réel : mails, réunions, performances, plannings, objectifs, états d'âme détectés dans les messages, c'était l'assistant et le coach virtuel parfait.
Le grand malentendu du management
Les années 2000 avaient consacré le rôle du manager comme élément clé de la motivation des équipes. Conférences, formations, best-sellers prônaient l'idée que l'humain était la clé pour inspirer, encadrer, aligner.
Mais après deux décennies prônant la bienveillance absolue non seulement cela n'avait pas fonctionné, mais ce système coûtait cher et réduisait la productivité.
Les middle managers s'étaient multipliés. Plus il y avait de managers, plus il y avait de réunions, de temps perdu, de politiques et de retards dans la prise de décision éloignant l'entreprise de sa mission : fabriquer ses produits et servir les clients.
Des strates entières d'organigrammes devenaient des freins à la croissance. Des intermédiaires qui ne créaient aucune valeur, mais qui devaient justifier de leurs fonctions. L'illusion s'effondra quand Be a Boss publia une première étude révélant que la productivité était inversement proportionnelle au nombre de niveaux hiérarchiques.
Alors, quand Novacorp appuya sur le bouton "reset" en virant tous ses middle managers, le choc fut rude... mais bref.
La révélation
Au début, les équipes furent sceptiques. Mais très vite, le doute laissa place à un soulagement collectif. Plus de réunions interminables, plus de mails laissés sans réponse pendant des jours, plus de blocages absurdes pour "valider" un fichier. LUMA prenait des décisions rationnelles en quelques secondes, appuyées sur des milliards de données et des analyses prédictives. Et surtout, fini le management toxique.
- "LUMA, j'ai un problème avec un client mécontent, comment je gère ?"
- "Analyse du dossier ... Il semble que ce client réagisse fortement aux arguments chiffrés. Propose-lui une réduction de 4 %, augmentée par une amélioration de son ROI de 5%. Probabilité de succès : 92 %. Voici le détail des calculs..."
- "LUMA, je suis en retard sur mon projet, mon équipe a du mal à suivre."
- "J'ai analysé les pics de productivité de ton équipe. Prévois une réunion flash entre 10h et 10h30 demain, c'est le moment où leur concentration est optimale. Réallocation de tâches en cours pour équilibrer la charge de travail selon le plan suivant..."
Les employés découvrirent un management parfait. Adaptatif, ultra-compétent, jamais injuste. Plus besoin de convaincre un manager borné ou de subir des décisions absurdes.
- "LUMA, j'ai un coup de mou, je me sens dépassé."
- "Ta charge de travail est effectivement de 117%, je vais réaffecter le projet Chronos à Mélanie. Si tu n'y a pas pensé prends un café avec elle pour la remercier. Il te reste 11 jours de congés, il fera beau vendredi, profite en pour finir tes travaux chez toi. Tu le mérites"
LUMA comprenait tout, s'adaptait à chacun, répondait immédiatement. Pas d'ego, pas de frustration, pas de politique interne.
La fin des managers
Après un an d'utilisation, un sondage interne révéla un taux de satisfaction de 98 %, une baisse de 28% des arrêts de travail et une productivité de +19%, sans aucun départ volontaire. Les décisions étaient plus rapides, plus justes, 100% harmonisées, plus rentables et la communication directe avec le top management s'était améliorée. L'entreprise est passée à la semaine de 4 jours sans pertes de salaire.
Le marché regarda Novacorp avec stupeur. Puis admiration. Très vite, d'autres entreprises imitèrent le modèle. 87% des managers humains disparurent progressivement du paysage professionnel, remplacés par des clones du Leadership Unifié de Management Autonome. L'histoire dit qu'ils sont eux aussi plus heureux dans leurs nouvelles fonctions.
Lors de l'Assemblée Générale de juin 2030, la direction interrogea LUMA. « LUMA, que peut-on améliorer de plus l'année prochaine ? ». La réponse fut sans appel. « Recommandation stratégique : suppression de certains postes exécutifs. Seuls les leaders et les visionnaires sont maintenant nécessaire. Voici la liste des personnes non utiles. Economie 750 000€ ». C'était l'avènement de l'entreprise du 21ème siècle.
Vincent Caltabellotta est entrepreneur, auteur et conférencier spécialiste de l'avenir des entreprises et du commerce.
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