Tessa Melkonian (emlyon) : " Les commerciaux ne veulent plus devenir managers ! "
Tessa Melkonian, professeur et chercheuse à l'emlyon, consacre sa carrière, notamment, au management au sein des entreprises. C'est à travers son travail de recherche qu'elle remarque un fait inquiétant : les collaborateurs ne sont plus intéressés à évoluer vers le métier de manager !
Je m'abonneComment êtes-vous arrivée au constat d'un désamour pour la fonction managériale ?
Déjà en 2010, nous avions mené une enquête en partenariat avec le cabinet de conseil en management Hommes & Performance auprès des entreprises du CAC 40. Les résultats montraient que les collaborateurs s'apprêtant à devenir managers étaient peu accompagnés, et qu'ils prenaient leurs nouvelles fonctions plus par obligation que par vocation...
Mes recherches actuelles, auprès d'entreprises de toutes tailles et de tous secteurs confirment encore cette tendance : nous assistons au désamour de la fonction managériale.
Le métier de manager a toujours été difficile. Pourquoi un rejet de cette fonction aujourd'hui plus qu'avant ?
Parce que le contexte a beaucoup changé. À la fin du XXe siècle, devenir manager était synonyme de tremplin professionnel, d'évolution positive de carrière, avec à la clé une belle augmentation salariale et un gravissement des échelons hiérarchiques.
Aujourd'hui, devenir manager n'ouvre pas toutes ces perspectives, loin de là... Les crises économiques successives et la tension économique que connaît notre pays ne permettent plus aux directions d'entreprises d'offrir ces avantages. En parallèle, les managers ne peuvent plus répondre aux trois leviers de motivation classique du XXe siècle de leurs collaborateurs que sont la sécurité de l'emploi, l'évolution de salaire et de carrière.
En résulte une insatisfaction globale plus grande. Enfin, avec l'aplatissement des organisations, désormais moins hiérarchiques, les équipes à encadrer sont plus larges, et donc cela accroît la difficulté du meneur d'équipe. Pour toutes ces raisons, les managers connaissent un niveau de stress élevé.
Votre analyse concerne-t-elle également les managers commerciaux ?
Absolument, et je dirais même qu'ils sont particulièrement concernés. Parce qu'un commercial est rémunéré en partie au variable, il peut gagner beaucoup s'il surperforme. En prenant un poste de manager, les commerciaux ne sont pas certains de gagner autant (il n'est d'ailleurs pas rare de voir certains vendeurs percevoir une rémunération plus élevée que celle de leurs managers).
Par ailleurs, les commerciaux sont généralement assez autonomes dans l'exercice de leur fonction. Leur rôle a évolué ces dernières années, s'orientant vers l'écoute client, la co-construction des offres, etc., qui les place déjà dans une situation de forte autonomie et d'importantes responsabilités. En devenant manager commercial, ces libertés peuvent être amoindries...
Quelle serait la parade pour engager les commerciaux vers la voie managériale ?
Le système de rémunération des managers commerciaux doit être adapté à leur fonction, et la part variable liée à des objectifs d'ordre managérial. Si le rôle du manager commercial d'hier était de vérifier le taux de visite, le taux de transformation, ce n'est plus vraiment le cas aujourd'hui, du fait de l'autonomie croissante des commerciaux. Désormais, la principale fonction du manager commercial est de susciter l'engagement et la loyauté de ses forces de vente.
Lire aussi : La Minute Du Boss : Managers : comment être à l'écoute de ses équipes et préparer l'entretien annuel ?
Mais il ne s'agit pas uniquement de valoriser la fonction de manager commercial par la rémunération. Une valorisation humaine est tout aussi importante. Les parcours de carrière doivent être plus cohérents. Les postes de manager ne doivent pas systématiquement être laissés aux meilleurs vendeurs, mais à ceux qui en ont l'envie et qui souhaitent se former à ce métier. Ce qui éviterait de voir des managers accepter leur nouveau poste presque par contrainte, par peur de dire non...
Enfin, je pense qu'il faudrait exposer les commerciaux à des situations managériales le plus tôt possible. Cela permet de jauger leur envie, de leur donner un avant-goût de management pour leur permettre de savoir s'ils veulent ou non poursuivre dans cette voie.
Pourrait-on parvenir à un monde sans manager ?
Non, je n'y crois pas. L'entreprise et les organisations auront toujours besoin d'encadrement humain. Car même si l'on se dirige vers plus d'autonomie (et c'est souhaitable), la dimension de feedback est très importante. On ne peut pas uniquement se reposer sur du " peer coaching ", c'est-à-dire du coaching entre pairs. Autrement, comment savoir si l'on fait du bon travail et que l'on avance dans la bonne direction ?
De la difficulté de manager en 2018...
Comment se traduit, en chiffres, la complexité de manager ? Tout d'abord, notons que seuls 25 % des managers des grandes entreprises (+ de 500 salariés) déclarent savoir prendre des décisions, contre 37 % pour les petites structures (moins de 10 salariés). De manière générale, certaines mauvaises pratiques restent malheureusement de mise. Ainsi, 38 % des managers tendent à dissimuler les difficultés managériales, tandis que 34 % rejettent la difficulté sur leurs équipes et, pour autant, ne savent pas prendre de décisions courageuses.
Côté salariés, le portrait n'est guère plus glorieux. Alors que 42 % des collaborateurs estiment que leurs managers ne savent pas motiver leurs équipes, 39 % d'entre eux attendent de leur manager une position de coach. Voilà qui est dit !
Source : Étude MPI Executive/Ifop 2018
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