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Alexandre Gérard, président de Inov'On : "Ceux sur le terrain savent mieux que les autres ce qu'il convient de faire"

Publié par Stéphanie MOGE-MASSON le - mis à jour à
Alexandre Gérard, président de Inov'On : 'Ceux sur le terrain savent mieux que les autres ce qu'il convient de faire'

Alexandre Gérard a eu deux vies. La première est celle d'un patron comme les autres, qui croyait à la hiérarchie et au contrôle. Elle s'est soldée par un échec. Alors, l'homme a fait sa mue et s'est donné une seconde vie de dirigeant... Libéré.

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Actionc Co : Vous avez cru au management hiérarchique, à la motivation par la carotte, au contrôle. Aux antipodes de cela, vous êtes, aujourd'hui, un fervent défenseur de l'entreprise libérée. Qu'est-ce qui vous a fait adopter cette nouvelle philosophie ?

Alexandre Gérard : J'ai d'abord été un dirigeant comme tant d'autres. Pendant quinze ans, j'ai martelé que "la confiance n'exclut pas le contrôle". J'ai appris, depuis, que cette maxime était de Lénine ! Ma boîte se développait bien. Nous étions en forte croissance, nous embauchions, nous partions à la conquête de marchés internationaux. Et puis, en 2009, alors que Chrono Flex employait 300 personnes, j'ai dû faire face à une terrible crise.

En un an, le chiffre d'affaires de la société s'est effondré de 34 %. J'ai été contraint de supprimer des emplois, de me séparer de personnes qui avaient participé aux tout débuts de cette aventure entrepreneuriale. Et c'est dans ce contexte douloureux que j'ai croisé le chemin de Jean-François Zobrist et d'Isaac Getz, qui m'ont parlé de l'entreprise libérée. Cela a été, pour moi, le déclic.

Vous avez, alors, entamé votre mue. Quels en sont les fondements ?

Je me suis inspiré de l'exemple de grands groupes, d'ETI, de PME ou même d'institutions publiques qui se sont "libérées" de leur carcan hiérarchique. Je me suis intéressé aux travaux menés, durant les années 1960, par les psychologues américains Robert Rosenthal et Lenore Jacobson, d'abord sur des rats, puis sur des enfants, qui démontrent que le regard qu'un "maître" porte sur ses élèves influence de façon importante la réussite de ces derniers. C'est ce que Rosenthal appellera l'effet Pygmalion ("Crois fermement qu'une personne est douée de talents, et elle finira par les avoir pour de vrai") et son contraire, l'effet Golem ("Sois persuadé qu'une personne est limitée, et elle finira par l'être").

Il y a aussi de la psychologie...

Oui, je me suis également passionné pour les théories du psychologue américain Douglas McGregor, professeur au MIT, qui, dans les années 1960, a défini les trois ingrédients nécessaires à l'épanouissement professionnel. Il a distingué deux théories, X et Y, qui proposent deux visions diamétralement opposées du travail. Alors que la théorie X repose sur le postulat que le travail est forcé, la théorie Y se nourrit de la conviction que le travail est aussi naturel que le divertissement

Dans la théorie X, le rôle du patron est de contrôler, l'organisation est pyramidale et la défiance est de mise. C'est le règne de l'avoir, un marqueur fort de réussite. Dans la théorie Y, au contraire, le dirigeant est là pour répandre le sentiment d'égalité intrinsèque et de permettre à tous de se réaliser. L'organisation est collaborative ; les services fonctionnent en autonomie au service d'un projet. La confiance est la règle. C'est le règne de l'être : on cherche à gommer les signes ostentatoires de réussite. Ce sont les fondements mêmes de ce que nous appelons aujourd'hui, après Isaac Getz, l'"entreprise libérée".

C'est cette théorie Y, cette vision de l'entreprise libérée, que vous avez mise en oeuvre dans votre propre société, Inov'On ?

L'entreprise libérée est davantage un chemin qu'un état. Mais il est vrai que nous mettons en oeuvre des logiques collaboratives...

Comment cette philosophie de l'entreprise se traduit-elle en termes de management ?

Ma conviction est que dans notre monde "volatile, incertain, complexe et ambigu (VUCA)" (acronyme inventé par l'armée américaine), ceux qui sont sur le terrain savent mieux que les autres ce qu'il convient de faire. C'est pourquoi chez Inov'On, nous leur laissons une très grande autonomie de décision. Ainsi, un commercial peut accorder une remise, même importante, à un client sans accord de sa hiérarchie. Or, force est de constater qu'il n'abuse pas de cette liberté. Techniquement, rien ne l'empêche de diviser par deux ou par trois le prix de vente d'une prestation. Mais dans les faits, il raisonnera avec bon sens et défendre les intérêts de l'entreprise.

Vos équipes jouissent d'un très haut niveau d'autonomie dans leur vie quotidienne. Mais est-ce également le cas pour des décisions plus stratégiques, comme les promotions internes par exemple ?

Absolument. Pour nommer nos "teams leaders", nous avons adopté une méthode basée sur le vote sans candidature. L'équipe commence par se réunir pour définir le profil du "capitaine" idéal. Puis, nous procédons à un vote en plusieurs tours : chaque équipier vote pour un membre de l'équipe et justifie son choix. À la fin, nous demandons à la personne qui a recueilli le plus de suffrages si elle est d'accord pour prendre le lead sur l'équipe. Si elle le veut bien, elle en devient donc le manager pour trois ans. Au bout de ce laps de ce temps, nous réorganisons un vote, ce qui évite les baronnies dans lesquelles un manager trop installé pourrait cesser d'être exemplaire.

Quel est le rôle d'un "capitaine d'équipe" chez Inov'On ?

Il est au service de son équipe. Chez nous, plus on monte dans la hiérarchie, plus on a de devoirs vis-à-vis d'autrui.

Ce très haut niveau d'autonomie des équipes, y compris sur des sujets stratégiques, peut sembler risqué... Comment s'organise la gouvernance chez Inov'On ?

Nous avons un comité stratégique, dont font partie les team leaders, qui se réunit en fin d'année. Pendant deux jours, à l'aide d'outils d'intelligence collective, nous travaillons tous ensemble sur les grands chantiers futurs et nous nous mettons d'accord sur les grands enjeux de l'année à venir. Les capitaines reviennent alors au sein de leurs équipes et partagent ce travail avec elles, puis le traduisent en objectifs opérationnels. Les budgets sont la traduction de ces grands projets en termes financiers. Puis, tout au long de l'année, les capitaines d'équipes se voient tous les deux mois afin de piloter l'activité.

Vos commerciaux ne perçoivent ni commissionnement, ni prime sur objectif. Pourquoi avoir supprimé tout système de rémunération variable pour les équipes de vente ?

Nous pensons que les carottes financières sont non seulement inefficaces, mais contre-productives. L'idée reçue selon laquelle les systèmes variables stimulent la performance est, pourtant, profondément enracinée. Mais nous la pensons fausse, comme l'a démontré l'éditorialiste américain Daniel Pink*. Au MIT, à Stanford, de nombreux chercheurs l'ont démontré. Prenez deux équipes commerciales et confiez-leur la même mission : la première sera challengée à la prime, la seconde recevra la considération de son manager. Dans 99 % des cas, la seconde équipe arrivera en tête. Mis à part pour les tâches mécanisées - une chaîne de production, par exemple - les gratifications financières ne fonctionnent pas.

Et dans votre entreprise, que s'est-il passé lorsque vous avez supprimé toute rémunération variable pour les commerciaux ?

Nous avons eu un système de rémunération variable jusqu'en 2009, date à laquelle nous avons fait notre propre révolution RH. À cette date, nous avons réduit de 70 % les primes variables (en compensant par une hausse du fixe), puis, quelques années plus tard, nous les avons totalement supprimées. Parallèlement, nous avons mis en place un système de redistribution des bénéfices aux salariés. L'entreprise ne s'en est que mieux portée. Nous avons connu, en 2017, notre meilleure année depuis notre création, record que nous allons battre en 2018.

Comment recrutez-vous vos commerciaux ?

Nous testons les candidats et eux nous testent. Pour cela, nous leur proposons de passer trois jours en observation, sur le terrain, avec trois personnes différentes de la société. Puis, ils rencontrent toute l'équipe. Nous leur ferons une proposition d'embauche si l'équipe, à l'unanimité, est d'accord. C'est alors qu'ils commencent une formation de cinq semaines au cours de laquelle nous leur faisons partager notre vision et nos valeurs. Ce n'est qu'à l'issue de ce long processus que nous leur demandons, solennellement, s'ils veulent ou non rester. Notre culture d'entreprise est atypique, nous le savons : ils ont le droit de ne pas y adhérer.

Quel est la réaction des commerciaux que vous rencontrez en entretien de recrutement, quand vous leur parlez de votre système de rémunération ?

Nous passons beaucoup de temps à leur parler de notre philosophie d'entreprise. Notre système de rémunération n'est qu'une facette de cette philosophie globale, qui attire certaines personnes, en quête de reconnaissance, de sens, de liberté d'initiative.

Quels signaux peuvent vous alerter sur l'inadéquation d'un candidat à votre culture d'entreprise ?

Une personne qui a tendance à dénigrer autrui, ou qui n'est pas solidaire quand il est nécessaire de rester plus tard pour achever un gros travail...

Au final, quel est le niveau de bien-être et d'épanouissement chez Inov'On ?

Je peux vous donner quelques indicateurs tangibles de l'atmosphère qui règne chez nous. D'une part, alors qu'il y a en France un important déficit de mécaniciens, nous attirons les meilleurs candidats. Cela signifie que nous sommes attractifs... Surtout, depuis que nous avons adopté cette philosophie, nous avons divisé par 3 notre turn-over, qui est passé de 30 % à 10 %. Notre métier est difficile car il est solitaire et exige une disponibilité très forte puisque les dépannages peuvent se faire 7 jours sur 7 et quasiment 24 heures sur 24. Dans notre secteur, un tel turn-over est donc un gage de bien-être... C'est la liberté, l'autonomie, la considération que l'on offre aux personnes - des facteurs intrinsèques de motivation - qui est constitutive de leur bien-être. Pas les barbecues ou les baby-foot qu'on leur met à disposition dans certaines entreprises de la Silicon Valley... Tout cela n'est que du gadget, des facteurs extrinsèques de motivation.

* Diplômé de Yale, Daniel Pink est un journaliste et auteur américain. Spécialiste des questions de motivation, il est l'auteur de quatre livres traitant de l'évolution du monde du travail, dont un ouvrage intitulé La vérité sur ce qui nous motive , qui démontre que les facteurs de motivation extrinsèques, comme les primes ou commissionnements, sont contre-productifs.

Alexandre Gérard débute sa carrière chez Chrono Flex, une société de dépannage de flexibles hydrauliques qu'il développe vite.

De 1995 à 2009 : Diversification, croissance, internationalisation... Durant des années, Chrono Flex n'en finit pas de grandir. Jusqu'au jour où la société nantaise est percutée par la crise. Alexandre Gérard doit prendre des mesures humainement cruelles. Il découvre alors la philosophie d'Isaac Getz, chantre de l'entreprise libérée, qu'il va définitivement adopter.

Aujourd'hui : Depuis, à travers sa société Inov'On, groupe de services B to B, il expérimente quotidiennement les bénéfices de l'entreprise libérée et accompagne d'autres dirigeants qui souhaitent s'engager sur ce chemin. Il a publié, en 2017, Le patron qui ne voulait plus être chef. Son groupe, Inov'On, emploie 360 personnes, dont 30 commerciaux, à Saint-Herblain, près de Nantes.


 
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