Négociation émotionnelle : l'art d'influencer ses interlocuteurs
Contrairement à ce que l'on pense, le processus de décision est gouverné par les émotions bien plus que par la raison. Comment réussir une négociation commerciale? Frédéric Bonneton explique lors d'une conférence comment faire appel à ces émotions pour vendre.
Je m'abonneComment se démarquer de ses concurrents ? Éternelle question, d'autant qu'aujourd'hui, la plupart des entreprises d'un même secteur ne présentent pas de véritable avantage concurrentiel, selon Frédéric Bonneton, consultant spécialisé dans la vente au sein du cabinet MCR. Lors d'une conférence qui s'est tenue dans les locaux du think tank Entreprise et Progrès, il affirme qu'aujourd'hui, le négociateur doit surtout être capable de faire percevoir la valeur de son produit : "Les clients ne veulent pas une perceuse, ils veulent faire des trous. Avant, Tefal vendait des poêles antiadhésives. Aujourd'hui, elle vend des poêles qui permettent de garder la ligne en n'ajoutant pas de matière grasse".
Aujourd'hui, le commercial a 30 minutes pour faire la différence
Or, si le processus de vente s'est complexifié et que le nombre d'interlocuteurs du commercial a augmenté, son temps en présence du client pour le convaincre s'est réduit. "Il a 30 minutes pour faire la différence durant un rendez-vous client, estime l'auteur de La négociation émotionnelle. Or, les entreprises ont arrêté de former les commerciaux au déroulement de ces rendez-vous".
Pour être percutant au moment crucial, les négociateurs doivent donc s'adresser au véritable centre de décision du cerveau. Et il ne s'agit pas, contrairement à une idée répandue, du cortex, centre de la raison, mais bien du cerveau reptilien, qui gère les émotions. Cela a un impact dans la négociation commerciale : "Les gens veulent se sentir aimés, c'est vrai pour les clients, mais également pour les commerciaux". D'où le risque du syndrome du "nice guy", quand le commercial essaye de se rendre sympathique à tout prix, ce qui entraine "une forme de soumission sociale et une baisse des marges". A l'inverse, Frédéric Bonneton note qu'une négociation joue aussi bien sur le sentiment de bonheur que sur la création de tension.
Nous achetons un produit pour les émotions qu'il procure
Le consultant identifie trois niveaux sur lesquels il est possible d'influencer son interlocuteur. Le premier est le paralangage, c'est-à-dire la communication non verbale. "L'objectif du cerveau reptilien est la survie, il faut donc le rassurer. Et quand le commercial parle beaucoup de lui et de son produit, c'est pour se rassurer, lui", alors que dans une vente, il doit chercher à rassurer le client.
En outre, l'expert, qui enseigne aussi à l'université de la Sorbonne, explique que nous achetons un produit pour sa capacité à provoquer des émotions chez nous : nous faire nous sentir en sécurité, à la mode, pionnier ou dans la norme. Le commercial doit donc mettre en avant la valeur émotionnelle du produit. Il est possible de jouer sur la perception de son interlocuteur, ce qui crée des biais cognitifs : "Si on ne s'y connait pas en vin, on va prendre le plus cher, car on suppose que c'est le meilleur. Dans une conférence sur un sujet inconnu, si un intervenant a un débit très rapide, on suppose que c'est un expert en la matière".
Le MIT a également montré que les postures, les gestes, l'intonation importent plus que les données factuelles pour remporter l'adhésion. Lors d'un concours annuel durant lequel des porteurs de projet viennent pitcher leur projet, des chercheurs observent les candidats sans entendre leur argumentation. Ils arrivent à déterminer quels projets seront couronnés par le jury, sans entendre leur argumentation. Et ces projets sont souvent plus performants que ceux qui ont été retenus sur dossier en se basant sur des critères rationnels.
Faire entrer inconsciemment une idée dans les esprits
Il est possible de s'adresser directement à l'inconscient en court-circuitant l'esprit critique
Le langage lui-même joue un rôle très important, et il est possible de s'adresser directement à l'inconscient en court-circuitant l'esprit critique. Faire des présuppositions en apparence anodines pour attirer l'attention de son interlocuteur sur un autre sujet lui fait accepter inconsciemment la présupposition comme étant vraie. Le questionnement inductif a la même fonction : "Et si vous appreniez que nos concurrents sont moins performants que nous" fait entrer inconsciemment l'idée que les concurrents sont effectivement moins performants.
De la même manière, la négation positive fait accepter plus facilement une idée : "Je ne vous dirai pas que nous sommes les meilleurs" permet ensuite de déployer des arguments montrant que l'on est meilleur, sans que l'interlocuteur n'oppose de résistance intellectuelle. Les mots de liaison marquant une relation de cause à effet sont également particulièrement efficaces, car ils induisent l'idée que l'argumentation est logique et rationnelle, même quand ce n'est pas le cas.
Mais les acheteurs peuvent également influencer les vendeurs. En utilisant l'induction, ils conditionnent le vendeur : ainsi, le message induit de "à quelle heure avions-nous rendez-vous" est "vous êtes en retard". Ils peuvent également déstabiliser le commercial en ayant recours à l'injonction paradoxale : lui dire "Vous savez que vos concurrents sont aussi performants et moins chers" condamne le commercial à choisir entre admettre que ses prix sont trop chers (s'il répond oui) ou qu'il ne connait pas son marché (s'il répond non).
Enfin, le contexte joue beaucoup sur la réussite d'une vente : le commercial doit réussir à faire adopter à son prospect la perspective la plus avantageuse pour son produit, et éviter de se retrouver dans une situation où il est dominé par le client : dans la grande distribution, quand un gérant de magasin fait attendre longtemps des représentants de marque avant d'annoncer qu'il n'a que peu de temps à leur consacrer, ceux-ci vont se retrouver dans un état émotionnel particulier. Ils se retrouvent en position de faiblesse et moins d'un tiers d'entre eux annoncent le prix initialement prévu.
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