[Dossier] PME et grandes entreprises : les freins liés à la différence de taille
Un fossé organisationnel sépare les PME des grandes entreprises. De fait, des obstacles se dressent sur leur route commune sans que cela soit, parfois, volontaire. Les retards de paiement en sont une parfaite illustration. Explications.
Je m'abonneUne faillite sur quatre est la conséquence directe des retards de paiement, selon les données d'Altares. Le non-respect des délais de paiement reste le premier motif de saisine du médiateur des entreprises, soit un quart des litiges. "S'il reste des mauvais payeurs, parfois sans s'en rendre compte, les grands groupes mettent en place des procédures qui influent défavorablement sur les délais de paiement", confie Pierre Pelouzet, médiateur des entreprises. "Les incidents de paiement sont rares, ce qui est plus courant ce sont les problèmes de contractualisation. La facturation est décalée par les retards liés à la notification des contrats", témoigne Alain Berger, dirigeant de la PME innovante Ardans.
Des solutions identifiées
"Être responsable, c'est prendre conscience de l'impact de ses actes, un virage pris par bon nombre de grands comptes", constate Pierre Pelouzet. En effet, ils se dotent de plus en plus d'outils permettant de réduire leurs délais de paiement. Sur la base des signataires de la charte Relations fournisseur responsables, des dizaines de bonnes pratiques ont été recensées (téléchargeables sur www.cdaf.fr et www.economie.gouv.fr/mediateur-des-entreprises).
Société Générale, qui a reçu le prix Grand Groupe des délais de paiement 2016, met en pratique bon nombre de ces recommandations. Ainsi, la direction financière et la direction des achats oeuvrent de concert pour simplifier les processus et les circuits d'approbation : dématérialisation des factures et généralisation de la signature électronique, circuits d'approbation allégés (de zéro à deux validations selon les enjeux), charte facture remise aux fournisseurs et outil gratuit de saisie des factures, Tradeshift, qui permet également de disposer d'une visibilité sur l'avancement de leur traitement...
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PME et grandes entreprises : gérer la mise en relation
"Le chantier est énorme, concède Françoise Guillaume, directrice des achats du groupe Société Générale. Il faut à la fois conduire le changement en interne et auprès des fournisseurs." Mais le jeu en vaut la chandelle : aujourd'hui, le grand compte règle 62 % de ses factures sous 30 jours, parfois même dans la semaine, et a pour objectif de passer cette proportion à 75 % d'ici fin 2017.
"Pour payer à temps, il faut mesurer régulièrement ses délais de paiement par le biais d'un tableau de bord, préconise François Girard, délégué national du Conseil national des achats. Mais pour ce faire, il faut des données fiables. Or, les PME ne sont pas toutes exemplaires." En cause ? L'écart entre la date de la facture et la date à laquelle elle est réceptionnée. "Un écart qui peut aller jusqu'à une dizaine de jours !", signale François Girard.
Les PME tentent ainsi de combler leur retard de facturation ou d'anticiper le retard de paiement. "Quelle qu'en soit la raison, les entreprises ne sont pas payées plus vite, souligne Françoise Guillaume (Société Générale). Au contraire, car leurs factures sortent alors en exception." François Girard (Conseil national des achats) va plus loin : "Cette pratique fausse les statistiques des grandes entreprises et par là même anéantit leurs efforts en la matière. Nous gagnerions à concevoir des standards d'émissions de factures, par exemple, au niveau des filières."
Le Conseil de la simplification pour les entreprises et le médiateur des entreprises mènent justement des travaux conjoints en vue de simplifier et d'homogénéiser les factures. Les résultats seront connus au second semestre 2017.
Des tempos inconciliables
Un autre obstacle à surmonter au quotidien ? Le temps. "Les PME et les grandes entreprises ne sont pas sur le même rythme", reconnaît Philippe Bouquet, secrétaire général du Comité Richelieu et directeur exécutif d'Atos Racks, ETI industrielle. Le circuit décisionnel est lourd dans les grands groupes : conclure une affaire peut prendre de longs mois. Mais quand la décision est prise, la livraison doit intervenir très rapidement. Ce qui occasionne des problèmes sur le cycle opérationnel.
Il ne faut pas hésiter à anticiper et à évoquer avec son interlocuteur ces contraintes de production. La communication est essentielle pour travailler en bonne intelligence. "Il m'est arrivé de lancer des commandes sans contrat signé. Mais être souple n'exclut pas de prendre des précautions, en se faisant notifier par e-mail, par exemple, que la commande sera confirmée ultérieurement", poursuit Philippe Bouquet.
Le changement d'interlocuteur au cours de la relation est une autre difficulté fréquemment évoquée par les petites entreprises. "Les process de vente sont longs et jalonnés de nombreuses réunions avec parfois, au bout du compte, un contrat qui ne sera pas signé du fait d'un événement extérieur, comme le départ de notre interlocuteur", témoigne Josselin Noire, dirigeant de La Conciergerie Solidaire. "L'instabilité managériale et stratégique des grands comptes impacte directement les projets menés et il faut souvent reconstruire la relation", déplore Alain Berger (Ardans).
La différence de taille engendre inévitablement des incompréhensions et des difficultés. Aux PME de s'adapter en affûtant leur agilité et leur patience car, de par leur nature même, les grandes entreprises n'auront jamais la souplesse des petites.
Coconstruire une nouvelle relation entre grands comptes et PME
Faire émerger des solutions créatrices d'emplois, tel est le but de la jeune association Lab Pareto. "Il suffirait que les grands groupes dédient au TPE et PME un minimum de 20 % de leurs achats par famille d'achats pour créer des emplois", résume Clémentine Paratre, fondatrice du Lab Pareto, déléguée nationale Relations grands comptes/PME au CJD et dirigeante de Processus.
Dirigeants de PME et directeurs achats y travaillent main dans la main pour imaginer un parcours collaboratif qui aura vocation à être, ensuite, expérimenté sur le terrain. Un exemple ? Le "Vis ma vie". Pour l'heure, les directeurs des achats de la SNCF et de BPCE se sont prêtés au jeu avec deux dirigeants de PME. "L'immersion d'une journée dans l'univers de l'autre permet de mieux comprendre les problématiques et les enjeux de chacun, apprécie Clémentine Paratre. C'est le sas d'entrée obligatoire de notre parcours expérimental. Aujourd'hui, le principal obstacle à la collaboration entre petites et grandes entreprises est la mauvaise représentation que chacun s'en fait. Les postures doivent évoluer afin de pouvoir construire une relation saine et constructive. Nous espérons y contribuer." À noter que le Lab Pareto ouvre les candidatures de son parcours aux directeurs achats.
Rens. : www.labpareto.com