Crédit interentreprises : les entreprises doivent-elles s'en réjouir?
Le crédit interentreprises est l'une des mesures phare de la loi Macron. De quoi s'agit-il ? Permettre aux entreprises de se prêter de l'argent entre elles, sans passer par une banque. Une bonne nouvelle sur le papier, mais existe-t-il des risques ? Décryptage.
Je m'abonneImaginez-vous, demain, demander à une autre entreprise, votre fournisseur ou votre donneur d'ordre, de vous accorder un crédit pour financer votre besoin en fonds de roulement, votre stock ou encore l'acquisition de machines ? Et ce, sans passer par une banque. Une nouveauté, ou plutôt une (r)évolution, rendue possible grâce à l'ouverture du crédit interentreprises. Cette mesure introduite dans la loi pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, ou autrement appelée loi Macron, va plus loin que ce qui se pratique aujourd'hui. "Il existe actuellement deux types d'exceptions au monopole bancaire : le "crédit fournisseur" qui correspond au délai de paiement accordé par le fournisseur à l'entreprise et le "crédit de trésorerie intra-groupe". Mais, jusqu'à présent, il restait impossible à une entreprise de prêter de l'argent à une autre structure si ces deux entreprises n'appartiennent pas à un même groupe", rappelle Hubert de Vauplane, avocat associé au sein du cabinet Kramer Levin. "Les décrets devraient être publiés à l'automne pour une application de la disposition en janvier 2016", estime Jean-Christophe Fromantin, député des Hauts-de-Seine à l'origine de la mesure.
La France pourrait ainsi rapidement rattraper son retard avec les autres pays européens, "principalement la Grande-Bretagne, l'Allemagne et l'Italie qui pratiquent déjà cette forme de crédit interentreprises pour pallier les insuffisances du crédit bancaire", comme le souligne Gilles Saint Marc, avocat associé en droit bancaire et financier au sein du cabinet Gide Loyrette Nouel.
Pour que le dispositif fasse aussi ses preuves en France, le texte prévoit plusieurs conditions. La première est relative à la qualité du prêteur. Les entreprises qui vont accorder ces crédits seront des "sociétés par actions ou des sociétés à responsabilité limitée". "Ces structures doivent être en situation de trésorerie excédentaire. Ce que ne dit pas expressément la loi mais qui sera normalement précisé ultérieurement par décret", précise Hubert de Vauplane. Les comptes de la société devront par ailleurs faire l'objet d'une certification par un commissaire au compte.
Les TPE et PME bénéficiaires
La seconde condition précise le profil des entreprises bénéficiaires. Il s'agit de "microentreprises, des petites et moyennes entreprises ou des entreprises de taille intermédiaire". Le texte détermine ensuite la nature même des relations entre prêteur et emprunteur. Les entreprises doivent entretenir "des liens économiques le justifiant". Une notion un peu floue qui, selon les experts, permet une souplesse d'interprétation. "Nous pouvons ainsi imaginer qu'un donneur d'ordre prête de l'argent à un sous-traitant. Les exemples peuvent aussi bien se décliner dans le secteur de l'industrie, de l'automobile, dans la construction, du luxe ou de l'alimentaire. Il est aussi facile d'imaginer que la grande distribution souhaite préserver un maillon essentiel de sa chaîne de production, un producteur par exemple, afin qu'il ne se retrouve pas en cessation de paiement", détaille Gilles Saint Marc.
Crédit court-terme
La quatrième condition concerne le prêt lui-même : seules les opérations de financement court terme, n'excédant pas deux ans, sont possibles. "Le remboursement du crédit ne pourra pas être supérieur à deux ans. Le prêt pourra par ailleurs être renouvelé autant de fois que les entreprises le souhaitent", commente Jean-Christophe Fromantin. Les montants accordés seront limités et précisés sans nul doute par décret à l'automne. Ces crédits devront être formalisés dans un contrat de prêt, qui devra être approuvé par le conseil d'administration du prêteur.
Si la loi prévoit de nombreuses dispositions pour sécuriser le dispositif, cela signifie-t-il pour autant que les risques sont écartés ? Notamment le danger de non remboursement, ce que les banquiers appellent le risque de crédit ou de contrepartie. "Il y en aura toujours du côté des entreprises prêteuses", estime Hubert de Vauplane. Elles devront donc, avant d'accorder un prêt, connaître le plus possible la situation financière des entreprises bénéficiaires. "Pour limiter les risques d'insolvabilité de l'emprunteur, l'entreprise pourra aussi demain demander des garanties, comme le nantissement de machines, d'outils ou des actions dans la société", poursuit l'expert.
Éviter les abus
Du côté des entreprises emprunteuses, l'opération devrait être moins risquée. Le texte prévoit que les créances détenues par le prêteur ne peuvent être acquises par un organisme de titrisation ou faire l'objet de contrats constituant des instruments financiers à terme. "Ce qui signifie que les taux proposés ne doivent pas être supérieurs à ceux pratiqués sur les marchés. Il faut rester dans une logique de partenaire. Rien n'empêche toutefois un dirigeant de comparer le taux du crédit proposé par son établissement bancaire afin de choisir le plus intéressant", commente Gilles Saint Marc.
Le texte prévoit comme dernier filet de sécurité que le prêt ne puisse pas imposer des délais de paiement ne respectant pas les délais légaux, prévus par la loi de modernisation de l'économie (LME), afin de ne pas créer des abus de dépendance économique. "En d'autres termes, l'idée de la loi est que le prêteur ne peut pas se placer dans une situation dominante et appliquer des conditions plus drastiques à l'emprunteur, poursuit Hubert de Vauplane. Si depuis 2010 il existe une charte régissant les relations entre grands donneurs d'ordres et les petites et moyennes entreprises, force est de constater que certaines TPE et les PME restent fortement sous la dépendance de leurs grands clients". Ce risque devra donc être surveillé de près.