L'art de la (re)publication sur Internet et les réseaux sociaux
La reprise de contenus publiés sur les réseaux sociaux (posts, tweets, vidéos, etc...) est chose courante. Cela soulève toutefois des questions dans le cas où lesdites publications sont couvertes par le droit d'auteur. On fait le point.
Je m'abonneS'il faut, par principe, considérer que la reprise non autorisée d'une oeuvre porte atteinte au droit de son auteur et constitue une contrefaçon, la situation peut être différente dans certaines circonstances.
Le principe : la reprise d'une oeuvre protégée constitue une contrefaçon
Pour rappel, le droit d'auteur est l'ensemble des prérogatives dont dispose une personne sur les oeuvres de l'esprit qu'elle crée. Il est constitué du droit patrimonial (c'est-à-dire du droit exclusif d'exploiter économiquement l'oeuvre) et du droit moral. Les droits patrimoniaux durent 70 ans après le décès de l'auteur, en revanche le droit moral est imprescriptible.
Sur Internet comme ailleurs, le droit d'auteur s'applique et permet à son auteur de s'opposer à toute représentation ou reproduction de son oeuvre sans son autorisation. À défaut d'accord de l'auteur (ou du titulaire des droits), la publication de l'oeuvre par un tiers sera considérée comme une contrefaçon.
Dans certains cas bien encadrés, cependant, la reprise d'une oeuvre sera possible, même sans autorisation de l'auteur.
Lire aussi : Information ou contrefaçon : pas de confusion !
Exception : la reprise d'une publication via la technique du « framing »
Ce cas de figure concerne l'hypothèse où le gestionnaire d'un site internet met en place un lien hypertexte ou (plus souvent) recoure à la technique du « framing » (qui consiste à incorporer une page web ou une partie de page web d'un site au sein d'un autre) pour afficher sur son site un post Instagram, un tweet, ou encore une vidéo YouTube. Il ne s'agit pas dans ce cas d'une copie mais simplement de l'affichage d'un contenu qui se trouve sur un autre site web.
Cela peut être un tweet, ou une vidéo Youtube « incrustée » sur un autre site internet, pour illustrer par exemple un article. En réalité, le tweet ou la vidéo n'est pas reproduit mais simplement affiché depuis son site d'origine.
La Cour de Justice de l'Union Européenne a pu valider ce type de pratique en considérant qu'une republication d'un même contenu sur internet via un lien hypertexte ou du framing ne constitue pas une atteinte au droit d'auteur s'il est mis à disposition du même public par le même procédé technique et qu'il provient d'une source licite (c'est-à-dire autorisée par l'auteur). C'est la solution retenue par les arrêts BESTWATER du 21 octobre 2014 et SVENSSON du 13 février 2014.
La situation sera plus délicate si la source de la publication reprise est elle-même illicite (c'est-à-dire si elle n'a pas été autorisée par l'auteur et est donc une contrefaçon).
Dans ce cas, la Cour de Justice de l'Union Européenne, dans un arrêt GS MEDIA du 8 septembre 2016, a précisé que pour considérer s'il s'agit ou non d'une contrefaçon, il convient de déterminer si 1) la personne a agi sans but lucratif, et 2) ne connaissait pas ou ne pouvait raisonnablement connaître le caractère illicite de la publication des oeuvres.
Si ces conditions sont respectées, la contrefaçon ne sera pas considérée comme étant constituée.
Au contraire, si le responsable du site internet a agi dans un but lucratif, alors, la connaissance du caractère illégal de la publication sera présumée, et il pourra être poursuivi pour contrefaçon.
Un exemple : le partage d'une publication sur le même réseau social
Les solutions des arrêts SVENSSON, BESTWATER et GS MEDIA précités s'appliquent à l'hypothèse courante du retweet ou du partage d'une publication : dans la mesure où il n'y a pas communication à un nouveau public, et où la première publication est licite (ou que la personne peut raisonnablement penser que qu'elle l'est), le retweet n'est a priori pas une atteinte au droit d'auteur.
Au surplus, les conditions générales des réseaux sociaux (comme par exemple Twitter) prévoient généralement que tout utilisateur accorde aux autres le droit de republier les publications (sauf à en limiter techniquement le partage).
En principe, un retweet ou un partage n'est donc pas susceptible d'être considéré comme une contrefaçon de droit d'auteur.
Attention : ces décisions ne valent qu'au titre de la question des droits d'auteur. En cas de publication diffamatoire, portant atteinte à l'image ou à la vie privée d'une personne, ou constituant une atteinte à un autre droit de propriété intellectuelle, la solution pourra être très différente.
Pour en savoir plus
Bertrand Ermeneux, Avocat, associé au sein du Cabinet AVOXA et spécialiste en droit de la Propriété Intellectuelle. Il intervient en marques, modèles, brevets, droit d'auteur, et concurrence déloyale. Il partage son activité entre le conseil et le contentieux.
Jérémie Vessier, Avocat au sein du Pôle Propriété Intellectuelle d'AVOXA, conseille et accompagne au quotidien les entreprises dans l'élaboration et la mise en oeuvre de leur stratégie de protection de leurs droits de Propriété Intellectuelle, ainsi qu'en matière de conformité à la réglementation applicable en matière de données personnelles (RGPD, loi informatique et libertés).