[Interview] Nicolas Brusson, BlaBlaCar : "Nous nous attaquons à des pays gigantesques"
BlaBlaCar étend sa présence sur plus de 23 pays. La licorne française du covoiturage annonçait mi-avril 2021 une levée de fonds massive de 115 millions de dollars en pleine crise mondiale. Nicolas Brusson, cofondateur et CEO, se confie sur la stratégie ambitieuse de l'entreprise.
Je m'abonneComment avez-vous traversé la pandémie chez BlaBlaCar ?
Nicolas Brusson : La crise a été un test pour les sociétés du transport. Globalement, le nombre de voyageurs a fortement baissé. Chez BlaBlaCar, nous sommes passés de 71 millions de passagers à l'international en 2019 à 50 millions en 2020. Mais cette baisse de 30% n'est pas énorme par rapport au secteur. Par exemple, l'activité de l'entreprise Trainline a chuté de 79%. Chez Expedia et Booking.com, c'est plus de 45% chacun...
Nous ne sommes pas la seule entreprise du monde du voyage à avoir tiré notre épingle du jeu. Airbnb n'essuie que 40% de décroissance. Pourquoi sommes-nous dans le même panier ? C'est une histoire de modèle économique. Airbnb et BlaBlaCar n'ont ni structure fixe, ni coût fixe. Nous sommes positionnés sur des places de marché où l'offre et la demande s'adaptent assez naturellement.
C'est-à-dire ?
Dans le covoiturage, la demande est imprédictible. Les opérateurs de transport classique n'arrivent donc pas à opérer. En France, seule la SNCF y parvient, car l'État finance le secteur. Pour les entités privées comme Flixbus, c'est plus compliqué. Dès lors, on remarque les limites de certains modèles régentés par l'offre, sans comprendre la demande.
Chez BlaBlaCar, nous laissons les gens nous dire ce qu'ils veulent faire. Notre réseau est construit par l'intelligence collective. À l'aube d'un déconfinement notamment, nous ne savons pas où les Français auront envie d'aller. Nous savons simplement que lorsque ce sera possible, il y aura plus de déplacements.
Pour les transporteurs, si leur offre est trop importante, c'est une catastrophe financière. À l'inverse si leur offre est insuffisante, cela profite à BlaBlaCar. La clientèle met en place l'offre.
Lire aussi : Voiture autonome où en sommes-nous ?
Vous annoncez une levée de fonds de 115 millions de dollars à la mi-avril 2021. Est-ce ce modèle à la carte qui a séduit les investisseurs ?
La crise a démontré que ces modèles flexibles avec peu de coûts fixes fondés sur de la data fonctionnent. C'est cette preuve qui séduit les investisseurs. Il y a aussi notre vision à long terme : "La révolution de la voiture ne fait que commencer". Celle-ci se développe en trois axes : l'électrique, l'autonomie et le partage. Nous nous positionnons sur le dernier qui reste l'un des moins exploités.
Enfin, les investisseurs ont cru en notre stratégie sur les marchés hors France. Nous transformons l'application de covoiturage en plateforme de mobilité où un utilisateur peut tout réserver. Cette solution avance très vite dans certains pays comme la Russie, l'Ukraine et le Brésil. Ce que nous essayons de faire depuis deux ans, c'est de connecter tout l'inventaire de bus longue distance. Nous digitalisons donc ce marché bus des pays émergents. Un passager trouvera ainsi tous les bus et toutes les voitures, le nombre de trajets est donc supérieur à n'importe quelle autre plateforme.
Votre posture était déjà très confortable avant la levée fonds. Cette dernière va donc vous permettre de "prendre des risques", comme vous l'annoncez dans un communiqué de presse. Qu'est-ce que cela signifie ?
C'est d'avoir les deux pieds sur l'accélérateur en Europe et dans le monde, surtout dans le secteur des bus. Le marché des bus mondial représente 17 milliards de dollars et n'a pas de plateforme. Nous nous attaquons donc à des pays gigantesques à l'instar du Brésil.
Le financement, nous permet de passer plus vite les étapes en parallélisant davantage notre présence mondiale. Nous investissons directement dans des compagnies de bus comme Octobus en Ukraine.
Pourquoi racheter des compagnies existantes ?
On remarque que Booking.com, Google ou Airbnb sont elles-mêmes des sociétés très acquisitives. C'est assez pragmatique comme approche. Notre démarche aujourd'hui est de connecter des acteurs avec notre plateforme. Mais il y a potentiellement des concurrents qui ont déjà fait ce boulot mais qui n'ont pas le covoiturage.
Après il y a deux manières de faire. La première, nous axer sur notre technologie et dépasser tous les acteurs en place. La seconde, c'est de travailler avec ces différents acteurs. Bien sûr à chaque fois les connexions avec les spécificités locales sont assez chronophages dans un milieu concurrentiel. Parfois le rachat peut être une solution rapide et efficace. Mais stratégiquement le résultat est le même.
NEWSLETTER | Abonnez-vous pour recevoir nos meilleurs articles
La rédaction vous recommande