John Chambers : "Agissez comme un adolescent et pensez comme un dyslexique"
Dans son livre "Mes leçons de leadership", John Chambers, ancien de p-dg de Cisco mais aussi ancien dyslexique, livre ses secrets de réussite pour tout entrepreneur qui souhaite être compétitif à l'ère du numérique.
Je m'abonneL'un des avantages d'avoir été p-dg dans la Silicon Valley pendant vingt ans, c'est qu'il m'a été donné de voir beaucoup de dirigeants à leurs débuts. Leurs activités et leurs personnalités sont toutes très différentes, mais ils partagent des caractéristiques communes avec de nombreux fondateurs de start-up sur lesquels je parie aujourd'hui.
Si vous pensez qu'ils sont tous arrivés avec un parcours impressionnant ou des compétences de communication sans failles, détrompez-vous.
L'énergie bien plus importante que l'inexpérience
En fait, certains étaient si inexpérimentés et manquaient si cruellement d'expérience dans ces domaines qu'il était facile pour les critiques et les concurrents de les qualifier de stupides, de naïfs, voire d'immatures. Ce qui m'a frappé, ce n'était pas tant leur inexpérience, mais plutôt leur curiosité insatiable et leur capacité à gérer simultanément plusieurs points de données aléatoires. En plus de posséder une vision audacieuse, presque onirique du but qu'ils voulaient atteindre, ils ont ce talent incroyable de pouvoir passer d'un sujet à l'autre à la vitesse de l'éclair et de détenir une vision presque idéaliste de leur entreprise.
C'est le type de pensée non linéaire qui paraîtra familière à une personne dyslexique comme moi. Leur point commun le plus répandu, quels que soient leur âge et leur domaine d'expertise, était leur état d'esprit : ces entrepreneurs paraissaient audacieux, curieux, avides d'idées innovantes, désireux de bouleverser un secteur industriel. Ils étaient résolument tournés vers l'avenir et déterminés à ne pas imiter les dirigeants actuels. Certains paraissaient presque trop impatients pour rester en place et aucun n'était satisfait du présent.
En résumé, ils se comportaient et pensaient comme des adolescents - avec tout l'enthousiasme, les rêves les plus fous et l'ambition que nous avions tous à leur âge. Les adolescents ne croient pas au changement progressif, ni les meilleurs leaders d'ailleurs. Ils veulent bousculer le statu quo et se montrent indiscutablement entreprenants, car ils croient qu'ils peuvent changer le monde.
J'ai vu cette qualité chez les fondateurs de start-up qui ne sont pas très éloignés de l'adolescence, mais aussi chez les dirigeants qui ont un âge bien plus avancé. Ce qui différencia les ultimes vainqueurs des perdants, dans la Silicon Valley, ce n'était pas leur capacité à " mûrir ", mais celle à conserver cet état d'esprit d'adolescent et cette aptitude de " dyslexique " qui leur permettait de relier les points tout en adoptant les pratiques indispensables pour continuer à innover.
Aujourd'hui, bon nombre de ces fondateurs impatients, curieux et intrépides dirigent quelques-unes des plus grandes entreprises de haute technologie du monde. Les qualités qui leur valaient d'être rejetés par les autres étaient essentielles à mes yeux pour alimenter leur réussite. Ce que je trouve si passionnant - et ce qui me rend si optimiste à propos du futur des start-up au niveau mondial -, c'est que je vois la même combinaison de facteurs chez la prochaine génération de leaders.
Dyslexie
Même si j'ai appris à gérer ma dyslexie, je l'évoquais rarement. Combien de PDG sont prêts à admettre qu'ils savent à peine lire ? Je ne considérais certainement pas cela comme un atout. Tout cela changea il y a une vingtaine d'années lorsque je pris la parole lors d'une journée où les employés de Cisco pouvaient amener leurs enfants au travail. Une petite fille leva la main pour me poser une question, mais les mots ne parvenaient pas à sortir de sa bouche.
Tandis que je l'écoutais lutter pour se faire comprendre, je fus immédiatement ramené dans la salle de classe de Virginie-Occidentale. J'étais de tout coeur avec elle. Lorsqu'elle bredouilla en larmes qu'elle souffrait de difficultés d'apprentissage, je lui dis que c'était aussi mon cas. Je lui répétais toutes les choses que Mrs Anderson m'avait apprises : ralentis, prends ton temps, ne te soucie pas de ce que pensent les autres, prononce les mots, syllabe par syllabe, et concentre-toi sur les concepts, souviens-toi que toutes les personnes dans la pièce ont aussi des points forts et des points faibles.
Tandis que j'exposais mes propres stratégies, je la voyais qui se détendait. C'est alors que je remarquai que la salle était plongée dans un profond silence. Je m'interrompis un instant, comprenant que je venais de partager un détail intime et méconnu de ma vie devant 500 employés et leurs enfants. C'était à mon tour de me sentir un peu nerveux et embarrassé.
Je continuai à répondre aux questions, mais, au fond de moi, je me demandai si je n'en avais pas trop dit. Quand je suis rentré à la maison ce soir-là, plusieurs douzaines de messages m'attendaient. Beaucoup voulaient simplement me remercier d'avoir évoqué ma dyslexie. Certains messages venaient d'employés qui en souffraient eux aussi, mais n'en avaient jamais parlé à leurs collègues. D'autres venaient de parents qui essayaient de savoir comment ils pouvaient aider leur enfant.
La plupart de ces personnes auraient été trop intimidées pour s'adresser au PDG de Cisco. Moi qui m'inquiétais de baisser dans l'estime de mes collaborateurs parce que j'avais des difficultés d'apprentissage ! Au lieu de cela, je découvris qu'ils me complimentaient pour mon courage et ma franchise. Je réalisai alors l'énergie tirée du fait d'admettre mes faiblesses et de partager ma propre histoire.
Entre autres choses, je démontrai la force retirée du fait de s'entourer d'une équipe qui compense vos points faibles et complète vos points forts. Plus je devenais à l'aise avec l'idée de parler de mon mode de pensée dyslexique, plus il devint évident que la façon dont je traitais les données m'avait en fait aidé en tant que dirigeant d'entreprise. Mon cerveau était naturellement câblé pour visualiser de grandes quantités de données et pour établir des liens très rapidement. Je peux absorber les détails de ce qu'il se déroule autour de moi - le brouhaha, les personnalités, les activités marginales - tout en restant concentré sur la tâche en cours.
Leçons à tirer / stratégies d'innovation reproductibles
Focalisez-vous sur le tableau d'ensemble. Prêtez attention aux changements technologiques plus vastes et à l'évolution du marché, surtout lorsqu'ils se produisent simultanément. Quand vous saurez relier les points, vous reconnaîtrez plus facilement les schémas.
Montrez-vous curieux. Récoltez des informations sur différents secteurs et auprès de gens variés. Recherchez des sources fiables pour comprendre ce qu'il se produit sur différents marchés et dans les secteurs voisins.
Sortez de votre zone de confort. Pensez comme un adolescent. Votre but est de faire bouger les choses et de voir ce qui a échappé aux autres. Essayez de vous débarrasser des notions préconçues qui vous mènent à des conclusions familières.
Traitez tous vos clients et toutes vos rencontres comme une occasion de collecter des informations et d'apprendre. Dans quoi investissent-ils et qu'est-ce qui les inquiète ?
Recherchez des agents disruptifs du secteur pour comprendre les failles du marché qu'ils ont identifiées, les menaces émergentes et les opportunités de disruption d'autres domaines.
Comparez et contrastez. Est-ce qu'il se dégage des thèmes communs ? Alignez ce que vous entendez avec les données que vous avez constatées, puis faites un pari osé.
Ayez le courage de partager vos préoccupations et d'avoir des débats sains. Confiez-vous à votre équipe sur un plan à la fois professionnel, mais aussi émotionnel et personnel.
Pour en savoir plus
John Chambers a été président de Cisco pendant plus de 20 ans. Investisseur et mentor actif pour les entrepreneurs du monde entier, il a été nommé ambassadeur de la French Tech par Emmanuel Macron en 2018. Son livre raconte son histoire, ses experiences, mais aussi ses faiblesses qui lui ont servis pour mieux diriger. Voir la fiche sur le site de l'éditeur. Voir le livre sur Amazon.
Leadership
Chacun définit le leadership à sa manière. Pour certains, cela peut consister à fonder une entreprise qui changera le monde ; pour d'autres, à devenir un preneur de décisions dans une grande entreprise qui doit s'adapter à un monde en rapide mutation.
Certains voudront faire carrière dans la politique ou rallier les foules autour d'une cause qu'ils jugent importante. Quelle que soit votre ambition, le succès ne repose pas uniquement sur vos compétences, mais aussi sur votre état d'esprit. Si vous êtes curieux, audacieux, si vous avez soif de connaissances et hâte de faire changer les choses, je parierai davantage sur vous que sur quiconque ayant un vaste éventail de compétences, mais qui ne possède aucune vision de ce qui est possible, aucun appétit pour ce qui vient ensuite et aucune volonté de prendre des risques.
Pourquoi suis-je si optimiste concernant le rôle que joueront les enfants du numérique pour nous guider à travers les prochaines vagues de disruption ? Ils ont été programmés pour encourager le changement et oser le devancer. Si vous êtes PDG ou dirigeant d'une quelconque organisation, vous avez quatre responsabilités essentielles :
1. Définir la vision et la stratégie de l'entreprise.
2. Développer, recruter, fidéliser et remplacer l'équipe de direction afin de mettre en oeuvre cette vision et cette stratégie.
3. Créer la culture.
4. Communiquer tous les points précédents.
La façon dont vous vous acquitterez de ces responsabilités dépendra de beaucoup de choses, allant de votre activité à votre personnalité, mais il est difficile de réussir où que ce soit sans avoir le bon état d'esprit dès le départ.
Vous devez être capable de filtrer et d'évaluer les faits, les peurs, la fiction et les commentaires dont on vous bombarde quotidiennement. Lorsque vous voyez une opportunité, vous agissez vite pour anticiper la façon dont elle évoluera. L'immobilité est plus risquée que la marche avant. Si vous attendez que la tendance devienne évidente, il sera déjà trop tard.
Les dirigeants de la prochaine génération ne sont pas juste des technophiles ; ils sont courageux, curieux et assoiffés d'idées innovantes. Ils sont trop impatients pour se tenir tranquilles. J'ai discuté avec beaucoup d'adolescents au cours de ma carrière et je n'en ai jamais rencontré qui soient satisfaits du présent. Ils rêvent tous à un avenir qui n'arrive jamais assez vite à leur goût. Ils veulent faire les choses autrement que les personnes actuellement en place. Ils jouent le rôle de perturbateurs.
Les adolescents ne sont pas adeptes du changement progressif. Ils veulent mettre le monde sens dessus dessous et se l'approprier. Ils feront bouger les choses tout en réalisant une douzaine d'autres choses en même temps : leurs devoirs, envoyer des textos, manger devant leur ordinateur (même si vous leur avez demandé expressément de ne pas le faire), publier une vidéo sur YouTube, et en profiter pour partager quelque chose de drôle sur lequel ils viennent de tomber.
Chez l'adolescent, ces instincts peuvent être irraisonnés et impulsifs. Les dirigeants parviennent à canaliser cet état d'esprit dans un cadre plus structuré et cela peut être un bon indice de réussite. Si vous cherchez des signes de disruption et de changement, vous avez plus de chances de les trouver. Si vous voulez traiter de gros problèmes, vous devrez inévitablement prendre de grands risques et accepter de vous attendre à rencontrer des difficultés. L'âge n'a pas d'importance.