Covid-19 : l'employeur a-t-il le droit de tester ses salariés ?
Le 31 mars, NG Biotech a lancé son premier test de diagnostic rapide du Covid-19. Fin mars, une usine rennaise a invité ses 4 000 salariés à prendre leur température et à ne pas venir travailler au-delà de 38°. Dans le contexte sanitaire actuel, qu'a le droit de faire l'employeur ?
Je m'abonneL'état d'urgence sanitaire bouleverse le monde du travail et son organisation. Au-delà d'un arsenal destiné à éviter les licenciements économiques comme l'activité partielle, le Gouvernement cherche à assurer le maintien des services essentiels à la population et encourage les sociétés, dont la fermeture n'est pas administrativement requise, à retrouver une activité sur site lorsque le recours au télétravail est impossible.
Droit à la vie privée
Se pose alors, pour l'employeur, la question des mesures qu'il peut prendre pour assurer la sécurité de ses salariés. Le droit à la vie privée et à l'intégrité physique des intéressés percute ici l'obligation pour tout employeur de préserver la santé de son personnel. Sans être inédite, cette question revêt aujourd'hui une ampleur inégalée.
Dans un arrêt Corona du 1er février 1980, le Conseil d'État avait énoncé que le contrôle de l'alcoolémie des salariés avec éthylotest pouvait se justifier si les salariés testés étaient affectés à des tâches requérant une parfaite maîtrise d'eux-même.
Le 9 juillet 1990, le ministère du Travail édictait une Circulaire selon laquelle rien ne justifiait la mise en place d'un dépistage systématique de la toxicomanie sur le lieu de travail, tout dépistage devant par ailleurs être entouré de garanties pour le salarié.
Le Conseil d'État, garant des libertés publiques, rappelait plus récemment le 5 décembre 2016 qu'un règlement intérieur pouvait imposer un test salivaire à des collaborateurs affectés à des postes "hypersensibles drogue et alcool" et sanctionner les contrôles positifs dans la mesure où cette contrainte, pesant seulement sur une population "à risque", n'était pas disproportionnée.
Au printemps 2020, l'enjeu revêt une autre dimension : il s'agit par exemple de déterminer si un employeur peut demander à ses salariés de prendre leur température à domicile et de s'abstenir de venir travailler au-delà d'une certaine température et/ou instituer un contrôle aléatoire sur l'ensemble des salariés avant leur prise de fonction. Cette mesure, admissible selon nous, a été mise en oeuvre par PSA sur un de ses sites avec l'accord du CSE.
Certes, dans une communication du 6 mars 2020, la CNIL, après avoir souligné que les données de santé étaient protégées tant par le RGPD que par le Code de la santé publique, a rappelé qu'il n'était pas selon elle possible de mettre en oeuvre des relevés obligatoires des températures corporelles de chaque employé puis de les adresser quotidiennement à leur hiérarchie.
Mais c'est précisément parce que le but à atteindre est extra-ordinaire (protéger la population d'un pays contre une épidémie) que la mesure envisagée ici est vraisemblablement justifiée et proportionnée au sens où l'entend la jurisprudence. En outre, en veillant à ne pas conserver les données recueillies, il devrait être possible d'échapper aux foudres de la CNIL.
Est-il possible d'aller plus loin, par exemple en imposant un test de dépistage capillaire ?
En l'état des textes, non. Une ordonnance du 1er avril 2020 prévoit en effet que le médecin du travail peut procéder à des tests de dépistage du Covid-19 selon un protocole défini par arrêté. Dans l'entreprise, ce test est donc pour le moment réservé à ce professionnel de santé.
Stéphane Bloch est avocat au Barreau de Paris. Associé chez Flichy Grangé Avocats, où il co-anime le pôle droit social du secteur public, il est membre du bureau d'AvoSial.