Carole Delga: "Il y a de nombreuses contre-vérités sur le RSI"
Bilan 2014, RSI, compte pénibilité, travail dominical... Carole Delga, secrétaire d'État en charge du Commerce et de l'Artisanat, revient pour Chefdentreprise.com sur tous les sujets au centre des préoccupations des petits patrons.
Je m'abonneDestruction d'emplois, baisse du nombre d'entreprises artisanales, croissance morose... tous les indicateurs sont en berne en 2014. Quelles conclusions en tirez-vous ?
Carole Delga : D'après les premiers chiffres de janvier et ceux de février, nous sentons les frémissements d'une reprise de l'économie française en général. Cette relative embellie va notamment bénéficier au secteur du commerce. Au final, il aura fallu un peu de temps pour que nos mesures donnent leur plein effet.
À quelles mesures faites-vous référence ?
Je pense, par exemple, à la mise en place du Crédit d'impôt compétitivité emploi (CICE) en 2014, dont les premiers effets se font vraiment ressentir depuis quelques mois. Depuis le 1er janvier 2015, d'autres dispositifs importants ont également pris effet. Concernant les TPE, nous avons mis en place la suppression des cotisations à l'Urssaf pour les salariés payés au Smic, avec une dégressivité jusqu'à 1,3 Smic.
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Nous entamons également, dès cette année, la suppression progressive de la Contribution sociale de solidarité des sociétés (C3S). Pour les indépendants, nous avons aussi baissé le taux des cotisations patronales d'allocations familiales. Il est désormais de 2,15 %, contre 5,25 % auparavant, soit une baisse de l'ordre de 60 %. Parallèlement, nous avons baissé les cotisations minimales maladie de 976 euros à 246 euros.
Le compte pénibilité est partiellement entré en vigueur le 1er janvier 2015. Mais certaines TPE n'ont encore rien fait pour mesurer les fameux critères visés par le législateur. Que risquent-elles ?
Sur les quatre critères applicables depuis le début de l'année, nous n'avons pas de remontées sur les difficultés de mise en oeuvre. En effet, ils sont facilement quantifiables, puisqu'il s'agit du travail de nuit, de l'activité en trois-huit, du travail en milieu hyperbare et des tâches répétitives. Pour ceux qui ne l'ont pas encore fait, nous en sommes à la première année d'application. Nous ne sommes donc pas dans une logique de sanction, nous privilégions la pédagogie. De plus, les déclarations portant sur ces critères se feront en janvier 2016. Les entreprises ont donc encore le temps de s'organiser !
Pour les autres critères, comme les postures pénibles ou la manutention manuelle des charges lourdes, nous sommes en train de discuter avec les partenaires sociaux. Mais, comme l'a rappelé le président de la République dans ses voeux aux acteurs économiques, le compte pénibilité se mettra en place avec un dispositif pragmatique et simple.
C'est pourquoi Manuel Valls a confié une mission au député Christophe Sirugue et au chef d'entreprise Gérard Huot pour simplifier le compte pénibilité. Il s'agira de rendre un rapport très concret, réalisé avec toutes les fédérations professionnelles, pour adapter la loi aux spécificités de chaque métier. Nous ne voulons pas que cette avancée sociale crée une complexité administrative supplémentaire pour les entreprises.
Autre sujet brûlant pour les petits patrons : le RSI. De nombreux indépendants ont ainsi manifesté et ont crié leur colère dans les rues de Paris au début du mois de mars. Que leur répondez-vous ?
Le gouvernement est à l'écoute des artisans et des commerçants et travaille avec force à améliorer la situation. Nous fixons des objectifs très clairs au RSI.
Nous avons déjà pris plusieurs mesures : désormais, l'accueil téléphonique sera pris en charge par des salariés du RSI, le calcul des cotisations provisionnelles payées pour l'année en cours sera réalisé sur la base du revenu de l'année précédente, contre deux ans auparavant, et nous nommons des médiateurs régionaux. Nous engageons également une mission parlementaire.
Je comprends les attentes très fortes et nous ferons des propositions concrètes, mais nous ne céderons pas à l'instrumentalisation politique de ceux qui, en 2008, mettaient en danger le Régime social des indépendants par une réforme précipitée et mal construite. Aujourd'hui, nous devons gérer les conséquences de ce lourd héritage et je tiens à souligner un point très important : il y a de nombreuses contre-vérités sur le sujet.
Par exemple, un indépendant ne paye pas plus de cotisations qu'un salarié. Si nous prenons les cotisations d'un salarié, il faut additionner les parts salariales et patronales. En faisant ce calcul, nous nous rendons compte que le taux de cotisation global est plus élevé pour un salarié. De même, il est totalement illégal de ne pas être affilié au RSI. Tous les jugements français et européens le démontrent. Le RSI est bien reconnu comme un organisme de Sécurité sociale et les indépendants doivent s'y affilier. C'est une obligation de la Constitution française et de la réglementation européenne.
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Mais au-delà du taux de cotisation, il y a un ressenti...
Concernant les montants des cotisations, ils sont votés par les administrateurs du RSI, qui sont les représentants des commerçants, des artisans et des professions libérales. Si les professionnels veulent avoir des taux moins élevés, cela signifie qu'ils auront une couverture santé moindre. Aujourd'hui, le régime n'est pas à l'équilibre et il bénéficie déjà de l'adossement au régime général de la Sécurité sociale. C'est donc un sujet important et il faut en discuter sereinement.
Mais nous assistons à une manipulation des chiffres. Je comprends que les artisans et commerçants soient excédés car ils sont dans une situation difficile, où l'activité économique est en faible croissance. Ainsi, lorsqu'ils constatent une augmentation des cotisations tandis que leur chiffre d'affaires stagne, c'est le sentiment d'incompréhension qui domine. Je tiens à souligner qu'aucun gouvernement n'a pris autant de mesures en faveur des petites entreprises que le nôtre. Nous diminuons les charges, là où la précédente majorité a mis en place le RSI. Mais je concède que les indépendants verront surtout les fruits de notre travail en 2016.
Existe-t-il donc un décalage entre le temps politique et le temps économique ?
Oui, tout à fait. Mais nous assistons aussi à une manipulation politicienne, par des mouvements populistes. Au lieu de donner des informations sur ce qui change, comme le calcul des cotisations sur l'année N-1 et non plus sur l'année N-2, il y a une volonté de désinformation pour créer toujours plus de mécontentement.
Dans un autre registre, pensez-vous que l'extension de l'ouverture dominicale présentée dans le projet de loi Macron permettra aux commerçants de proximité d'accroître leur chiffre d'affaires ?
De nombreux maires nous ont demandé d'étendre le nombre de dimanches travaillés par an de cinq à douze dans leur commune. La raison ? Ce sont les commerçants de proximité eux-mêmes qui le souhaitent. Je tiens d'ailleurs à souligner que si l'intercommunalité doit être consultée pour ces ouvertures, c'est justement pour qu'il y ait bien une politique commerciale commune sur l'ensemble de la zone de chalandise. Dans une agglomération, si seuls les commerces de périphérie ouvrent le dimanche, cela favorise la grande distribution et pénalise les commerces de centre-ville.
Avec le projet de loi Macron, nous souhaitons avoir une cohérence globale. Soit tout le monde ouvre le dimanche, soit tous les commerces restent fermés. Enfin, pour la rémunération des salariés qui travailleront le dimanche, nous avons mis un seuil minimal qui ne vaut que pour la grande distribution, afin de ne pas pénaliser les petites entreprises.
Quid des commerçants qui, aujourd'hui, ouvrent le dimanche en toute légalité mais qui n'auront pas réussi à signer d'accord avec leurs salariés pour ouvrir le dimanche une fois le projet de loi adopté ?
À l'heure actuelle, nous sommes au début du projet de loi, mais c'est un sujet sur lequel nous travaillons. Car il est important que les petits commerces qui peuvent aujourd'hui ouvrir le dimanche puissent encore le faire une fois la loi adoptée. Nous allons donc adapter la règle aux entreprises de moins de 11 salariés.
Où en sommes-nous exactement, concernant les indications géographiques ?
Le décret sort en avril. Nous avons consulté une dernière fois les organisations professionnelles fin janvier. À noter qu'il existe déjà une dizaine de produits qui sont prêts à obtenir cette indication quand celle-ci sortira.
Nous savons que l'apprentissage est un sujet cher à François Hollande. Pour autant, en 2014, nous avons constaté une baisse du nombre d'apprentis de l'ordre de 3 %...
Le plein effet du doublement de la prime pour le recrutement d'apprentis, qui est passé de 1 000 à 2 000 euros dans les TPE, n'a commencé qu'en fin 2014. Mais nous avons aussi conscience qu'il faut simplifier l'accueil des apprentis au sein des entreprises. C'est pour cette raison que François Rebsamen, ministre du Travail, de l'Emploi et de la Formation professionnelle, a présenté deux décrets : l'un pour permettre aux jeunes de travailler en hauteur, et l'autre pour simplifier les conditions de déclaration des apprentis dans le cadre de travaux à risque. Les deux décrets prendront effet au 1er mai 2015, au début des inscriptions scolaires.
Enfin, quels sont vos chantiers prioritaires dans les mois à venir ?
Tout d'abord, les indications géographiques qui permettent de valoriser les savoir-faire de nos régions et de l'artisanat. Ensuite, nous travaillons sur le droit d'information préalable des salariés lors de la transmission d'une entreprise. La députée Fanny Dombre-Coste vient d'ailleurs de me remettre son rapport. Ses autres propositions, pour réformer la transmission et la reprise des sociétés, seront présentées lors des Assises de l'entrepreneuriat, en juin. Dernier point, le décret concernant les contrats de revitalisation artisanale et commerciale, outils au service des élus locaux, sortira en mai.