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Levée de fonds : est-ce vraiment plus compliqué pour les femmes ?

Publié par Amélie Moynot le | Mis à jour le
Levée de fonds : est-ce vraiment plus compliqué pour les femmes ?

Les femmes ont plus de mal à trouver des financements que les hommes. C'est l'une des principales idées reçues sur l'entrepreneuriat féminin. Mais, en pratique, qu'en est-il réellement ? Quatre dirigeantes témoignent.

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Isabelle Saladin a créé et préside I&S Adviser, une entreprise spécialisée dans l'accompagnement des dirigeants. Il s'agit de sa troisième expérience entrepreneuriale après notamment Art-DV, une plateforme d'achat et vente de produits fait main pour les particuliers. Par deux fois, elle a, à une dizaine d'années d'intervalle, eu l'occasion de lever des fonds pour se développer. "Au démarrage, le plus dur n'était pas d'être une femme, c'était d'être la seule... Aujourd'hui, les femmes sont un peu plus nombreuses", témoigne-t-elle.

Par exemple, dans la tech, sur les 600 start-up ayant levé des fonds, seules 70 étaient dirigées par des femmes, selon un baromètre1 StartHer/KPMG paru en février 2017. Si le bond est spectaculaire (+ 85% sur un an), elles restent minoritaires.

Quels freins ?

"La difficulté est dans la limitation de soi, dans un manque de confiance à la base", analyse Jérôme Gervais, directeur des programmes de la fondation Entreprendre, qui a vocation à soutenir l'entrepreneuriat féminin. Autrement dit, elles se freinent par rapport à la question du financement, "croient que leurs projets ne le valent pas".

"Les principaux freins sont ceux qu'on se crée nous-mêmes", abonde Isabelle Saladin. Et de pointer une tendance des femmes à entreprendre dans des secteurs traditionnellement considérés comme féminins. "Les freins, on les a depuis toutes petites : stéréotypes, idée qu'il y aurait des secteurs "réservés" aux femmes...", explique-t-elle.

Un manque de confiance qui peut créer un biais face aux investisseurs. "Les personnes sont au courant de ce rapport de force. Il est plus facile de toucher les points faibles. Maintenant, une femme qui se place à un bon niveau de confiance, ça ne pose pas de problème", note Isabelle Saladin.

Si être une dirigeante n'a jamais été un problème pour trouver des financements, Juliette Rapinat-Freudiger, à la tête de Loxos, une PME spécialisée dans le mobilier pour les crèches et les hôpitaux ainsi que les solutions de traitement de l'air, reconnaît tout juste la nécessité de "travailler plus que les autres" pour être prête face aux investisseurs et leur inspirer la confiance nécessaire pour s'engager à ses côtés.

Autre facteur qui entre en jeu : "Beaucoup de femmes se lancent dans la création d'entreprise avec l'ambition première de créer leur propre emploi", complète Jérôme Gervais. L'ambition de croître -en utilisant la levée de fonds comme moyen- venant ensuite.

Au-delà des freins "intériorisés", certaines pratiques se font jour. Dirigeante de Moona, une start-up spécialisée dans le sommeil proposant un oreiller régulateur de température, Coline Juin rapporte l'histoire de cette entrepreneuse dans le domaine de la tech et des logiciels, obligée d'avoir recours à des subterfuges pour gagner sa crédibilité : "Avec son associé, ils construisent leurs pitchs de façon à dire les choses deux fois. Et que ce soit lui qui les répète la deuxième fois pour que cela passe mieux. La startuppeuse a aussi observé de meilleurs taux de réponse quand elle envoyait des mails depuis son adresse à lui." Reste que, dans la pratique, beaucoup d'entrepreneuses n'ont pas cette perception.

"L'important, c'est le projet"

"Ce n'est pas une question de genre". Sur la question, plusieurs entrepreneuses ont un avis tranché. L'essentiel se jouant au niveau du projet et des compétences.

Si Isabelle Saladin a échoué dans sa première tentative de lever des fonds, être une femme n'a nullement joué. "C'était aux USA, où être un homme ou une femme, ce n'est pas le sujet. Cela vient de l'éducation, du Vieux Continent. En revanche, j'ai eu à faire à des fonds d'investissement qui n'étaient pas visionnaires, qui n'avaient pas, en 2008-2009, saisi l'impact des plateformes", se souvient-elle. "Face à un fonds d'investissement, pas de question de genre mais d'âge, de maturité et d'investissement sur le dossier", poursuit l'entrepreneuse.

Un avis partagé par Claire Cano, fondatrice en 2012 d'Expedicar, start-up spécialisée dans le transport de véhicules, qui a levé 300 000 euros dans ses six premiers mois d'existence en 2013 puis 2 millions à l'été 2017. "Être un homme ou une femme... je ne vois aucune différence. Ce qui est discriminant, c'est le projet, l'équipe, la croissance et le marché. Il faut un projet qui tienne la route, une croissance déjà prouvée", affirme-t-elle. Coline Juin, en pleine levée de fonds de 500 000 à 600 000 euros pour développer son entreprise, ne dit pas autre chose : "ce qui est important, c'est l'équipe et les personnalités des fondateurs".

De son côté, Juliette Rapinat-Freudiger abonde également. Elle a par deux fois levé des fonds, 1,2 million d'euros en 2008 à la reprise, puis 740 000 euros en 2014 pour remonter au capital de sa société. "La première étape, pour moi, c'était la difficulté à être prise à sérieux quand on a 40-45 ans et qu'on se lance dans une reprise d'entreprise. La première barrière, c'est l'impression de départ".

Et la chef d'entreprise de préciser: "aujourd'hui, être une femme peut être porteur dans un contexte d'égalité homme-femme". A cela s'ajoute que la présence de dirigeantes à la tête des sociétés peut être vue d'un bon oeil par les fonds d'investissement. "Cela crée de la diversité", concède Claire Cano.

Conseils pour réussir

Reste, pour les entrepreneuses qui se lancent dans la levée de fonds, à mettre toutes les chances de leur côté pour réussir. Pour que la démarche porte ses fruits, il est crucial de bien s'entourer. "Les femmes n'ont pas peur de se dire qu'elles ont besoin de quelqu'un. Il y a moins le côté ego", indique Isabelle Saladin.

Et ce, que l'associé soit un homme ou une femme. Le fait d'avoir à faire à une équipe, basée sur la complémentarité des compétences et des points de vue, rassure en effet les investisseurs. La plupart des entrepreneuses interrogées ont d'ailleurs fait ce choix.

Autre bonne pratique : soigner sa préparation. "L'important, c'est de bien se préparer en amont, de faire challenger son dossier avant d'aller voir les premiers investisseurs", estime Coline Juin. Et ne pas se tromper de positionnement. "Pour réussir, mieux vaut être une entreprise dynamique. Il faut prouver qu'une levée de fonds permettra d'accélérer sur son marché et non pas de le découvrir", recommande Claire Cano. Et Isabelle Saladin d'inviter les femmes à oser. "La seule limite, c'est vous !", clame-t-elle. "Arrêtons de se poser ces questions-là. Avant d'être une femme, on est une chef d'entreprise", conclut Juliette Rapinat-Freudiger.

1 Baromètre " Les levées de fonds des start-up tech dirigées par des femmes ", par StartHer, association de femmes entrepreneuses dans la tech, et KPMG, cabinet d'audit et de conseil, parue en février 2017

 
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