[Tribune] "La France doit devenir une nation de vendeurs"
Directrice exécutive chez Bpifrance, Fanny Letier est au coeur du monde des PME et ETI. Cette diplômée de l'ENA, souhaite faire de la France une véritable force commerciale, une nation de vendeurs! Un vibrant hommage pour la vente et ses vendeurs que nous nous devions de partager et de relayer.
Je m'abonneLa France est reconnue comme une nation d'inventeurs, de créateurs. Elle s'illustre depuis longtemps dans les formations d'ingénieurs et récemment, les écoles de codes et de jeux. Elle figure au 3ème rang du TOP 100 Global Innovators, bat des records en termes de création d'entreprises et s'affirme, avec la French Tech, comme une terre d'entrepreneurs.
Mais créer et concevoir des produits, c'est bien, réussir à les vendre, et notamment hors de nos frontières, c'est mieux.
Or sur le plan commercial, le constat reste inquiétant. La balance commerciale française est encore en 2016 en déficit de 48,5 milliards d'euros alors même qu'Airbus a délivré le double de son chiffre d'affaire habituel et que l'Allemagne affiche un excédent de 297 milliards !
Les exportations sont majoritairement le fait de grands groupes : On ne peut laisser notre pays être si dépendant du succès d'Airbus ou du Luxe. Seule 1 PME sur 3 exporte, majoritairement dans l'Union Européenne. Plus de la moitié dans un seul pays. Et à peine 1 PME sur 5 envisage de développer son activité à l'international.
Indéniablement, le facteur culturel pèse dans la balance commerciale. Nous sommes vus comme un pays " romantique et pittoresque "[1]. Nos produits sont considérés comme peu fiables, d'une qualité moyenne pour un prix trop élevé. Par rapport aux produits allemands, ils auraient une moindre fiabilité technique.
Il manque une marque France à l'international à la hauteur de la qualité de nos bureaux d'ingénierie.
Ce facteur culturel est aggravé par la faible valorisation en France de la fonction commerciale : seuls 10 % des diplômés d'écoles de commerce occupent effectivement une fonction commerciale (CGE). Et 10 à 15 % des formations en écoles de commerce sont consacrées à la vente et à la négociation, Management et finance étant privilégiés.
Enfin, la France souffre de l'émiettement de son tissu productif. Les ETI, plus exportatrices que les PME, ne sont pas assez nombreuses pour compenser la dynamique d'internationalisation des grands groupes français qui font de plus en plus du Made in America ou du Made in China.
Pour valoriser pleinement le génie français et ses créateurs, la France doit devenir une nation de vendeurs. Devenir une nation de vendeurs, c'est valoriser partout l'innovation française. C'est d'abord remettre la vente en objectif prioritaire et la valoriser comme telle dans l'entreprise - car il n'y a pas de profit ou d'emplois sans chiffre d'affaires. C'est arrêter de partir du principe que son produit est le meilleur, et cesser de se réfugier derrière cet argument pour ne pas faire l'effort de vente. C'est savoir expliquer, en quelques points, dans la bonne langue, en quoi son produit est différenciant et répond aux besoins du client, et veiller au time to market. En synthèse : croire, investir et développer le marketing.
Savoir vendre, c'est aussi investir dans la compétitivité hors coût, et notamment changer notre manière de voir le design. Le design, ce n'est pas seulement changer la forme d'un produit, c'est changer nos interfaces avec nos clients et la conception même de nos services. Le design façonne l'image de l'entreprise et soutient sa réputation. Les entreprises qui misent sur le design affichent une croissance de 22 % plus élevée que les autres sur 5 ans (Danish Design Council). Elles sont deux fois plus innovantes (British Design Council).
Savoir vendre, c'est arrêter de penser que le produit est le coeur de l'entreprise et mettre le client au centre.
Une nouvelle conception qui va bouleverser les organisations dans les années à venir, rendue possible par la digitalisation en cours dans nombre d'entre elles.
Savoir vendre, c'est travailler la marque, et refléter à travers elle les racines territoriales, familiales et sociales de l'entreprise. Cet ADN et cet ancrage parfois multiséculaire fascinent les nations plus jeunes, et se conjuguent au fil des transmissions avec l'innovation, la qualité, l'excellence à la française.
C'est aussi jouer sur la nouvelle marque France. Celle de la French Fab. Celle qui intègre la French Tech et la French Touch, et développe une approche numérique de la production mais aussi de la relation client.
Enfin, vendre, c'est réussir à créer une relation. Certains pays comme la Chine n'ouvrent leurs portes que sur le fondement d'une connaissance réciproque patiente. Pour aller plus vite, les réseaux sont indispensables. Ces réseaux français existent mais ils sont insuffisamment exploités. Les entreprises françaises doivent jouer plus collectif à l'international.
Il est indispensable de nous remettre en question pour conquérir ou reconquérir les marchés européens et mondiaux. Les bases sont là, il ne reste qu'à définir et créer un nouveau mode de " vendeurs à la française ".
Thomas Edison disait " le génie, c'est 1 % d'inspiration et 99 % de transpiration ". La France est géniale, elle l'est dans ses startups, ses PME industrielles et jusque dans ses artistes et ses mathématiciens. Mais le plus gros du travail reste à faire. Redonner à la vente ses lettres de noblesse, c'est se donner les moyens de gagner des points de croissance.
[1] Étude 2013 réalisée par la Direction générale des entreprises sur les valeurs associées au fabriqué en France.
L'auteur
Diplômée de Sciences Po Paris, de l'ENA et de l'Institut français des administrateurs, Fanny Letier a débuté sa carrière en 2004 à la direction générale du Trésor en tant qu'adjointe au chef de bureau " Entreprises et Intermédiaires d'assurance " avant de devenir conseillère financière à la Représentation permanente de la France auprès de l'Union européenne en 2008.
En 2010 Fanny Letier devient chef du bureau " financement et développement des entreprises " et secrétaire générale du Comité Interministériel de Restructuration Industrielle (CIRI). Avant de rejoindre Bpifrance, Fanny Letier était directrice adjointe de cabinet du ministre du Redressement Productif.
En 2013, Fanny Letier est nommée directrice de Bpifrance Investissement Régions, puis en mars 2015, directrice exécutive chez Bpifrance, direction Fonds Propres PME. Fanny coordonne également les services d'accompagnement de Bpifrance et anime notamment les Programmes Accélérateur PME et Accélérateur ETI.
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