Limitation des congés payés pendant les périodes d'arrêts maladie : conformes à la Constitution mais contraires au droit européen
Le Conseil constitutionnel a jugé, dans sa décision du 8 février dernier, que les dispositions du Code du travail limitant l'acquisition de congés payés pendant les périodes d'arrêts maladie sont conformes à la Constitution.
Je m'abonneCette décision du Conseil constitutionnel ne remet toutefois pas en question les arrêts rendus en septembre 2023 par la Cour de cassation qui ont écarté ces mêmes dispositions au profit du droit européen. Une réponse législative est maintenant attendue.
Le Code du travail (article L. 3141-5) prévoit :
l'absence d'acquisition de congés pendant les arrêts maladie ordinaires ;
la limitation de cette acquisition à la première année pour les salariés en arrêt pour accident du travail ou maladie professionnelle (AT/MP).
Ces règles empêchent les salariés arrêtés pour une maladie d'origine non professionnelle d'acquérir des jours de congés payés pendant leur absence. Par ailleurs, elles limitent, en cas d'AT/MP, l'acquisition des congés payés à la première année de l'arrêt de travail.
Il s'agit des dispositions sur lesquelles la Cour de cassation puis le Conseil constitution se sont dernièrement prononcés.
La position de la Cour de cassation
Dans une série d'arrêts du 13 septembre 2023 (n°22-17.340 ; n°22-17.638 ; n°22-10.529), la Cour de cassation a écarté ces règles limitant l'acquisition de congés payés pendant les périodes d'arrêts maladie en raison de leur non-conformité au droit européen.
En effet, le droit européen et, en particulier, à une directive de 2003, impose aux États membres de prévoir un minimum de 4 semaines de congé annuel pour tous les salariés, qu'ils soient ou non en arrêt de travail.
Ce qui n'est pas le cas avec la législation actuellement en vigueur en France qui a pour effet, dans certaines situations, de réduire à moins de 4 semaines par an le droit à congés.
Tirant les conséquences de cette non-conformité au droit européen, la Cour de cassation a, en septembre dernier, écarté ces dispositions du Code du travail et a posé le principe d'une acquisition illimitée et de plein droit aux congés payés pendant les arrêts de travail pour maladie et quelle qu'en soit la cause.
Depuis ce revirement de jurisprudence de la Cour de cassation, des salariés réclament une indemnisation au titre des congés payés qu'ils n'ont pas pu acquérir pendant leurs arrêts de travail. Or, les employeurs sont confrontés à des incertitudes pour procéder aux régularisations concernant les arrêts maladie passés : combien de semaines de congés payés accorder aux salariés ayant été en arrêt maladie ? jusqu'à quand remonter en arrière ?
En principe, la prescription est de 3 ans. Toutefois, ce délai ne commence à courir qu'à partir du moment où l'employeur informe le salarié de son droit à congés payés et qu'il le met en mesure de l'exercer. Or, dans la mesure où les salariés en arrêt maladie ne continuaient pas d'acquérir des congés payés pendant leurs absences, ils n'ont pas été informés de cette possibilité de prendre les congés en question.
La nouvelle jurisprudence de la Cour de cassation se diffuse au niveau des Cours d'appel (exemple : CA Lyon, 26 janvier 2024, n°20/05547) qui condamnent désormais les employeurs à indemniser des salariés au titre de périodes d'absence y compris très lointaines.
La position du Conseil constitutionnel
Le Conseil constitutionnel a été saisi, en novembre dernier, d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) l'invitant à se prononcer sur la conformité à la Constitution de l'article L. 3141-5 du Code du travail.
Le 8 février dernier (n°2023-1079), le Conseil constitutionnel s'est prononcé sur la conformité des dispositions du Code du travail en matière d'acquisition de droits à congés payés en cas de maladie du salarié. Selon la décision rendue, les dispositions du droit français ne vont pas à l'encontre des principes constitutionnels.
Le Conseil estime que le droit au repos est correctement protégé par les dispositions contestées dans la mesure où le législateur peut « assimiler à des périodes de travail effectif les seules périodes d'absence du salarié pour cause d'accident du travail ou de maladie professionnelle, sans étendre le bénéfice d'une telle assimilation aux périodes d'absence pour cause de maladie non professionnelle. »
De même, le Conseil considère que le Code du travail n'enfreint pas le principe d'égalité puisque la différence de traitement peut résulter de la différence objective de situation. Le salarié en arrêt maladie ordinaire se trouve dans une situation différente que celle du salarié en arrêt maladie d'origine professionnelle (AT/MP). Ils peuvent donc être traités différemment au regard du droit à congés payés.
Autrement dit, pour le Conseil constitutionnel, le législateur pouvait permettre au salarié dont la maladie trouve son origine dans l'exécution même du contrat de travail, d'acquérir des congés, contrairement à celui dont la maladie n'a aucun lien avec cette exécution.
Quelles perspectives ?
Malgré la décision du Conseil constitutionnel, les dispositions restent incompatibles avec le droit de l'Union européenne. Les Juges du travail peuvent continuer à les écarter sur ce fondement dans les litiges portés par les salariés. Les incertitudes restent les mêmes pour les employeurs.
C'est la raison pour laquelle Catherine Vautrin, Ministre du Travail, a indiqué l'intention du Gouvernement d'adapter le droit français au droit européen. La décision rendue la semaine dernière était donc très attendue pour connaître les marges de manoeuvre du Gouvernement.
Le représentant du Premier Ministre a affirmé lors de son audition par les Sages qu'il envisageait de :
- plafonner l'acquisition à 4 semaines de congés pouvant être acquis lors des arrêt de travail pour maladie non professionnelle (alors que les salariés victimes d'un AT/MP acquièrent 5 semaines, ce qui ne serait pas contraire au principe d'égalité) ;
- limiter à 15 mois le report des congés payés acquis par les salariés en arrêt maladie.
Reste à savoir ce que décidera le législateur...
Benoît Cazin exerce une activité spécialisée entièrement dédiée au droit social.
Avocat associé de Spring Legal, il intervient en conseil et en contentieux auprès d'une clientèle d'entreprises et d'organismes professionnels dans tous les domaines du droit du travail, des relations sociales et de la sécurité sociale. Il conseille et assiste les entreprises dans leurs projets, leurs développements et leurs transformations RH, leurs audits, leurs négociations et leurs formations.
Rompu à la recherche de solutions négociées, dans le traitement des risques psychosociaux et dans la lutte contre les harcèlements, il accompagne également les entreprises dans le cadre des enquêtes internes que l'employeur doit diligenter lorsqu'une situation de souffrance a été identifiée.