Quel avenir pour le " barème Macron " ?
L'ambition affichée du barème Macron d'une meilleure visibilité financière en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse est mise à mal par la réticence des Conseils de Prud'hommes à l'appliquer.
Je m'abonneMesure-phare des ordonnances dites " Macron ", le barème des indemnités versées en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse (article L. 1235-3 du code du travail) divise les juridictions.
C'est ainsi, qu'en dépit de la validation du dispositif par le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat, son application est régulièrement écartée par différents Conseils de Prud'hommes. Pour ce faire, les Conseils de Prud'hommes ont suivi l'argumentation de salariés qui ont invoqué la violation, par la loi française, de conventions internationales.
La conformité du barème à la Constitution a été affirmée
Dans une décision du 21 mars 2018, le Conseil constitutionnel a jugé le barème des indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse conforme à la Constitution(1). Pour fonder sa décision, il a considéré que :
- Le législateur a poursuivi un objectif d'intérêt général en renforçant la prévisibilité des conséquences qui s'attachent à la rupture du contrat de travail ;
- Certes le barème prévoit des indemnisations maximales mais celles-ci ne s'appliquent pas lorsque le licenciement est nul.
La question de la constitutionnalité du barème est donc tranchée. Cependant, la décision du Conseil constitutionnel n'a pas définitivement validé le dispositif du barème puisqu'il n'est pas compétent pour se prononcer sur la conformité des lois aux conventions internationales.
Le fait de juger d'une telle conformité, appelé " contrôle de conventionnalité ", relève en effet du Conseil d'Etat d'une part, et de la Cour de cassation d'autre part en fonction de la nature du contentieux en cause (administratif ou judiciaire).
La position du Conseil d'Etat n'a pas convaincu les Conseils de Prud'hommes
Le Conseil d'Etat a jugé, dès le 7 décembre 2017(2), que le barème est conforme à l'article 10 de la convention n°158 de l'Organisation Internationale du Travail et à l'article 24 de la Charte Sociale Européenne.
Pour le Conseil d'Etat, la loi française est bien conforme à ces deux conventions internationales qui exigent une indemnisation adéquate et une réparation appropriée du préjudice subi au bénéfice du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse.
Cette interprétation n'a toutefois pas emporté la conviction des juges judiciaires. En effet, si dans un premier temps les Conseils de Prud'hommes se sont conformés à l'interprétation du Conseil d'Etat(3), un mouvement contraire s'est très vite dessiné.
Aujourd'hui, les deux Conseils de Prud'hommes ayant jugé de la bonne conformité du barème aux normes internationales précitées font désormais figure d'exceptions.
A ce jour, l'application du barème a été écartée par les Conseils de Prud'hommes de Troyes(4), Amiens(5), Lyon(6), Grenoble(7), Agen(8), Bordeaux(9), Martigues(10), Paris(11) et Montpellier(12) au motif que celui-ci ne serait pas conforme à :
- L'article 10 de la convention n°158 de l'Organisation Internationale du Travail ;
- L'article 24 de la Charte Sociale Européenne.
Les jugements des Conseils de Prud'hommes sont néanmoins susceptibles d'un appel et les arrêts d'appel peuvent faire l'objet d'un pourvoi en cassation. Or, en l'état, ni les Cours d'appel ni la Cour de cassation ne se sont prononcées sur ce point.
Conscient de l'enjeu de ce débat, le Ministère de la Justice a pris les devants et a émis, le 26 février 2019, une circulaire à l'attention des Cours d'appel. Le Ministère a ainsi invité ces dernières à informer le parquet lorsqu'une affaire traite de la question de l'applicabilité du barème Macron afin que l'Avocat Général procède à un rappel à la loi lors de l'audience.
La position très attendue de la Cour de cassation
Avant même qu'une Cour d'appel se prononce, le Conseil de Prud'hommes de Louviers a récemment saisi la Cour de cassation d'une demande d'avis sur ce point(13).
Il n'est pourtant pas certain que la Haute juridiction accepte de rendre un tel avis. La Cour de cassation pourrait considérer, comme elle l'a déjà fait par le passé(14), que la question de la conventionnalité d'une disposition ne relève pas de la procédure d'avis. Elle attendrait alors qu'un pourvoi soit déposé à ce sujet pour rendre un arrêt qui ferait alors autorité.
En attendant la position de la Cour de cassation, chaque employeur doit conserver à l'esprit la relative prévisibilité offerte par le barème Macron, celui-ci étant désormais régulièrement remis en cause et écarté par les Conseils de Prud'hommes.
Souhaitons que la Cour de cassation clôture rapidement cette saga judiciaire. Elle seule dispose de l'autorité nécessaire pour unifier la jurisprudence.
Pour en savoir plus
Stéphanie Zurawski
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Stéphane Flichy du cabinet Guillemin Flichy, assiste une clientèle française et étrangère sur des problématiques commerciales, sociales et pénales, tant en conseil, qu'en contentieux.
Il est notamment sollicité pour gérer des situations de crise, mettre en place des solutions amiables et évaluer les risques liés à des situations précontentieuses dans le cadre d'opérations corporate.
[1] Cons. const., 21 mars 2018, n° 2018-761 DC
[2] CE, 7 décembre 2017, n° 415243
[3] CPH Le Mans, 26 septembre 2018, n° 17/00538 et CPH Caen, 18 décembre 2018, n° 17/00193
[4] CPH Troyes, 13 décembre 2018, n° 18/00036
[5] CPH Amiens, 19 décembre 2018, n° 18/00040
[6] CPH Lyon, 21 décembre 2018, n° 18/01238
[7] CPH Grenoble, 18 janvier 2019, n° 18/00989
[8] CPH Agen, 5 février 2019, n° 18/00049
[9] CPH Bordeaux, 9 avril 2019, n°18/00659
[10] CPH Martigues, 26 avril 2019, no 18/00168
[11] CPH Paris 22 janvier2018 n° 18/00964
[12] CPH Montpellier, 17 mai 2019, n° 18/00152
[13] CPH Louviers, 10 mai 2019, n° 17/00373
[14] Cass. soc., avis n° 17011 du 12 juillet 2017