[Tribune] L'état doit payer les entreprises pour le travail qu'il leur impose
Les réformes liées à la protection sociale, notamment la déclaration sociale nominative, apporte un gain de productivité pour l'administration mais pas pour l'entreprise. Ce coût administratif devrait même être remboursé aux dirigeants.
Je m'abonneQuand on demande à un entrepreneur Français ce qui le freine dans le développement de son activité, l'instabilité de la législation applicable arrive dans le peloton de tête.
Selon un sondage réalisé par l'Ifop, les patrons ne consacrent que 13% de leur temps aux activités commerciales. 34% regrettent de devoir affronter une complexité administrative toujours plus forte. Ainsi un tiers des chefs d'entreprise n'ont plus le temps de s'occuper du développement de leur outil professionnel. Le changement permanent de la législation ne contribue pas à améliorer cette situation.
Il faut le reconnaitre, pour ce qui est des changements permanents, la protection sociale emporte la palme !
Ainsi, pour les seules années 2015 et 2016, 4 réformes majeures impactent les entreprises dans le domaine de la protection sociale : mise en place de la Déclaration Sociale Nominative (DSN), déploiement du compte pénibilité, généralisation de la complémentaire santé, et mise en conformité des contrats santé avec les nouveaux critères responsables. Et l'on ne compte pas les dizaines de lois insérant en leur sein des dispositions concernant la protection sociale (Loi annuelle de financement de la Sécurité sociale, loi Macron...).
Ces changements permanents ne sont pas l'exclusivité de l'actuelle équipe au pouvoir et ne concernent pas que la situation des salariés. Les travailleurs indépendants subissent aussi cet état de fait. Les dysfonctionnements du RSI, création initiée en son temps par Renaud Dutreil, Ministre des entreprises sous Jacques Chirac, sont encore dans tous les esprits 10 ans après.
De même, en 2017 ces changements se poursuivront avec les nouvelles règles de présentation du bulletin de paye (pour les employeurs de 300 salariés et plus et du 1er janvier 2018 pour les autres employeurs).
Les critiques émises à l'encontre de cette situation se cantonnent généralement à déplorer cette situation. Mais les propositions concrètes pour y remédier se font rares. Les lois semestrielles sur la simplification sont illusoires, les obligations nouvelles sont supérieures chaque année aux obligations supprimées.
Plus de 260 euros pour une TPE
Pourtant, l'impact de cet "Impôt Social Administratif" est tout sauf anecdotique.
Qu'on y songe, entre les mises à jour informatiques et le temps passé à se former puis à mettre en oeuvre, le coût mensuel payé par l'entreprise est tout sauf anodin. Dans le cas présent, l'intervention du cabinet - calculée quasiment au prix coûtant - est facturée mensuellement avec un forfait de 20 € auquel il faut ajouter 2€ par salarié. Cela fait pour une entreprise avec 1 salarié (240 € + 24€) soit 264 € par salarié, pour 10 salariés (240 € + 240 €) soit 48 € par salarié et enfin pour 50 salariés (240 € + 1200 €) soit 28,80 € par salarié et par an.
Dire que la DSN constitue une avancée est exact. Mais dire qu'elle apporte des gains de productivité est vrai pour l'Administration.....pas pour les entreprises.
Pour les indépendants touchés par les dysfonctionnements du RSI, le coût caché en temps perdu par les entrepreneurs comme par les experts-comptables peut être évalué à plusieurs centaines d'euros par an pour un dossier sans complexité particulière. Pour les dossiers les plus lourds, les sommes en question peuvent monter jusqu'à plusieurs milliers d'euros.
Ne nous y trompons pas, l'Etat est légitime pour imposer les changements de législation devant être appliqués par les salariés comme par les entreprises. Mais nul ne comprend qu'il ne soit responsable des dépenses de gestion dont il se défausse à l'égard des entreprises.
Ce qu'il faudrait faire
Cet Impôt Social Administratif recouvre en réalité plusieurs situations :
- Mise en place d'un outil de simplification comme la DSN : il faut évaluer ce que cela fait gagner aux entreprises mais aussi à l'Etat en termes de gestion. D'autant plus qu'en cette période de rodage, les entreprises ont la charge de tester ce nouveau dispositif en continuant à produire les déclarations de charges sociales et la déclaration annuelle des salaires c'est-à-dire à faire les choses en double.
- Instauration d'une nouvelle obligation (compte pénibilité, mutuelle santé et conformité des contrats responsables): les entreprises supportent un coût administratif dont elles ne sont pas responsables et qui pèse sur leur compte de résultats. Ce coût doit leur être remboursé au moyen d'un crédit par salarié s'imputant sur les cotisations sociales prélevées par les Urssaf.
- Compensation d'un dysfonctionnement grave imputable à l'Etat (gestion du RSI) : les coûts subis par les indépendants doivent être intégralement compensés par l'Etat qui s'est montré totalement défaillant dans l'application de la réforme.
Pour aller au bout de cette réforme et impliquer vraiment les acteurs concernés, le processus à mettre en oeuvre est au final assez simple :
- Pour chaque réforme entraînant une dépense de gestion supplémentaire, évaluation de l'Impôt Social Administratif par une commission composée d'élus du Parlement, d'organisations patronales et syndicales et d'experts-comptables habilités.
- Le remboursement par salarié peut prendre la forme d'un versement forfaitaire annuel imputable sur les cotisations sociales obligatoires.
Lire aussi : Ce que la loi PACTE a changé, s'agissant de la réforme de la retraite des indépendants !
- Dans le cas du RSI, l'indemnisation doit être proportionnelle au préjudice subi.
Cette réforme de bon sens va dans le sens d'une économie adulte et respectueuse des différents acteurs concernés. Elle conduira aussi l'Etat à s'interroger sur la pertinence des réformes permanentes qu'il impulse sans toujours se demander si elles sont vertueuses et aisées à mettre en place dans la vraie vie des entreprises. Il y va de notre compétitivité économique et de nos emplois.
Les auteurs
Bruno Chrétien est Président de l'Institut de la Protection Sociale. Rolland Nino est expert-comptable et directeur général du cabinet BDO.