Pourquoi les PME peinent à se transformer en ETI ?
Le tissu économique français compte essentiellement des TPE et PME et peu d'ETI. Trois dirigeants, qui ont réussi à faire grandir leur structure, donnent leurs explications à ce phénomène.
Je m'abonneLa question revient inéluctablement : pourquoi la France ne parvient pas à faire émerger plus d'ETI ? Selon l'étude conjoncturelle 2018 de l'Insee, l'Hexagone compte près de 5800 entreprises de taille intermédiaire (ETI). Un fossé et un réel déséquilibre comparé aux 4 millions de TPE et PME, véritable poumon économique du territoire. Le constat est encore plus palpable à l'échelon européen, l'Allemagne dénombrant environ 13 000 ETI et le Royaume-Uni, une dizaine de milliers.
C'est un fait, les entreprises françaises de moins de 250 salariés peinent à passer à la vitesse supérieure. Pour les dirigeants de PME ayant réussi la transition de leur structure en ETI, les raisons sont nombreuses. À commencer par un environnement peu propice, comme l'estime Pierre Cesarini, p-dg de Claranova, un groupe technologique comptant 450 salariés et ayant généré 200 millions d'euros en 2018, avec une croissance de 60% lors du dernier trimestre.
Manque d'infrastructures
Selon lui, les pouvoirs publics nationaux mettent davantage l'accent sur l'émergence des start-up au détriment des structures de taille moyenne, notamment dans le domaine informatique : "Entre 2010 et 2015, d'importants efforts ont été consentis en faveur des start-up. Mais, il n'y a toujours pas de GAFA français, ni de leaders mondiaux et très peu d'ETI", explique-t-il en précisant ne pas vouloir créer d'antagonismes entre les deux écosystèmes. L'entrepreneur illustre son propos par une métaphore : "les jeunes pousses devraient être incitées à devenir des baobabs", regrette-t-il.
Pour lui, la France n'offre pas assez d'infrastructures propices à l'épanouissement des jeunes entreprises, une fois la phase d'amorçage opérée. Une situation paradoxale : "le système éducatif français est de grande qualité et génère une profusion de très bons ingénieurs. Le tissu est présent", avance-t-il.
Un point de vue partagé par Jean-Vincent Raymondis, dg de Saretec, société de prévention et de gestion des risques, employant près de 1400 personnes. Il estime que le cadre et l'environnement hexagonal reste moins développé que celui d'autres pays européens pour faire croître les entreprises. Une gabegie de son avis, au regard d'un potentiel de croissance avéré : "entre 2010 et 2015, les ETI françaises ont généré plus de 300 000 emplois. Sur la même période, il y a eu 90 000 suppressions de postes dans les grands comptes", argue-t-il en se référant à une étude de l'Institut Montaigne réalisée début 2018.
Le problème de la formation
L'entrepreneur pointe un autre écueil pour les PME dans leur quête de développement : la formation. "Aujourd'hui, c'est le combat numéro un", glisse-t-il. Pour lutter contre cette situation, il a réalisé des partenariats avec des universités pour former ses collaborateurs, par le biais de l'alternance.
Sa société a dû opérer une transition numérique. Avec, en toile de fonds, le développement de nouvelles solutions utilisant des algorithmes ou encore l'imagerie satellitaire, nécessitant de la main d'oeuvre hautement qualifiée. Une opinion partagée par Nicolas Chartier, co-fondateur d'Aramisauto.com : "il y a en France un vrai travail à effectuer au niveau de la compétence et de la formation, c'est un frein majeur. Notamment quand on recherche en permanence des talents", abonde-t-il.
Lire aussi : La Minute Du Boss : La rentabilité pour injonction : nouveauté salutaire ou effet de mode passager ?
Le chef d'entreprise possède un regard avisé sur le passage de PME à ETI. La célèbre société de vente de voitures d'occasion, fondée en 2001, était l'une des premières start-up françaises, avant de connaître un fort développement, la conduisant au rachat par le groupe PSA en 2016. La société, où il assure toujours la gouvernance, compte à ce jour 500 collaborateurs en France, en Belgique et en Espagne. Elle a réalisé un chiffre d'affaires de 650 millions d'euros au cours de l'exercice 2018.
Lire aussi : L'industrie doit redevenir un parcours d'excellence
La nécessité de trouver des financements
Nicolas Chartier voit un autre obstacle au développement des PME : une relative instabilité des pouvoirs publics. "Les politiques sociales et fiscales changent énormément, notamment les taxes ou les taux employés dans le domaine de l'actionnariat salarié. Les entrepreneurs ont besoin de stabilité pour fluidifier le marché", expose-t-il. De même, L'entrepreneur a pu observer une dernière entrave à la croissance de son entreprise avec la recherche de financement.
Avant l'entrée au capital d'actionnaires majoritaires, Aramisauto.com s'est autofinancée et a réalisé une première levée de fonds en 2010. A cette époque, la structure était déjà rentable. Reste qu'à la genèse de l'entreprise, les fondateurs n'avaient pas réussi à financer un centre d'appels à Rennes : "très vite, on s'est rendu compte qu'aller chercher des fonds était bien trop chronophage", se souvient-il.
Pierre Cesarini, quant à lui, souligne l'importance de disposer d'une assise financière conséquente pour continuer à grandir. Une obligation dans son secteur d'activité : "Devenir un leader technologique générant un milliard d'euros demande un apport minimal de 300 millions d'euros", évalue-t-il. Et ce, dans l'optique d'une stratégie de build-up et d'acquisition, visant à acheter ses partenaires et ses concurrents en guise de levier de croissance.
Une position convergente à celle de Pierre Chartier : "une entreprise dont le projet est de devenir leader sur son marché doit financer sa croissance grâce à un apport de fonds important", avant de dresser un ultime constat : "la France est un trop petit marché pour créer un champion", lance-t-il. Ce que le p-dg de Claranova, loin de démentir, illustre en donnant la part du marché français dans son activité : "il ne représente que 4% de notre chiffre d'affaires, à l'image de la place la France dans l'économie internationale, oscillant entre 4 et 6% du PIB mondial", conclut-il.