"Intégrer l'outil de travail dans le champ de l'ISF serait très grave"
Le gouvernement pourrait réformer l'impôt sur la fortune, alias l'ISF, en supprimant notamment l'exonération touchant les biens professionnels, selon “Les Échos”. Une mesure très grave, selon Emmanuel du Douët, associé chez Bignon Lebray, tant pour les entrepreneurs que l'économie française...
Je m'abonneSelon l'article des Échos paru le 24 août, le gouvernement songerait à réformer l'impôt sur la fortune, alias l'ISF. Deux mesures envisagées semblent très préoccupantes pour les entrepreneurs : la suppression de l'exonération totale touchant les biens professionnels et le dispositif ISF-PME, qui ne permettrait plus que la déduction de 25 % des sommes investies dans une PME non cotées (contre 50 % aujourd'hui).
« Intégrer l'outil de travail dans le champ de l'ISF est très grave, s'exclame Emmanuel du Douët, associé et responsable du département fiscal du cabinet d'avocats Bignon Lebray. Beaucoup de chefs d'entreprise détenant, seul ou avec leur groupe familial, 25 % du capital de l'entreprise ne pourraient pas ou plus payer leur ISF ! Ils n'auraient alors pas d'autres solutions que de se verser des dividendes pour payer l'impôt supplémentaire, hypothéquant ainsi la capacité de développement de leur entreprise... Ces sommes ne pourront plus être réinvesties, appauvrissant ainsi l'entreprise. »
Se pose également l'épineuse question de la valorisation des entreprises non cotées
Comment déterminer ce qu'elle vaut pour déclarer son montant à l'administration fiscale ? « Il n’y a pas de vérité absolue pour la valeur d’une société non cotée ! Cela ne peut générer que des contentieux considérables avec l'administration. Notamment lorsque cette dernière procède par comparaison avec des entreprises qu’elle juge comparables, sur la base de faits auxquels le contribuable ne peut avoir accès (secret fiscal oblige). Sans compter l'argent et le temps consacrés chaque année par le dirigeant pour faire estimer son entreprise, car, à la différence d'un bien immobilier, la valeur d'une entreprise peut fortement évoluer d'une année sur l'autre. »
Enfin, cette mesure précipiterait un peu plus l'exil fiscal des entrepreneurs, mais surtout la vente des PME
« Quand une personne délocalise son domicile fiscal mais garde des participations dans des entreprises en France, elle reste potentiellement imposable sur la valeur de ces participations, sauf exonération au titre de son outil de travail. Si ce dernier est intégré à l'ISF, les dirigeants souhaiteront alors céder leurs actions. Les principaux acheteurs ? Des grandes sociétés, des personnes morales qui ne sont plus contrôlées par un actionnariat familial, les personnes physiques ne se précipitant pas, sous peine d'être assujetties à l'ISF ! Je constate qu'aujourd'hui de plus en plus de clients envisagent de faire le sacrifice de vivre en dehors de nos frontières, estimant qu'il y a des limites à la pression fiscale... »
Et freinera la création d'entreprise en France...
"Si les biens professionnels ne sont plus exonérés d' ISF, le nombre de contribuables assujettis à l' ISF va augmenter : cette augmentation va concerner principalement tous les dirigeants d' entreprises qui détiennent dans cette entreprise une participation qualifiée de bien professionnels mais qui, hors biens professionnels, ont un patrimoine net (appartement, + avoirs financiers +... moins les emprunts) inférieur au seuil de 1 300 000 d'euros, précise l'expert du cabinet d'avocats Bignon Lebray. Sans oublier tous les jeunes entrepreneurs qui ne se distribuent pas de dividendes et se versent des salaires de cadres moyens pour que leur entreprise se développe sans qu' ils en perdent le contrôle. Or la valeur de leur bien professionnel peut augmenter très rapidement et atteindre en quelques années plusieurs millions d' euros, notamment dans le secteur des nouvelles technologies. Or ce sont les jeunes entrepreneurs qui sont les plus mobiles..."
Peu probable que l’exonération des biens professionnels soit remis en cause
À côté de cette mesure, le coup de rabot apporté à la réduction d’ISF pour investissement dans les PME paraît presque anecdotique ! Une astuce pour mieux faire passer la pilule ? « Les acteurs du private equity sont probablement convaincus que c'est un coup dur porté à l'investissement dans les PME. Et il est incontestable que le financement des PME encouragé par cette exonération est réel. Le calcul pour un contribuable assujetti à l'ISF est vite fait : quitte à verser de l'argent à l'administration, autant le donner à une PME et, cerise sur le gâteau, obtenir une plus-value à leur sortie. Mais l'impact de cette mesure ne sera rien à côté de ce que représenterait la suppression de l'exonération des biens professionnels. C'est pourquoi je pense sincèrement que la probabilité que ces changements voient le jour est forte pour la réduction ISF-PME et très faible s’agissant de l’exonération des biens professionnels. »
Emmanuel du Douët, associé et responsable du département fiscal du cabinet d'avocat Bignon Lebray.