Entreprise en difficulté : les 4 étapes du redressement
Retourner une entreprise pour lui rendre sa profitabilité nécessite de la méthode. Pour réussir, mieux vaut néanmoins se faire accompagner. Mais tout d'abord, un état des lieux s'impose.
Je m'abonneVotre PME est dans le rouge ? Les difficultés considérées comme passagères perdurent ? La situation s'envenime ? Pour éviter la casse, la direction d'une entreprise en difficulté peut envisager le retournement comme solution de sauvetage. Pour ce faire, il faut procéder par étapes.
1. Éclairer la situation et ouvrir les yeux
Lorsqu'une PME traverse une zone de turbulence, des signaux alertent son dirigeant. "Beaucoup ne réalisent pas l'ampleur de la tourmente, se referment sur eux-mêmes en ignorant les signaux faibles pourtant présents", observe Jean-Philippe Angelier, dirigeant du cabinet de conseil financier Oxigen. La période, douloureuse, est propice à la perte de repères et de sang-froid.
Or, indique le consultant, "c'est en établissant un diagnostic objectif et précis, qu'il devient possible d'apporter des solutions". Le trou de trésorerie sert souvent de déclencheur. La spirale est connue : lorsque les problèmes de cash apparaissent, rapidement les fournisseurs réduisent les délais de paiement, voire les suppriment car ils craignent un dépôt de bilan. De leurs côtés, les banquiers s'agacent, les assureurs de crédit sont aux abonnés absents et les créanciers publics menacent de saisir les comptes.
Comment sortir de l'ornière ? En admettant la réalité et en dressant un état des lieux. Pour identifier les causes de la crise, il est important de se faire accompagner par un conseil extérieur, moins impliqué affectivement. Les cabinets spécialisés en réorganisation et restructuration peuvent vous aider. Une autre solution consiste à s'adresser aux chambres consulaires ou aux structures régionales, comme l'Agence de Développement et d'Innovation Nouvelle Aquitaine par exemple qui propose un accompagnement.
2. Établir un plan d'actions
"Construire un scénario prudent permet de s'y tenir et de redonner confiance aux partenaires de l'entreprise", estime Jean-Philippe Angelier. Le plan de sortie de crise, établi sur plusieurs mois, joue sur différents leviers, déterminés selon l'origine du mal. Certains sujets à aborder sont communs à bon nombre de dossiers : réduction des coûts, négociation des délais de paiement de la dette et restructuration de l'activité. "Il faut peut-être dynamiser la force commerciale et la suivre de plus près, stopper les recrutements ou les réduire, voire rogner le budget dédié au marketing et à la communication", suggère Jean-Philippe Angelier.
Selon les cas, il faut savoir se séparer de dirigeants inefficaces. "Lorsque nous commençons à travailler sur un dossier, nous analysons les profils et actions des membres du comité de direction. Il y a dans les entreprises quelques fonctions clés - marketing, production, supply chain, commerce, DRH, DAF - avec lesquelles nous passons beaucoup de temps" , témoigne Jean-Louis Grevet, associé Perceva, société spécialisée dans le soutien et l'accompagnement des entreprises en difficulté. "Nous investissons dans les entreprises - le coeur du besoin oscillant entre 10 et 50 M€ en fonds propres en moyenne - nous devenons donc actionnaires, il nous arrive parfois de nous séparer d'un dirigeant ayant fait des bêtises et de recruter une équipe solide", ajoute-t-il.
Témoignage
"Il a fallu trois ans pour retourner l'entreprise"
Bruno Blaser, président d'Emova Group
Avec ses 5 marques - Monceau Fleurs (l'enseigne premium historique), Coeur de Fleurs (ex Rapid'Flore), Happy, Au nom de la Rose (rachetée en 2016) et Bloom's (rachetée en 2018) - Emova Group génère un volume d'affaires de 114,4 M € via 392 magasins en franchise et reprend des couleurs. La société, à l'origine familiale, qui a mal géré sa croissance, ratant notamment l'intégration de l'enseigne Rapid'Flore, s'est sortie d'un plan de sauvegarde en 2017 grâce à l'intervention du Fonds Perceva, spécialiste du retournement et du management.
Avant la reprise, en 2013, la dette s'élève à 35 millions d'euros. Au 30 septembre 2017, elle n'est plus que de 6,3 millions d'euros. "Il a fallu trois ans pour retourner l'entreprise", indique Bruno Blaser. La nouvelle direction a d'abord fermé la centrale d'achat, non compétitive, génératrice de pertes importantes et a défini un nouveau modèle de référencement afin d'assurer l'approvisionnement des magasins. "Une décision difficile", commente Bruno Blaser. Puis elle est partie à la reconquête de ses franchisés - le franchiseur ayant cessé de remplir ses devoirs envers ses partenaires - le capital confiance s'était largement érodé et les batailles juridiques multipliées.
Pendant la crise, 48 franchisés ont quitté le groupe en France, six à l'étranger. "Nous avons stabilisé le business des franchisés et mis en place un plan stratégique avec une politique commerciale dédiée à la redynamisation des points de vente, baissé les taux de redevance pour les inciter à renouveler leurs contrats, aménagé les contrats pour qu'ils se sentent libres de partir au bout de trois ans, etc." explique Bruno Blaser.
Le management, lui aussi stabilisé, a permis de rétablir la relation de confiance. "Aujourd'hui, nous continuons de travailler sur les marques et nous reprenons la main sur les achats pour être maître des approvisionnements, regagner de la compétitivité et améliorer la qualité du produit", ajoute Bruno Blaser. Preuve que la franchise est à nouveau sur les rails, Monceau Fleurs a ouvert 17 magasins en 2018 et 24 ouvertures sont programmées en 2019.
Emova Group
Activité : franchise distributeur de fleurs
Siège social : Paris (VIIIe)
Président : Bruno Blaser, 56 ans
SAS > 175 salariés
Volumes d'affaires sous enseignes : 114,4 M€
CA Emova Group 2017 : 20,161 M€
A savoir
L'ARE (l'Association pour le Retournement des entreprises) regroupe les professionnels impliqués (avocats, experts-comptables, conseils, mandataires ad hoc, fonds d'investissement, etc.) et publie un annuaire de ses membres sur son site www.are.fr
3. Rassurer les salariés
Lorsqu'une entreprise est en perte de vitesse, ses salariés s'en rendent compte. Ils voient le carnet de commandes s'alléger, les contrats commerciaux non renouvelés, l'ambiance se détériorer, etc. L'inquiétude des dirigeants est palpable. "Nous devons expliquer les actions mises en oeuvre aux équipes", souffle Jean-Louis Grevet. Le plan de sauvetage est exposé au comité d'entreprise, les dirigeants doivent faire preuve de pédagogie pour commenter la situation et communiquer leur stratégie pour en sortir.
Il s'agit surtout de remotiver les ressources qui font la sève de la PME, voire de recruter d'autres talents pour apporter un nouveau souffle et préparer l'avenir. L 'enjeu est également de stabiliser le management de l'entreprise, en constituant le cas échéant une nouvelle équipe rassemblant les cadres dirigeants qui restent en place et les nouvelles recrues, sans mettre en péril le savoir-faire. Seul un top management efficace et solidaire peut accompagner le retournement de l'entreprise et rétablir la confiance. Les départs sont quant à eux gérés et négociés au cas par cas, certains collaborateurs souhaitant partir.
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4. Assurer le suivi du plan de restructuration
Une fois le plan d'actions sur les rails et les équipes à la manoeuvre, le chef d'entreprise doit contrôler que les objectifs fixés sont bel et bien atteints. Pas question de laisser à nouveau filer les déficits ! "Le manager doit se rendre disponible, il doit par exemple surveiller le reporting commercial. Si le chiffre d'affaires prévu n'est pas réalisé, il est essentiel d'identifier quel commercial est en difficulté pour l'accompagner", ajoute Jean-Philippe Angelier.
Progressivement, l'étau se desserre, il est temps de réviser les financements bancaires, renégocier certains contrats et, notamment, les délais de paiements avec les partenaires (fournisseurs, créanciers publics, etc.) La stratégie de l'entreprise a peut-être besoin d'être réorientée pour attaquer un nouveau marché.
"Nous avons rejoint Shark, le fabricant marseillais de casques de motard. Concrètement, nous l'avons recapitalisé, remis en ordre de marche - notamment en réduisant sa dette, en améliorant la supply chain et le marketing. Ensuite, nous avons repris une belle marque de vêtements du même secteur afin de réunir les deux PME au sein d'un groupe, leader dans son secteur", raconte Jean-Louis Grevet. Perceva a passé la main lorsque le dirigeant a souhaité accélérer et attaquer le marché des États-Unis. La durée de l'accompagnement dépend de la capacité qu'a l'entreprise à rebondir et de la volonté de ses dirigeants.
Témoignage
"Nous avons appris à piloter la trésorerie"
Julie Gnuva, gérante de Tonic Group
Sous-traitant industriel dans le secteur de l'énergie, l'entreprise familiale dirigée par Julie Gnuva perd soudainement 50 % de son chiffre d'affaires pendant la crise de 2008-2009. Dix ans plus tard, elle a renoué avec la croissance. Après avoir racheté deux entreprises dans le même secteur d'activité, en 2011 et en 2017, conservées et étoffé ses équipes, le groupe Tonic se compose aujourd'hui de trois entités : Dgin (décolletage de la pièce simple à très complexe), Dbg (pièces pour le passage de fluide) et Fizz (pièces inox et matériaux spécifiques).
Les clients sont revenus, de nouveaux les ont rejoint, portant le CA 2018 de Dgin à 7,3 M€, celui du groupe à environ 11 M€. "En 2008, la crise a peu à peu affecté tous les secteurs industriels. Nos sociétés sont très capitalistiques, nous investissons en moyenne 10 % du CA annuel pour rester à la pointe. En perdant la moitié de notre CA, nous avons aussi perdu notre capacité à rembourser les emprunts", se souvient la présidente du groupe. Accompagnée par le cabinet Oxigen, la direction met en place un plan d'action. "Nous avons appris à piloter la trésorerie. Nous étions déjà équipés d'outils pour piloter l'exploitation mais, grâce à Oxigen, nous avons commencé à surveiller plus finement la trésorerie, qui est le nerf de la guerre", confie Julie Gnuva.
Un gros travail de négociation de la dette a également été mené auprès des banques et de l'État. "Côté RH, nous avons utilisé le dispositif "Former plutôt que licencier" afin de proposer aux salariés - une quarantaine à l'époque - de suivre des formations plutôt que d'être en chômage technique", ajoute la dirigeante. Résultat, la cohésion d'équipe a été conservée et la crise mieux vécue par les collaborateurs.
Groupe Tonic
Activité : spécialiste du décolletage
Siège social : Scionzier (Haute-Savoie)
Gérante : Julie Gnuva, 40 ans
SARL > création en 1969 > 70 salariés
CA 2018 : 11M€