L'après Covid-19 : l'assurance des pertes d'exploitation des entreprises
La crise du Covid-19 a contraint de nombreux secteurs à cesser leur activité, tandis que d'autres entreprises accusent des pertes considérables de chiffre d'affaires.
Je m'abonneLa majorité des entreprises sont assurées contre les pertes d'exploitation, mais sous certaines conditions qui ont déclenché une polémique inédite, obligeant le ministre de l'Économie et des Finances à intervenir.
Des garanties de pertes d'exploitation plus larges qu'en apparence
La quasi-totalité des entreprises, quelle que soit leur taille, sont couvertes par un contrat d'assurance dit de " dommages aux biens ", qui comprend une couverture en cas de dommage garanti par le contrat, tel que le vol, l'incendie ou le dégât des eaux. La majorité de ces polices d'assurance comportent en outre une garantie de pertes d'exploitation, qui couvre les entreprises contre des pertes substantielles de marge brute suite à la survenance d'un sinistre. La perte d'exploitation est donc couverte à la condition qu'elle soit la conséquence d'un dommage matériel garanti tel que ceux cités plus haut. Or, les assureurs ont collectivement communiqué sur le fait que les pertes d'exploitation des entreprises dans le cadre de la crise actuelle ne seraient pas couvertes. La justice vient d'affirmer le contraire dans une décision condamnant Axa à indemniser un restaurateur fermé pendant la crise, dans une décision très remarquée, qui a contraint le directeur général d'Axa, Thomas Buberl, à intervenir. Ce dernier a indiqué que " moins de 10 % " des assurés étaient concernés par ce cas. Moins de 10 %, cela représente des dizaines de milliers d'entreprises.
Des possibilités de garantie
Il existe pourtant deux cas dans lesquels ces pertes sont bien couvertes, malgré l'absence d'un dommage matériel. Le premier est celui de la garantie de pertes d'exploitation sans dommages, qui nécessite l'existence d'une cause contractuelle, par exemple la fermeture administrative de l'entreprise. Le second, plus fréquent, est celui d'une garantie de pertes d'exploitation présentée comme subordonnée à un dommage, mais dont la rédaction maladroite a détaché la garantie de pertes d'exploitation, qui devient donc une garantie autonome. Or, le droit français prévoit que le doute en matière contractuelle est toujours interprété au bénéfice de l'assuré. L'assuré peut alors se prévaloir de sa garantie de pertes d'exploitation et ce, même en l'absence de dommage matériel garanti.
Gestes commerciaux ou réduction des risques ?
La communauté des compagnies d'assurance parle d'habitude comme un seul homme. Or, elle se fracture aujourd'hui car les pertes d'exploitation qui découlent de la crise en cours sont massives et concernent toutes les tailles d'entreprise. La MAAF a par exemple annoncé que l'indemnisation de ses clients restaurateurs ayant souscrit une garantie couvrant les pertes d'exploitation sans dommages directs atteindrait un montant de 190 millions d'euros . À titre de geste commercial, Crédit Mutuel-CIC a annoncé verser à ses clients ayant souscrit une assurance multirisque professionnelle avec pertes d'exploitation une prime de relance comprise selon les professionnels concernés entre 1 500 et 20 000 euros, soit 7 000 euros versés en moyenne à chaque assuré, pour un montant total mobilisé de 200 millions d'euros.
Mais certains concurrents soupçonnent Crédit Mutuel-CIC de limiter son risque en faisant signer à ses clients l'acceptation de ces " primes de relance ", afin qu'ils ne réclament pas les indemnités qui leur serait dues au titre du contrat " maladroitement rédigé ". Le banquier mutualiste aurait organisé cette manoeuvre dans le but de réduire une lourde facture, alors que les engagements des 30 000 assurés de Crédit Mutuel sont évalués à près de 2 milliards d'euros.
Des indemnisations record pour toutes les tailles d'entreprises
Du point de vue de l'entreprise assurée, les pertes d'exploitation indemnisables ne sont pas négligeables, quelle que soit la taille de la société concernée. À titre d'exemple, un magasin de mobilier et d'électroménager réalisant un chiffre d'affaires annuel de 12 millions d'euros subit un sinistre rendant impossible une partie de son activité. Alors que le magasin n'enregistre un chiffre d'affaires que de 2 millions d'euros l'année suivant le sinistre, l'expert en pertes d'exploitation retient une indemnisation à hauteur de 1,5 million d'euros. Dans un autre secteur, un fabricant de matière plastique réalisant un chiffre d'affaires de 8,5 millions d'euros par an encaisse un sinistre qui paralyse la totalité de son activité pendant 3 mois et génère ainsi une perte d'exploitation indemnisable de 3 millions d'euros.
Ce sont aussi, par exemple, près de 35 000 boulangeries-pâtisseries qui ont dû faire face à une réduction considérable de leur activité à cause des mesures de confinement. Prenons l'exemple d'une boulangerie enregistrant un chiffre d'affaires habituel de 500 000 euros par an et encaissant une chute de 80 % de son activité sur 3 mois. Après application d'un taux de marge de 30 %, les pertes d'exploitation indemnisables atteignent 30 000 euros.
Pour en savoir plus
Jérôme Goy, avocat au barreau de Paris, associé du cabinet Enthémis. spécialiste de la distribution d'assurance, affinitaire et internationale, des groupements professionnels, des institutions financières et des professions réglementées. Il intervient dans le cadre d'acquisitions d'acteurs de l'assurance, notamment dans le cadre d'audits " métier ".