[Dossier] Les futures licornes françaises ne manquent pas d'ambition
La France compte aujourd'hui une poignée de pépites prometteuses qui pourraient bien devenir des licornes . Les belles levées de fonds réalisées au printemps dernier témoignent de l'ambition de leurs dirigeants et de la confiance des investisseurs.
Je m'abonneL'Europe compte près de 70 licornes. C'est-à-dire des entreprises technologiques valorisées à plus d'un milliard de dollars, selon la banque d'investissement GP Bullhound. Parmi elles, le suédois Spotify est en tête devant l'Israélien Mobileye et le néerlandais Adyen.
Suivant les nombreux classements publiés, les lignes bougent. GP Bullhound mentionne ainsi trois entreprises françaises : Vente-privée, Criteo et Talend. L'étude, qui s'intéresse aussi aux pépites prometteuses, cite Doctolib et ManoMano. Scality, start-up spécialisée dans le stockage des données qui vient de réaliser un tour de table de 60 millions de dollars au mois d'avril, Shift Technology, qui lutte contre la fraude à l'assurance, et OpenClassrooms, plateforme d'apprentissage en ligne, y sont également présentes, en bas de l'échelle. Mais ces entreprises ne demandent qu'à gravir les échelons. C'est d'ailleurs ce qui semble avoir changé dans le paysage français.
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Ainsi, observe Pierre-Olivier Barennes, directeur général de Citizen Capital, fonds d'investissement spécialiste de l'impact investing, "une nouvelle génération d'entrepreneurs est arrivée et elle a des ambitions mondiales". Il faut dire que le contexte est favorable : le numérique autorise un développement rapide à l'international et les fonds sont disponibles. De très beaux tours de table ont été menés depuis quelques mois, confirmant la tendance. ManoMano a levé 60 millions d'euros en décembre 2017. En mai 2018, c'est au tour d'OpenClassrooms de lever 60 millions de dollars. De belles histoires sont en train de s'écrire .
Réenchanter le business
Quelle est la trajectoire des entreprises qui espèrent devenir des licornes ? C'est sûr, elles ne poursuivent pas le trésor de Rackham le Rouge ! Mais semblent partager quelques bonnes recettes. Comme réinventer le monde ou, tout au moins, réenchanter le business en apportant des offres utiles et disruptives.
BlaBlaCar, champion français, a prouvé l'intérêt du covoiturage et a répondu à un besoin réel. Ses petites soeurs lui emboîtent le pas. Chacune dans son domaine. Encore au début de l'aventure, le dirigeant de Klaxoon, solution de travail collaboratif, estime avoir beaucoup à apporter au marché. "Nous délivrons une solution qui permet à la fois d'optimiser le temps de la réunion professionnelle et de favoriser l'intelligence collective. Surtout, nos outils sont à la portée de tous. Nous proposons un produit standard à l'échelle internationale", déclare Matthieu Beucher, p-dg de l'entreprise.
Les jeunes générations, aux commandes des futures licornes, mettent donc du sens dans leur business. C'est le cas d'OpenClassrooms. Pour Laurence Méhaignerie, présidente de Citizen Capital, qui soutient la start-up, "OpenClassrooms a su démontrer qu'il est possible de former des étudiants en ligne, de garantir la proximité par un système de mentoring et de proposer un contenu de très bonne qualité, ouvrant la voie de l'employabilité, à un prix disruptif. Leur action a un véritable impact et répond à un besoin réel".
Résultat, "l'impact social drive l'impact économique", indique Pierre Dubuc, président d'OpenClassrooms. Dans le secteur de la consommation, "la place du reconditionnement, à terme, sera plus importante en volume, que celle du neuf", affirme Thibaud Hug de Larauze, CEO de Back Market, place de marché de smartphones et ordinateurs reconditionnés. Cette vision qui anime les dirigeants de la start-up est partagée par ses investisseurs (Groupe Arnault, Daphni et Thierry Petit, business angel, fondateur de Showroomprivé, Eurazéo). "Plus notre croissance se renforce, plus l'impact de notre activité sur l'environnement est réel. D'où la satisfaction des financeurs et des salariés", ajoute le jeune dirigeant de 30 ans.
Arriver à temps
Sur un marché quasi inexistant, les entrepreneurs doivent néanmoins arriver à temps pour récolter les fruits du modèle qu'ils contribuent à faire émerger. Ils doivent être dans le bon timing ou savoir changer de cap. Car ils peuvent aussi se tromper ou arriver trop tôt. Les fondateurs d'OpenClassrooms ont beaucoup évolué, réorientant plusieurs fois leur business model en conservant l'idéal qui les animait au début : rendre les savoirs accessibles. "Nous avons changé plusieurs fois de modèles économiques avant de caler celui du parcours diplômant avec emploi garanti à la clé", confirme Pierre Dubuc.
Les investisseurs ont suivi, plus sensibles à la qualité des talents qu'au projet lui-même. "Dans les choix que nous faisons, il y a une part d'intuition que nous essayons de baser sur des critères rationnels", confie Jean-David Chamboredon, dirigeant du fonds ISAI, spécialiste des premiers tours de table. "Nous préférons soutenir une bonne équipe qui saura améliorer son projet, l'inverse est plus incertain", précise-t-il.
Le parcours peut être semé d'embûches à contourner. Laurent Levasseur, président du directoire de Bluelinea (100 salariés), entreprise de téléassistance, domotique, Ehpad à domicile, cherche à devenir un acteur important de la silver économie. "Nous devons passer de l'hyper croissance à la croissance comptable, puis à l'hyper croissance rentable. Mais nous avons vécu six mois difficiles pour démontrer nos apports innovants et notre valeur ajoutée à la puissance publique. Aujourd'hui, cette page est tournée et nous avons retrouvé notre crédibilité. Nous pouvons avancer et nous concentrer sur la logistique et l'expérience utilisateur, clés de notre développement", témoigne-t-il.
La trajectoire de Klaxoon montre aussi qu'il faut de la ténacité. "Notre projet explore un territoire, la réunion professionnelle, auquel personne ne croyait au début, car il souffrait d'une image désuète. Le sujet n'étant pas sexy, nous avons dû persister. Puis nous avons rapidement gagné des prix aux États-Unis, ce qui a ouvert de nombreuses portes", raconte Matthieu Beucher.
Percer Outre-Atlantique
Pour s'affirmer en tant que licorne, l'entreprise doit faire les yeux doux aux USA. "Avec 300 millions d'habitants, c'est le marché de référence", lâche Thibaud Hug de Larauze. Un passage obligé pour toute entreprise désireuse de s'imposer comme une marque mondiale. C'est pourquoi Back Market ouvre un bureau à New York. "Nous avons une chance incroyable, car personne n'a pensé à lancer une market place de ce type de produits avant nous, ni aux USA, ni en Chine", se réjouit Thibaud Hug de Larauze.
Or le marché est en explosion, laissant présager de belles perspectives. Back Market peut attaquer le marché américain sous l'angle du prix, avec des produits moins chers, mais de qualité. Car ici, l'argument économique l'emporte sur la préoccupation environnementale. Pour s'imposer outre-Atlantique, il ne suffit pas d'avoir une bonne idée. "Il s'agit d'un marché très exigeant, auquel nous nous sommes confrontés très tôt pour prendre de l'avance", confie Jonathan Anguelov, cofondateur et COO d'Aircall.
La start-up française, spécialiste de la téléphonie d'entreprise, a annoncé en mai une levée de fonds de 25 millions d'euros, tour mené par Draper Esprit, avec la participation de Balderton Capital, NextWorld Capital et eFounders. "Ce n'est pas notre première levée, nous avons réuni 40 millions d'euros au total. Nos investisseurs nous font confiance et nous avons attiré des fonds étrangers. Mais pour arriver à ce niveau, nous avons dû beaucoup travailler notre business plan. Il a fallu être très précis", ajoute Jonathan Anguelov. Le marché de la téléphonie séduit les investisseurs car il n'avait pas encore été dépoussiéré.
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Le concept proposé par OpenClassrooms suscite aussi beaucoup d'intérêt auprès des investisseurs américains. "Nous avons choisi General Atlantic, un fond prestigieux, très connu, aligné sur nos valeurs d'entreprise à mission, son soutien n'est pas neutre. Au contraire, il est gage de qualité et confirme celle du produit et de l'équipe", commente Pierre Dubuc.
Innover à tous les étages
Les futures licornes rivalisent d'ingéniosité pour conserver leur avance. Ainsi, Back Market ne se contente pas d'animer sa market place ou d'optimiser l'expérience client des internautes. Elle va plus loin. "Nous construisons des outils de business intelligence pour que les dirigeants des usines de reconditionnement identifient les modifications à effectuer dans leur process pour améliorer la qualité de leur production et réduire les pannes", indique Thibaud Hug de Larauze.
L'entreprise se concentre sur la valeur créée, pas uniquement sur les transactions. Résultat, les smartphones achetés sur la plateforme sont de meilleure facture, les taux de retour diminuent et la satisfaction client augmente. Pour beaucoup d'entrepreneurs, intégrer le club très select des licornes n'est pas une fin en soi. En revanche, réussir à imposer une innovation de rupture à l'international et accélérer pour atteindre une hypercroissance rentable, représente le Graal.
Un objectif fou, mais la chance sourit aux audacieux, comme l'a prouvé l'équipe de France de football en remportant la Coupe du monde !