Comment Bordeaux fait tourner la tête des entrepreneurs
Qualité de vie, formation et accompagnement à l'entrepreneuriat, pépinières, incubateurs, espaces de coworking, loyers raisonnables... Entre océan et vignobles, la ville de Bordeaux dépense une énergie folle pour attirer les investisseurs.
Je m'abonneC'est bien loin des plateaux d'Hollywood que la société de production de films Solidanim, connue pour son procédé qui permet de visualiser les effets spéciaux lors des prises de vue, a déménagé en septembre dernier son siège social. Alors même que l'entreprise vient de décrocher de gros contrats - série "Avatar" de James Cameron, émission Suivez le guide diffusée sur France 2 début 2018 -, elle décide d'installer ses bureaux à Bordeaux, embarquant dans l'aventure une douzaine de salariés. "Nous nous rapprochons ainsi de notre studio à Angoulême, mais l'objectif est surtout de réaliser des économies lors de la réalisation de tournage (20% de moins qu'à Paris), et de rencontrer un écosystème d'intermittents important. Il y a de vraies compétences sur le territoire", confie Mary Simonet, productrice chez Solidanim.
Ubisoft, troisième éditeur de jeu vidéo au monde, s'est également laissé séduire en octobre par la capitale régionale de la Nouvelle Aquitaine. Ce qui a attiré l'entreprise, déjà implantée à Paris, Montpellier, Annecy et Lyon? Un écosystème de jeux vidéo déjà existant, un vivier d'universités et d'écoles mais aussi et surtout la qualité de vie. "Le surf, le skate, la bataille des talents... C'est important de s'implanter dans une ville qui est une marque internationale. Pour recruter nos designers, programmeurs et ingénieurs, nous n'avons eu aucune difficulté. Nous avons reçu trois mille CV !", se délecte Julien Mayeux, directeur des opérations studios France et patron du studio bordelais, qui prévoit de recruter cinquante salariés.
De nombreux talents
Désormais reliée à deux heures et cinq minutes de Paris depuis la mise en place en juillet dernier de la ligne grande vitesse (LGV), la ville de Bordeaux ne cesse d'attirer les entrepreneurs. Au-delà des locomotives historiques déjà présentes sur le territoire comme Thalès, Safran, Cdiscount, Azendoo (application pour organiser le travail en équipe), At Internet (mesure d'audience de sites web), Asobo (jeu vidéo), la Gironde a accueilli soixante-quatorze entreprises en 2016 avec une perspective à 3 ans de mille cinq cent créations d'emplois. Soit une progression de 7,6% par rapport à 2015, selon Invest in Bordeaux, qui accompagne les entreprises dans leur projet d'implantation, d'extension ou de relocalisation.
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"Une des raisons pour lesquelles les entreprises viennent, ce sont aussi et surtout pour les talents, la capacité à recruter. Bordeaux propose dix-huit grandes écoles dont huit écoles d'ingénieur. Le campus bordelais rassemble quatre-vingt mille étudiants. C'est le plus vaste d'Europe", admet Philippe Métayer, chargé de mission Économie Numérique au sein de Bordeaux Métropole.
Le numérique tient une place plutôt importante, en raison notamment de la labellisation French Tech de la ville en 2014. Avec 4700 entreprises et 22 400 emplois, Bordeaux Métropole est une des premières régions en termes de croissance d'emplois dans le numérique. "Nous prévoyons de doubler le nombre de salariés d'ici 2030. Les levées de fonds prouvent cette dynamique. 20 millions ont été levés en 2015, 38 millions en 2016, et 50 millions en 2017", souligne Philippe Métayer.
Une multitude de secteurs
Si l'activité viticole a longtemps été assimilée, voire confondue avec le territoire, il semble donc aujourd'hui difficile de ne pas évoquer les autres atouts économiques de la ville. "Bien sûr, le vin fait de Bordeaux une marque mondiale : vingt et une bouteilles de vin sont ouvertes dans le monde chaque seconde ! Cela nous ouvre des portes. Mais nous connaissons une mutation économique. Des secteurs d'excellence, comme la e-santé, sont moins connus. La ville recèle de pépites, qui enregistrent de fortes croissances, comme la start-up Interaction Healthcare, primée au CES", estime Mathieu Roussennac, directeur de Bordeaux métropole.
Cette même dynamique se crée dans le secteur des jeux vidéo (avec le groupe Bordeaux Games), des industries culturelles, ou encore du cinéma. Installé depuis deux ans à Bordeaux, Thierry Lounas, dirigeant de Capricci, une société de production de films pour le cinéma, n'en serait pas là sans l'accompagnement et le dynamisme de la métropole. "La métropole est très impliquée sur le développement de la filière image. Nous avons créé des résidences pour renouveler le cinéma de genre. Vingt longs métrages vont ainsi se dérouler à Bordeaux en 2018 et 2019", se réjouit le producteur.
Une ville "business friendly"
Une vitalité de l'écosystème qui nécessite une multiplication de lieux pour accueillir les entreprises. La ville de Bordeaux se dispute d'ailleurs les premières places du podium (avec Lyon, Toulouse, Lille et Nantes) des villes où il fait bon entreprendre en raison de son écosystème. Par écosystème, entendez l'environnement économique, et surtout les infrastructures mises en place pour accueillir les entrepreneurs : incubateurs, pépinières... "Bordeaux est une ville accueillante. Il y a un mouvement favorable pour les nouveaux arrivants. Mais il est important de se constituer un réseau, des relations comme dans n'importe quelle ville", constate Anne Iris Poussielgues, fondatrice des Parisiens de Bordeaux, association de 500 personnes qui organise chaque mois des soirées pour permettre aux nouveaux venus d'échanger avec les habitants.
Pour le numérique, la capitale girondine ne manque pas de lieux où innover, comme la pépinière éco-créative des Chartrons, ou l'association Aquinum qui réunit cinq cent professionnels du numérique d'Aquitaine. Cette dernière organise trois cent événements pour réseauter et échanger sur des problèmes liés à la R&D ou au juridique.
Côté financement, l'accélérateur Héméra est un réseau de mentorat qui accompagne et investit sur le long terme dans les start-up. Le village by CA offre également aux jeunes entreprises innovantes la possibilité d'accélérer leur développement. Les startups bénéficient de bureaux privés, à deux pas de la place des Quinconces, de formations, de conférences, d'un réseau d'experts. Mais aussi et surtout d'une visibilité renforcée auprès de partenaires ambassadeurs du "village" (EDF, Bouygues...).
Autres exemples: 33entrepreneurs accélère des start-up du monde entier, dans trois domaines : les vins et spiritueux, le tourisme et l'agroalimentaire. L'association Bordeaux entrepreneurs regroupe quant à elle une centaine d'entrepreneurs locaux en hyper croissance. "La structure met en relation les dirigeants avec des investisseurs nationaux et régionaux, qui mettent des tickets directement dans les entreprises", affirme Philippe Métayer.
Le centre Darwin, implanté dans l'ancienne caserne Niel, a accueilli, depuis 2013, cent soixante-dix structures soit un peu plus de cinq cent salariés. En plus de proposer des espaces de coworking aux freelances ou aux entreprises déjà établies, cet écosystème abrite une pépinière, qui peut accueillir pendant vingt-trois mois, sur un plateau loft de 1000m2, entre vingt-deux et vingt-huit sociétés. Sont accueillis des structures immatriculées depuis moins de 3 ans, et engagées dans l'innovation d'usage et le développement durable.
Pour un tarif mensuel de 80 à 100 euros par poste de travail, les jeunes pousses bénéficient d'un suivi régulier avec accompagnement professionnel (environ 75 euros par mois), et de nombreux services et animations (bureaux éco-conçus, salles de réunion, reprographie, conciergerie d'entreprise, réseau et parrainage, rencontres, plateforme d'échanges...).
La ville propose par ailleurs entre trente-cinq et quarante lieux de coworking. Ils accueillent à la fois des jeunes pousses, mais aussi des grands groupes souhaitant que leurs salariés se confrontent aux start-up.
De nouveaux pôles de développement
Un succès qui est loin de prendre au dépourvu la ville de Bordeaux. Au contraire. " Il y a beaucoup de fonciers disponibles. Plus de 2,5 millions de mètres carrés ", assure Virginie Calmels, première adjointe au maire en charge de l'Économie, de l'Emploi et de la Croissance durable. Au coeur de la ville, il est facile de deviner la multiplication des projets d'infrastructures tellement les grues sont nombreuses. La préfecture du département de la Gironde a en effet entrepris, il y a plusieurs années, une flopée de projets immobiliers.
Pour ne citer que les principaux : le pharaonique projet Euratlantique, lancé en 2012, prévoit d'ici 2030 la construction de 2,2 millions de mètres carrés de logements et de commerces, ainsi qu'un quartier d'affaires de 500 000 mètres carrés dont 300 000 au pied de la gare. Le site des Bassins à flots, dont le programme de construction porte sur une Shon totale de 700 818 m² (soit environ 5 400 logements), dont plus de 95000 m2 de bureaux, 58000 m2 de commerces et services. L'éco-quartier Brazza de 53 hectares face au coeur de l'agglomération, avec un programme de construction de plus de 467 000 m2 dont près de 135 000 m2 seront dédiés aux bureaux et aux commerces.
Pour désengorger la ville, les projets se déplacent également en périphérie autour de Pessac, Talence, Gradignan et Mérignac, avec l'Inno Campus. Sur 1350 hectares, ce territoire, qui mixe des bureaux, hébergements, commerces de proximité et transports, vise à tirer parti des atouts du campus de Pessac-Talence-Gradignan et des huit sites hospitaliers CHU pour créer dix mille nouveaux emplois d'ici 2030 dans le secteur de la santé, l'optique laser et les technologies de l'information et de la communication (TIC).
Le projet 'aéroparc', qui totalise 2500 hectares, dont quatre cent restent à aménager, s'étend sur les communes de Saint-Médard-en-Jalles, le Haillan et Mérignac, autour de l'aéroport. L'objectif de ce territoire, qui accueille environ trente-cinq mille emplois dans les domaines de l'industrie aéronautique-spatial-défense et du BTP, est de pouvoir accueillir dix mille nouveaux emplois d'ici 2030.
Des tarifs relativement abordables
Une montagne de projets qui sont censés éviter une flambée des prix. "Plus on va construire, moins les prix au mètre carré vont augmenter", estime Virginie Calmels. "La tension sur l'immobilier est moins palpable pour les entreprises que pour les citoyens", renchérit Philippe Métayer. Selon Invest in Bordeaux, le coût moyen à la location dans le neuf se situe en 2016 entre 120 et 200 euros le mètre carré par an, le quartier Euratlantique avoisinant 180 et 200 euros le mètre carré. En 2017, un bureau en centre-ville, au sein d'un quartier prestigieux, s'est négocié jusqu'à 240 euros le mètre carré. Des loyers qui restent toutefois deux à trois fois moins chers qu'à Paris, et en dessous de Lyon, Toulouse ou encore Marseille.