Vers l'autopartage des véhicules de fonction ?
Et si les entreprises devenaient actrices du partage de la mobilité via la mutualisation de leurs véhicules de fonction à un plus grand nombre ? Telle est la question qui a été débattue lors d'une conférence organisée fin 2011 par l'OVE sur la “consommation collaborative”. Compte rendu.
Je m'abonneAntonin Léonard, spécialiste de la “consommation collaborative”, a largement donné le ton lors d’un débat organisé fin novembre 2011 par l’OVE (Observatoire du véhicule d’entreprise) : « Les véhicules de société sont des biens à la fois coûteux et peu usités puisqu’ils “dorment” une majeure partie du temps dans les parkings des entreprises, plombant les finances de leurs propriétaires. Aussi, pour réaliser des économies, pourquoi ne pas les partager avec un plus grand nombre de collaborateurs, voire avec des personnes extérieures à la société ? »
Cette idée, a priori loufoque, pourrait bien devenir demain une réalité dans les entreprises, tant elle s’inscrit dans les tendances actuelles de consommation des jeunes cadres issus de la génération Y. Car pour ces derniers, posséder un véhicule ne constitue plus un marqueur de réussite et d’accomplissement. « Exit la dimension identificatoire et statutaire propre à la détention exclusive d’une voiture, les jeunes cadres d’aujourd’hui se contentent désormais de l’usage d’un tel produit et non de sa possession », renchérit Antonin Léonard, en rappelant que la France est justement l’un des pays où fleurissent le plus de sites de location partagée de voitures. Des solutions pour l’heure cantonnées au business entre particuliers, mais qui pourraient à terme bouleverser les modes de gestion des entreprises, notamment en termes de car policy.
« Depuis notre création en 2007, 2 500 véhicules ont déjà été loués via notre plateforme. Il s’agit du produit le plus demandé », se réjouit Marion Carrette, fondatrice de Zilok, site de location de particulier à particulier, visité chaque mois par 300 000 visiteurs. Et d’ajouter : « Bon nombre de professionnels nous ont déjà contactés pour tenter de louer leur voiture de fonction sur notre site. C’est bien la preuve que de nombreuses voitures de sociétés restent sous-utilisées et coûtent de l’argent pour rien aux entreprises. Aussi, au lieu de les réserver à une stricte catégorie de salariés, les dirigeants doivent réfléchir à comment partager leur usage avec un plus grand nombre », insiste cette dernière.
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Un avis partagé par Nathan Stern, entrepreneur social et concepteur de réseaux sociaux locaux. « À l’heure où explosent les réseaux sociaux, la consommation dite collaborative devient un phénomène incontournable qui doit interpeller les managers d’entreprises, même si nombre d’entre eux manifestent, à cet égard, une certaine aversion à l'égard du risque », analyse ce dernier, en rappelant que l’économie du partage doit encore gagner en maturité pour devenir un véritable enjeu corporate.
En effet, comment concevoir un système de partage de véhicules de fonction en totale rupture avec les traditionnelles politiques de gestion de flotte des entreprises ? D’autant que sur le marché B to B, les véhicules de société sont déjà loués, en grande majorité, par les entreprises (LLD, location longue durée) et non achetés. « Dans ces conditions, difficile de prévoir un système de sous-location de ces produits », lance Pierre Blondeau, directeur achats de Limagrain, spécialiste des semences, en charge, entre autres, de la gestion d’un parc de 700 véhicules. « Si la consommation collaborative est une idée qui commence à faire son chemin en interne, il faut reconnaître qu’il s’agit d’un concept dur à décliner de manière concrète, et ce malgré la réflexion très en amont adoptée sur chacun de nos achats », détaille ce dernier.
D’autant que chez Limagrain, comme dans la plupart des entreprises, seules certaines catégories de salariés peuvent disposer d’un véhicule de fonction, à l’instar des cadres commerciaux qui en font un usage régulier et des cadres de direction qui l’utilisent plus ponctuellement. « Difficile donc de revoir une telle politique d’attribution des véhicules, qui constitue, pour les uns, un avantage en nature, et pour les autres, un véritable outil de travail », affirme Pierre Blondeau.
Sans oublier la question de la fiscalité et de l’assurance, deux points cruciaux auxquels peu de solutions de partage de véhicules apportent des solutions concrètes, excepté certaines plateformes comme Zilok. « Nous avons convaincu un assureur de fournir un produit d’assurance temporaire pour le locataire particulier du véhicule », note la fondatrice du site. Toutefois la gageure reste encore de transposer une telle solution sur le marché professionnel.
« Pour rendre viable une telle solution, il appartient déjà aux loueurs de location longue durée de proposer des véhicules en autopartage. C’est donc d’abord à eux de jouer le rôle d’autopartageur, et non aux clients », rappelle Philippe Brendel, président de l’OVE. Un des prérequis sans doute incontournables à l’émergence prochaine d’un tel marché... « De telles solutions existent déjà pour les particuliers. Rien n’indique donc qu’elles ne pourraient un jour se décliner dans les grandes entreprises, dont la taille critique en font un terrain approprié pour le développement d’une telle expérience innovante », conclut Marion Carrette. De quoi donner quelques inspirations.