Sécurisez l'achat de vos matières premières à tout prix
De la variabilité des cours à la diversité des producteurs et des intermédiaires, en passant par le degré de rareté et de qualité des ressources recherchées, optimiser sa stratégie achats de matières premières relève rapidement du casse-tête. Voici quelques pistes pour la piloter au mieux.
Je m'abonneChaque année, ce sont plus de 30 000 tonnes de maïs à éclater que commercialise le fabricant de pop-corn Nataïs. Pour satisfaire une demande mondiale en croissance, son dirigeant Michaël Ehmann a mis au point une stratégie d'approvisionnement sur mesure. Son parti pris : nouer des partenariats exclusifs avec 240 agriculteurs dans un rayon de 150 km autour de l'usine.
La PMI gersoise leur fournit les semences et leur rachète la totalité de leur récolte à un prix fixe prédéfini. Une manière de sécuriser sa trésorerie mais aussi la qualité de son maïs. Ce qui lui a notamment permis de décrocher, fin 2013, un contrat d'envergure avec Cretors, l'un des géants du secteur, qui subissait de plein fouet la chute des stocks de maïs disponibles outre-Atlantique, après une sécheresse exceptionnelle. Nataïs a certes poussé la sécurisation de son circuit d'approvisionnement jusqu'à l'extrême. "Mais même si vous n'exploitez pas directement des matières premières brutes, vous en êtes indirectement dépendant via la consommation de produits finis ou transformés (composants, fournitures, énergies, etc.). Ne pas vous en préoccuper peut coûter cher", avertit Romain Daumont, directeur général France de Lowendalmasaï, cabinet de conseil en management des coûts.
"Bien souvent, les dirigeants ont une bonne connaissance des produits qu'ils achètent mais se retrouvent démunis lorsqu'il s'agit de structurer une stratégie sur des marchés très hétérogènes et complexes comme ceux des matières premières", estime Thierry Monteil, dirigeant de Ginkgo Conseils, cabinet de conseil en achats. En effet, il n'existe pas un mais plusieurs marchés de matières premières (produits agricoles, métaux bruts, ressources animales, etc.), avec des caractéristiques qui leur sont bien souvent propres (rareté, intermédiaires, réglementations, spéculation). Le prix de vos matières premières dépend donc d'un grand nombre de facteurs qui compliquent l'équation finale.
Cartographiez les risques
C'est pourquoi Thierry Monteil (Ginkgo Conseils) recommande de formaliser vos besoins réels. "Questionnez vos choix. Pour quelles raisons achetez-vous cette variété de cacao à cet importateur et à ce prix-là ?" L'objectif : établir une cartographie des risques auxquels vous êtes exposé, pour les prioriser et vous aider à sécuriser certains achats. Tout dépend, bien sûr, de votre cahier des charges de production, mais aussi de la nature plus ou moins volatile des marchés ciblés.
Témoignage
"Nos gros stocks nous rendent moins dépendants des fournisseurs"
Pierre Brun, dirigeant des Établissements Brun de Vian-Tiran
Chez Brun de Vian-Tiran, on ne plaisante pas avec l'achat de matières premières. Pour son p-dg, Pierre Brun, c'est d'ailleurs l'un des postes-clés de la PMI vauclusienne bicentenaire, spécialisée dans la fabrication de couvertures, de couettes et autres articles de literie. Ses matières premières: tous types de laine (mouton, mérinos, mohair, chameau, lama, cachemire, etc.).
Selon la rareté et la qualité des fibres, elles peuvent représenter 20 à 80% du coût de fabrication de ses produits. La PMI s'approvisionne au fil de l'année aux quatre coins du monde, via un réseau d'une quinzaine de fournisseurs. "Nous privilégions les achats en grande quantité avec des délais de livraison assez longs (plusieurs mois à un an), à des tarifs fixes non révisables. Ce qui sécurise nos approvisionnements et nous permet de lisser les prix, indépendamment des fluctuations du marché", apprécie Pierre Brun.
À la clé aussi, une meilleure visibilité sur les besoins de trésorerie à moyen terme, les achats étant réglés à date de livraison. "Tout en sécurisant notre production, constituer de gros stocks nous rend au final moins dépendants des fournisseurs et plus exigeants sur la qualité des matières livrées", pointe le dirigeant. Ce qui ne l'empêche pas de rester à l'affût de l'actualité de ses marchés. "Nous suivons l'évolution des cours. Nos revendeurs nous documentent très régulièrement sur les nouvelles offres. Nous n'hésitons d'ailleurs pas à investir quand une opportunité se présente."
Repères
Activité : Lainier
Ville : Isle-sur-la-Sorgue (Vaucluse)
Forme juridique SA à conseil d'administration
Dirigeants : Pierre Brun, 69 ans, et Jean-Louis Brun, 44 ans
Année de création : 1808
Année de reprise : 1999
Effectif : 45 salariés
CA 2013 : NC
"Il est ensuite essentiel de bien connaître votre marché fournisseurs et de se pencher sur les pratiques de la concurrence", insiste Fabrice Ménelot, cofondateur de Crop and co, spécialiste des organisations achats. Selon votre taille, votre niveau d'exigence et la spécificité de vos produits, le choix de vos partenaires influence vos marges de manoeuvre. Importateur, grossiste, courtier, contrat de gré à gré avec le producteur... Vous n'aurez pas accès aux mêmes tarifs ni aux mêmes prestations (délais de livraison, exclusivité, etc.).
"Pour les PME, le recours à un groupement d'achat interentreprises s'avère judicieux afin de mutualiser coûts et logistique", souligne Romain Daumont. Selon lui, il est également primordial de revoir ses contrats avec ses clients. " Si vous êtes dans le B to B, réfléchissez à la manière de transférer une partie du risque à vos clients par des clauses de révision de prix dans vos contrats." Un réflexe facilité grâce au décret du 18 octobre 2014, qui crée l'obligation d'insérer une clause de renégociation entre fournisseur et distributeur dans certains contrats de vente de produits alimentaires dont les prix de production sont significativement affectés par des fluctuations des prix des matières premières agricoles et alimentaires (produits laitiers, viande, produits de la pisciculture, etc.).
Restez à l'affût
Afin de ne pas plomber votre trésorerie, penchez-vous également sur la planification. "Acheter de petites quantités toute l'année, commander de gros stocks une fois par an, signer un contrat-cadre sur plusieurs années... Le panel de leviers de pilotage opérationnels est large", commente Fabrice Ménelot. Quelle que soit la solution privilégiée, restez à l'affût de l'évolution de vos marchés de matières premières pour saisir les opportunités éventuelles (baisse des cours, nouvelle offre, etc.), mais aussi pour vous prémunir de menaces (grève de dockers dans un port, conflit géopolitique, etc.).
Maintenir une telle veille vous permettra, dans une certaine mesure, d'anticiper ces changements et de mieux piloter vos achats. Selon Romain Daumont, " plusieurs matières premières, telles que le fer, l'huile de palme ou le coton, subissent actuellement une chute de leur cours. Peut-être est-ce le moment opportun de renégocier à la baisse les tarifs de vos fournisseurs ? "