[Business] Comment mangera-t-on dans le futur ?
De la végétalisation à la personnalisation de l'alimentation, les acteurs de l'agroalimentaire multiplient les innovations pour modifier nos habitudes culinaires. L'objectif ? Préserver la planète, la nature, les animaux, la santé... sans sacrifier la qualité.
Je m'abonneLe suivi de certaines recommandations nutritionnelles a un impact, tant sur la santé que sur l'environnement. La France préconise d'ailleurs, depuis 2017, une diminution de la consommation de viande rouge et de charcuterie ou une augmentation de la consommation d'aliments d'origine végétale.
Selon les résultats de l'étude de cohorte nationale NutriNet-Santé menée par l'Inrae, l'Inserm, l'Université Sorbonne Paris Nord et Solagro, publiée le 23 mars dans Nature Sustainability, ce suivi permettrait de prévenir 35 000 morts prématurées, principalement liées à des maladies cardiovasculaires. Il réduirait aussi l'impact global de l'alimentation sur l'environnement de 50 %. Certes au niveau économique, le coût de l'alimentation est légèrement plus élevé, mais ces résultats encouragent le changement de nourriture...
Viande cultivée
Exemple fort de cette tendance : la viande cultivée ou viande in vitro, produite en laboratoire. "Innovation de rupture, elle est fabriquée à partir de cellules-souches d'animaux en alternative à l'élevage. À l'origine de notre projet, la prise de conscience de l'impact négatif de la production intensive, aussi bien sur le bien-être animal, l'environnement, que sur la santé", résume Nicolas Morin-Forest, cofondateur de Gourmey.
La marque travaille à l'élaboration d'un foie gras de canard cultivé. "Des start-up se positionnent sur la viande cultivée à travers le monde, aux États-Unis, en Israël, quelques-unes en Europe, mais avec des produits comme des burgers et des nuggets. Nous avons décidé de commencer par un produit haut de gamme, emblématique de la gastronomie française, qui est fort controversé du fait de ses conditions de production, à savoir le gavage des animaux", poursuit-il.
Les trois fondateurs de Gourmey s'attaquent au ratio des protéines végétales consommées par l'animal versus les protéines produites. "Ce ratio qui oscille en moyenne entre 7 et 25, se situe autour de 10 pour les canards et à plus de 25 pour les canards gras", précise Nicolas Morin-Forest.
Son objectif ? Le réduire au maximum pour développer un mode de production économe en ressources. Pour Gourmey, la production de foie gras - les prototypes devraient être proposés d'ici la fin de l'année - ne représente qu'une première étape, suivie par le développement d'autres produits carnés.
Protéines végétales et alternatives
D'ailleurs, comment nourrir les 9,7 milliards d'habitants estimés en 2050 tout en préservant les ressources de la planète ? "Le sujet de l'alimentation du futur concerne les protéines et la diminution de la consommation de viande. Il faut donc regarder du côté des projets liés aux protéines végétales et alternatives", répond Ariane Voyatzakis, responsable du secteur agroalimentaire à la direction de l'innovation de Bpifrance.
Et cette experte de citer en exemples les lauréats du Concours mondial de l'innovation 2015. Comme Tereos (usine pilote qui produit un sauté végétal à base de protéines de blé et de pois chiche) ou encore Haris&Co qui propose des préparations à base de légumineuses françaises et bios.
D'autres acteurs existent, plus connus sur le marché. La marque américaine Beyond Meat, qui fait son entrée dans les supermarchés français du Groupe Casino en 2020 (Monoprix, Franprix, Casino Supermarchés et Géant) avec le Beyond Burger (pois, jus de betterave, huile de noix de coco et pomme de terre) et la Beyond Sausage (saucisse végétale). La start-up californienne Memphis Meat, qui développe de la viande à base de cellules, a annoncé au mois de janvier procéder à une levée de fonds de 161 millions de dollars pour construire une usine, recruter et commercialiser ses produits.
Insectes dans les assiettes
Comment imposer des innovations dans l'alimentation ? Primo, il faut développer les process de fabrication. Le travail de R & D et les phases de tests réclament de longs mois, voire de longues années suivant les projets.
Secundo, il faut obtenir les autorisations nécessaires ou accepter de s'en affranchir, tout au moins en phase de développement. Depuis le 1er janvier 2018, la commercialisation de la nourriture à base d'insectes est soumise à une autorisation préalable de la Commission européenne. Les demandes sont déposées par les producteurs, fournisseurs d'insectes alimentaires (criquets, grillons, etc.). Une poignée de dossiers serait actuellement en cours d'examen.
Tertio, il faut rendre les nouveaux aliments consommables. Pas facile de faire manger des insectes à des Français, peu accoutumés. "Au démarrage de notre activité, en 2012, nous avons introduit le produit à l'apéritif. Un moment de consommation convivial, où le consommateur se prête plus volontiers à des expériences de dégustation. Mais il ne s'agit pas du marché alimentaire", témoigne Bastien Rabastens, président et cofondateur d'Entoma, fabricant et distributeur des produits de la marque Jimini's.
Le pari s'est avéré payant. En 2019, la société a réalisé plus de 2 millions de chiffre d'affaires. Encore en croissance à la veille de la crise liée au coronavirus, Jimini's a pris soin de diversifier ses gammes avec des pâtes, des granolas, etc. Aujourd'hui, l'entreprise se tourne vers l'Insteack, substitut carné en développement avec l'Inrae. "Nous devions annoncer le lancement du produit au mois de mai", glisse Bastien Rabastens. Le projet est désormais repoussé.
Alimentation personnalisée
D'autres axes existent. À commencer par l'alimentation "santé". Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si l'alimentation durable pour la santé figure parmi les cinq thématiques retenues par Bpifrance, dans le cadre de la 5e édition du Concours d'innovation i-Nov (appel à projets pour accompagner la création et la croissance de start-up et PME).
Il s'agit de soutenir la production d'aliments riches en protéines, prébiotiques, probiotiques comme d'aliments fermentés. Sans oublier une alimentation personnalisée pour des populations cibles, le développement de solutions de contrôles pour assurer la traçabilité, les équipements, procédés ou solutions pour la production, transformation, conservation et commercialisation des produits alimentaires et la mise au point des emballages plus performants.
"De nombreuses initiatives apparaissent dans le but de compenser la perte d'appétit des seniors ou de couvrir les besoins particuliers des nourrissons", remarque Ariane Voyatzakis. Par exemple, Olygose développe des prébiotiques à base de pois pour la supplémentation du lait infantile.
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Dans un autre registre, Nahibu propose un bilan complet de la microbiote intestinal des individus souffrant de problèmes intestinaux, de sautes de concentration ou d'une baisse d'énergie. L'idée étant de pouvoir adapter l'alimentation afin de réduire les troubles. Plus globalement, les protéines végétales, qui ont le vent en poupe, sont reconnues pour leurs propriétés nutritionnelles.
"Elles limitent les apports en acide gras saturés", confirme Hubert Bocquelet, délégué général du Groupe d'étude et de promotion des protéines végétales (GEPV) dans un communiqué faisant état de leur référencement en 2019. Il ajoute : "Combinées entre elles, elles apportent aussi tous les acides aminés essentiels."
Au final, la nourriture de demain dépend d'un changement de paradigme dans le secteur agricole. Fermes urbaines agricoles, aquaculture plus respectueuse, récolte de plantes sauvages : là encore les pistes se diversifient. Le chantier de la cité maraîchère de Romainville (Seine-Saint-Denis) prévoit un équipement public proposant production de légumes sains, la vente à la population à tarifs adaptés et des animations pédagogiques et culturelles.
Elle préfigure ainsi la transformation de la culture maraîchère. Surtout, le secteur de la recherche se mobilise. L'Inrae est né au 1er janvier 2020 de la fusion de l'Inra et de l'Irstea. Objectif ? Accélérer la transformation de l'agriculture, de l'alimentation et de l'environnement via des démarches de sciences ouvertes et participatives... Et rechercher des bénéfices tant pour la santé individuelle que la préservation des ressources de la planète.
Les quatre marques à suivre de près :
1 - Petit Veganne
Petit bleu bio, Petit frais au curcuma... les noms et aspects des produits Petit Veganne rappellent ceux des étals des fromagers. Mais ici point de lait caillé. Les spécialités végétales sont fabriquées à base de purée de noix de cajou. Pour le reste, les process de fabrication suivent la méthode traditionnelle des fromagers. Les produits sont distribués dans la boutique de la marque basée à Sarralbe (Moselle) et sur son site web.
2 - Kedelaï
Son tempeh est un produit issu de la fermentation de graines de soja inoculées avec une souche de champignon. Plus riche en protéines que le tofu, il est facile à cuisiner et offre une variété de recettes. Kedelaï cible la restauration collective, les restaurateurs et les traiteurs.
3 - Bord à Bord
Convaincre par le goût, telle est l'ambition de Bord à Bord qui propose des produits bios, frais, à base d'algues (tartare notamment). L'entreprise récolte les algues à pied, les lave puis les transforme. Depuis dix-huit mois, elle a créé une seconde marque, Manon des Algues, actuellement en test dans la grande distribution en Bretagne.
4 - Ramen tes drêches
Récupérant les céréales produisant la bière, la start-up fabrique des pâtes ! Les drêches de malt - riches en protéines végétales et en fibres - sont déshydratées et transformées en farine. Associée à une farine de fèves, elle donne naissance à des portions de nouilles.
"Nous avons décidé de réinventer les oeufs"
Anne Vincent, cofondatrice et responsable marketing et communication de Tamago Food
Remplacer les oeufs et végétaliser les recettes des pâtissiers sans les modifier, telle est l'ambition de Tamago Food. "Les professionnels du secteur utilisent de grands volumes d'ovoproduits (oeufs hors coquilles). Nous avons décidé de réinventer les oeufs, et de commencer par les blancs d'oeufs qu'ils consomment en grande quantité", explique Anne Vincent. La start-up développe un produit de substitution liquide, Yumgo Blanc. "Nous travaillons sur les côtés foisonnants et coagulants, des propriétés permettant de fabriquer mousses, meringues, nougats", précise-t-elle. La base ? De la protéine de pomme de terre, des fibres d'acacia et de lin, de la gomme de xanthane et du sel ! "Nous obtenons de bons résultats. Le produit, testé par les chefs pâtissiers du réseau de Rodolphe Landemaine, a été lancé en janvier. Il est appelé à évoluer, par exemple afin d'améliorer la fabrication des macarons", ajoute Anne Vincent. Depuis, le Covid-19 rend le lancement compliqué. La start-up a recruté un collaborateur afin d'intégrer la R&D - jusqu'ici externalisée - car ses dirigeants ont d'autres ambitions : remplacer le jaune puis l'oeuf entier. Le développement commercial doit se hisser au niveau. En test chez de grands noms, Yumgo cible la restauration collective. Sodexo l'a utilisé pour la création d'un dessert végétal dans le cadre d'un menu végan. "Nous devons accompagner le lancement du produit par des explications, suggérer des recettes 100 % végétales et démontrer que Yumgo est aussi efficace que les ovoproduits. Sachant qu'un litre de Yumgo Blanc équivaut à un litre d'ovoproduit, soit 32 blancs d'oeufs", conclut la cofondatrice.