[Mentor] Stéphanie Gicquel, l'exploratrice qui sait s'adapter pour gagner
Sept marathons en sept jours, des records d'ultra-endurance et d'ultra-trail, des expéditions polaires... Stéphanie Gicquel collectionne les exploits comme elle enchaîne les kilomètres. Selon elle, il ne s'agit pas de dépasser ses propres limites, mais de les étendre.
Je m'abonneImaginez courir plus de 40 kilomètres par -25 °C, en Antarctique. L'épreuve vous semble déjà difficile ? Alors dites-vous qu'il faut ensuite enchaîner dès le lendemain une prouesse similaire mais par 35 °C au Cap, en Afrique du Sud. Prendre le temps de souffler un peu ? Vous n'y pensez pas ! Vous êtes attendus à Perth, en Australie, pour 40 kilomètres supplémentaires à avaler lors d'une course de nuit. Puis direction Dubaï, Madrid, Santiago et Miami... Ainsi de suite, pour cumuler 7 marathons en 7 jours. Cet exploit, Stéphanie Gicquel l'a réalisé.
La femme de 39 ans s'est lancée dans ce défi après avoir déjà brillé sur plus d'un parcours. " Cette compétition consistait à courir en tout 295 km sur différents continents, précise-t-elle. En tant que spécialiste d'ultra-fond, la distance ne m'a pas fait peur. Je suis même habituée à participer à des compétitions dont l'objectif est de parcourir 200 km d'une seule traite. Là, la particularité c'est le fractionné. Il faut courir un peu plus vite sur chaque épreuve et aussi gérer les temps de récupération. "
À la fin d'une étape, le corps pense en avoir fini avec l'effort. Or, il faut le préparer à recommencer dès le lendemain, mais aussi gérer le changement de climat, le passage du chaud au froid et inversement. Pour cela, Stéphanie Gicquel s'est rapprochée de l'Insep, où elle a suivi des entraînements d'acclimatation à la chaleur en chambre thermique, observée de près par une équipe de scientifiques qui analysaient les données de ses efforts. " Ce qui était très intéressant pour les chercheurs, c'était que je devais aussi préparer un marathon au froid. Ils se demandaient si le passage à -20 °C ne perturberait pas toute mon acclimatation au chaud ", commente la sportive de haut niveau qui a ainsi vu dans sa préparation une occasion de participer à quelque chose d'inédit. Et d'incarner sa définition du mot " exploration " : " L'exploration comprend aussi un volet scientifique. On va là où personne n'est allé. On étend les limites de la connaissance humaine. "
Agilité
Cette course est donc, pour l'athlète, l'occasion de démontrer son agilité. Mieux, elle est la preuve qu'il est possible de s'adapter à chaque situation. Une adaptabilité que Stéphanie Gicquel a appris à se construire.
Dans son enfance, rien ne la prédestinait à participer à un tel événement. Après avoir grandi près de Toulouse, elle s'inscrit en école de commerce puis poursuit des études de droit. Elle officie en tant qu'avocate pendant une dizaine d'années, avant de se concentrer totalement à ses passions : l'exploration et le sport. " Comme mon rêve d'enfant c'était de voyager, j'ai utilisé le sport comme raison de voyage : je prévoyais de longues marches, des randonnées, des courses. À force de parcourir de longues distances, je me suis inscrite à des trails ", partage-t-elle.
Ainsi, au fur et à mesure, elle a adapté son corps à l'ultra-endurance. Elle a ensuite eu envie d'aller vers la performance. " Le sport aventure est un moyen, c'est-à-dire qu'on l'utilise pour la découverte d'un point de vue géographique ou humain. Le sport performance, c'est vraiment la recherche du beau geste pour atteindre le meilleur niveau possible ", compare-t-elle. Cela lui permet à la fois d'en apprendre davantage sur elle-même et sur le monde en général. Le plus parlant étant au coeur de l'Antarctique. Stéphanie Gicquel peut passer plusieurs dizaines de jours en plein désert polaire : des traversées de solitude durant lesquelles non seulement son corps s'acclimate à la température ambiante, mais où l'exploratrice prend conscience de l'impact de l'activité humaine sur l'environnement. " Ces traversées me permettent de constater que la banquise est de moins en moins épaisse..., déplore-t-elle. Et le retour à la vie "normale" est de plus en plus difficile, car je ressens davantage la pollution qui est très présente. Je me rends compte de ce que l'homme a construit : c'est une preuve de son génie, mais aussi de sa capacité à aménager l'espace, la nature pour son confort. Alors que nous avons tous cette grande capacité d'adaptation ! "
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Visualiser
Une acclimatation qui passe par le physique, mais aussi par le mental : il s'agit de travailler sa capacité à persévérer. " Avant une course, je visualise tous les obstacles auxquels je serai confrontée comme par exemple le grand froid, l'absence de confort, les possibles carences alimentaires, les douleurs au niveau des muscles... Cela me permet de mieux accepter l'obstacle quand il se présente, je ne le subis pas ", explique l'athlète.
Elle parle aussi de visualisation positive, où elle se voit atteindre son objectif. " C'est plus instinctif, c'est le fait d'avoir la foi dans son projet, la motivation et la confiance. " L'absence de visualisation peut coûter cher. Comme cette fois, il y a huit ans, où Stéphanie Gicquel a dû abandonner une course d'ultra-trail. " Je n'avais pas visualisé certaines douleurs, notamment à l'estomac. C'était une course de 180 km, et après en avoir parcouru plus des deux tiers, j'ai abandonné. J'aurais clairement pu aller plus loin, mais le mental m'a fait défaut. Je n'avais pas pris conscience des obstacles en amont. " Selon elle, l'optimisme n'empêche pas le réalisme. Aussi, lorsqu'elle se casse la rotule en début d'année, alors en pleine préparation des championnats du monde d'athlétisme, Stéphanie Gicquel apprend à dépasser sa déception. " Je présentais l'un des meilleurs temps. Le fait d'être stoppée entraîne forcément quelques jours de déni, puis de tristesse. Mais intégrer cette épreuve, cela me libère. Je ne cherche plus le plan parfait. Je sais que mon point de départ est plus loin que ce qu'il aurait dû être. Je peux désormais me concentrer sur la construction d'un nouveau plan. " Inutile de ressasser sur cet événement, il faut l'accepter pour rester agile. C'est en tous cas son état d'esprit pour adapter son année 2022 et les championnats d'Europe d'athlétisme en fonction des résultats de son précédent championnat. Un pas après l'autre.