Quel chef d'entreprise est véritablement Donald Trump?
"Je promets de gérer les États-Unis comme je gère mes affaires". C'est l'un des mantras du nouveau président des Etats-Unis, Donald Trump. Des affaires qui révèlent son type de management et permettent d'imaginer les conséquences de sa victoire.
Je m'abonneActualisé le 09/11/2016
Donald Trump devient le 45e chef de l'État. Alors qu'Hillary Clinton, l'ex-Première dame de Bill Clinton de 1993 à 2001 et ex-secrétaire d'État de Barack Obama, a un bagage politique fort, Donald Trump arrive, lui, vierge de toute fonction politique. Face à sa rivale et pour se montrer qualifié pour le poste, ce dernier s'est érigé en chef d'entreprise aguerri, fier de n'avoir aucun lien avec la politique. En prononçant ces mots : "Je promets de gérer les États-Unis comme je gère mes affaires", Donald Trump a réaffirmé ce statut et fait appel au symbole de dynamisme et de réussite à l'américaine qu'il inspire au public pour le séduire. Mais dans les faits, quel entrepreneur est t-il vraiment ? Nous avons posé la question au journaliste et écrivain Joel Dreyfuss. Haïtien de naissance, il partage actuellement sa vie entre New York et Paris et a contribué à de nombreux titres de presse américains (The Washington Post, Fortune Magazine, The New York Times Magazine, The Huffington Post...) tout au long de sa carrière.
La famille avant tout
Si Donald Trump ne cesse de répéter qu'il n'a jamais eu à compter sur personne pour faire fortune, sa filiation trahit la réalité de ses privilèges. Issu d'une famille de riches promoteurs immobiliers, il a pu compter sur la fortune de son père pour bien démarrer dans les affaires. Encore étudiant en école de commerce, il prendra rapidement les commandes de l'entreprise familiale, ex-Elizabeth Trump & Son, fondée par son père qu'il renommera The Trump Organization en 1971. Du haut de sa tour, la Trump Tower à Manhattan, qui abrite aussi le siège social de sa compagnie et sa résidence principale, Donald Trump et trois de ses cinq enfants (Ivanka Trump, Eric Trump et Donald Jr. Trump), tous vice-présidents de la société, pilotent les différents véhicules de mise en valeur de la marque Trump. Soit : essentiellement des activités de développement immobilier, de tourisme, l'exploitation de casinos et de terrains de golf parmi d'autres (édition, médias, jeux télévisés, produits dérivés..).
Le business model de l'entreprise familiale des Trump est ainsi fait que la majeure partie des activités sont consacrées à donner une connotation positive au nom "Trump" pour en faire une marque à part entière. Pour Joel Dreyfuss, le point fort de Donald Trump en tant que chef d'entreprise est justement cette capacité à vendre sa marque en franchises. Mais d'après lui et son regard sur ce qu'en disent les médias américains, il n'est pas aussi doué et audacieux qu'il le prétend : "Il investit très peu de son propre argent personnel dans les affaires. Je ne pense pas que ce soit un grand entrepreneur car il ne prend pas de risques. D'autres milliardaires comme Bill Gates ou Mark Zuckerberg ont utilisé leur fortune et ont enrichi beaucoup d'autres personnes. Mais Trump n'a enrichi personne d'autre que la famille Trump. Il n'a pas confiance en grand monde à part en sa famille."
Un investisseur et un manager chaotique
"Si je mets mon nom sur quelque chose, vous savez que ça sera un bon produit", clame Donald Trump. Le patronyme du candidat à la présidentielle américaine est ainsi omniprésent sur des "produits dérivés" : Trump Tower, Trump Plaza, Trump Taj Mahal pour les bâtiments et Trump Magazine, Trump World Magazine, Trump Vodka, jeu de société Trump... et même les Trump Steaks, des produits disparus aujourd'hui car résultant d'investissements mal pensés ou criblés de procédures judiciaires, à l'instar de la Trump University. Cette école de formation en gestion immobilière est dans le collimateur de ses étudiants qui lui reprochent des pratiques marketing mensongères et agressives. Plus récemment, le procureur général de l'État de New York a tenu, malgré la faillite de la Trump University et la candidature de Donald Trump aux élections présidentielles, à faire s'acquitter le milliardaire d'une amende de plusieurs millions de dollars pour pratiques commerciales illégales. Selon Joel Dreyfuss, ceci montre le peu de scrupules de l'homme d'affaires : "Donald Trump a un style de management chaotique. Il veut renégocier tous ses contrats même une fois scellés puis lance des poursuites judiciaires à tout-va lorsqu'il est en désaccord avec quelqu'un. Il ne sait pas déléguer et a des difficultés à séparer les affaires privées des affaires personnelles. Il paye des choses privées avec l'argent de ses entreprises."
Autre témoin du mauvais instinct financier de Donald Trump : en 2006, la bulle immobilière s'apprête à éclater et les saisies sur biens ont déjà commencé. Donald Trump annonce alors vouloir lancer une compagnie de prêt immobilier. "Qui connaît mieux le financement que moi ?" déclarera t-il en conférence de presse. Résultat des courses, Trump Mortgage est stoppée un an et demi plus tard, victime de la crise immobilière. Lors de la dernière convention nationale du Parti Démocrate, Michel Bloomberg, ancien maire de New York venu soutenir Hillary Clinton, a ironisé au sujet de Donald Trump et de son sens des affaires : "Trump dit qu'il veut gérer la Nation comme il gère ses affaires ? Dieu nous vienne en aide...!"
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La mythologie de l'entrepreneur modèle
Si Donald Trump est bien souvent qualifié de non-conventionnel par les médias, c'est qu'il ose à peu près tout et n'hésite pas à enjoliver son image. Il a notamment gagné en popularité en animant de 2004 à 2015, l'émission de télé-réalité The Apprentice, où il faisait passer des entretiens d'embauche à des candidats désireux d'obtenir une place de choix dans son entreprise et sanctionnait les autres d'un péremptoire "You're fired !" (Vous êtes viré !). Son livre, "The Art of the Deal" (l'art de la négociation) a contribué à élaborer son image de chef d'entreprise modèle. Vendu à plus d'un million d'exemplaires, preuve que le personnage inspire, si ce n'est de la curiosité, une certaine crédibilité, il n'a pourtant pas été rédigé par lui. Ce livre est l'oeuvre de Tony Schwartz, un journaliste et écrivain américain. En juillet dernier, The New Yorker lui a consacré un très long article, expliquant le processus rédactionnel de ce livre à la gloire de l'audace entrepreneuriale du candidat.
En 1985, Tony Schwartz passe 18 huit mois aux côtés de Donald Trump, allant jusqu'à camper dans son bureau pour observer son personnage agir. En rédigeant des conseils comme étant distillés par Donald Trump en personne, tels que "Cela paye de se fier à son instinct" lorsqu'il indique avoir acheté plusieurs centaines de millions de dollars un hôtel qu'il n'a pourtant jamais visité, l'auteur a élaboré l'image d'un entrepreneur casse-cou mais brillant. Et cette image a perduré dans l'inconscient du public jusqu'à aujourd'hui. Dans l'article, un des confrères journalistes de l'auteur, Edward Kosner, va jusqu'à dire : "Tony a créé Trump. Il est son Docteur Frankenstein". En désaccord avec les positions de Donald Trump, Tony Schwartz a finalement désavoué le candidat lorsque ce dernier s'est approprié la paternité du livre. Donald Trump a en effet fait son propre éloge devant son public : "Nous avons besoin du leader qui a écrit The Art of The Deal". Ce à quoi Tony Schwartz a répondu sur Twitter : "Merci beaucoup de m'avoir suggéré que je pourrais être président des États-Unis puisque c'est moi qui ait écrit le livre".
D'après les témoignages autour de Donald Trump, qu'il s'agisse de ses détracteurs ou des investisseurs qui ont eu confiance en lui et ont été trahis par la suite, l'image de l'entrepreneur brillant qui lui colle à la peau serait alors un leurre. Le nom Trump aurait, à force de briller sur les façades de buildings, distillé dans l'imaginaire américain cet idéal de richesse et de stabilité financière qui lui a permis de se hisser dans les sondages. En y regardant de plus près, l'homme est tout de même à la tête d'une fortune estimée à plus de dix milliards de dollars, bien qu'il pourrait avoir gonflé sa déclaration de patrimoine. Certains de ses investissements sont pérennes, soit les revenus liés à l'exploitation de ses hôtels, terrains de golf et propriétés diverses ou ses parts dans le concours Miss USA et Miss Univers. Mais ses propos virulents lui ont souvent fait perdre en crédibilité et rater des signatures de contrats. Décoré honoris causa par l'Université Robert Gordon de Aberdeen en Écosse pour son parcours de chef d'entreprise, son titre lui a été retiré suite à ses positions sur la restriction d'accès au territoire américain pour les musulmans.
L'espoir du renouveau
Pour Joel Dreyfuss, les Américains se préparent à l'idée d'avoir Donald Trump comme président en se disant qu'il va s'entourer d'experts, incapable d'imposer une hyper-présidence à l'échelle d'un pays comme les États-Unis. Seul véritable point fort du candidat pour le journaliste, sa capacité à "secouer l'etablishment", soit "tout déchirer pour recommencer à zéro". C'est l'un des critères qui séduirait les Américains, en quête de renouveau dans un contexte d'incertitude économique. C'est cette même incertitude qui fait que, paradoxalement, Donald Trump est autant loué pour son image de richesse et de stabilité financière que pour sa spontanéité et sa propension à tout bousculer autour de lui. Le 8 novembre, l'issue du vote, favorable ou défavorable à Trump sera riche d'enseignements et lumière sera faite sur la vision de chef d'entreprise de Trump étendue à la gestion d'un pays... Et, en cas de défaite, on en saura plus de sa gestion de l'échec.