Les bonnes recettes des PME au succès "food"
Les plus habiles d'entre elles ravissent nos papilles en France et à l'international. Le point commun entre ces PME ? Elles mixent quelques ingrédients clés : un bon produit, une stratégie innovante, si possible tournée vers l'export, des aptitudes à négocier et une histoire à raconter.
Je m'abonneL'émotion qui a accompagné - à tort ou à raison - la diffusion de l'enquête menée par l'association L214 sur les vaches à hublots au centre d'expérimentation de Sanders (filiale du groupe Avril) montre à quel point les sujets qui touchent à l'élevage en particulier, et au secteur agroalimentaire en général, sont sensibles en France. Les "affaires" émaillent l'actualité. Et les consommateurs se méfient de plus en plus des grands acteurs de l'industrie. Un désamour qui semble servir les PME, au contraire liées à leurs territoires. Les Français ne s'y trompent pas. Une forte majorité (78 %) estime que les PME sont centrées sur le consommateur, ont des produits de qualité supérieure et sont innovantes selon l'étude "La perception des Français à l'égard des PME", réalisée par Occurrence en juin pour la Fédération des entreprises et des entrepreneurs de France (Feef). Il ressort aussi de cette consultation que neuf Français sur dix jugent que les PME participent au rayonnement d'une région et de ses produits locaux. C'est dire si elles ont toute leur confiance et leur place sur le marché B to C. " Les consommateurs attendent des offres alternatives, car ils souhaitent manger de manière plus saine, sans impacter la planète, mais en cultivant un moment gourmand. Nous nous sommes positionnés sur ce créneau, parce qu'il y a beaucoup d'offres à inventer ", témoigne Beena Paradin, présidente de Beendhi, fabricant français de produits végétariens bio.
Séduire la grande distribution
Mais aussi bons soient-ils, les produits ont besoin, pour percer, des distributeurs. " Les marques de PME contribuent à 80 % de la croissance de la grande distribution et ont de belles perspectives de développement sur l'ensemble des formats, y compris en e-commerce ", déclare Dominique Amirault, président de la Feef. Les intérêts entre la grande distribution et les PME seraient donc communs. " Nous pouvons créer de la valeur ensemble en recherchant des solutions par le compromis ", martèle-t-il. Mais séduire les géants de la distribution n'est pas si simple.
" Parmi les clés du succès, la patience et la pugnacité sont des qualités incontournables, la faculté d'avancer pas à pas également, car, dans notre secteur, il n'y a pas de grands soirs pour faire bondir le chiffre d'affaires. Surtout, il faut créer une stratégie de marque ", résume Yves Faure, président d'Agro'Novae, manufacture agroalimentaire familiale et indépendante qui fabrique et commercialise des spécialités et des ingrédients à base de fruits (confitures, compotes, confits ... ) depuis 1986 (CA 2018 : 10 M€, 49 collaborateurs). Sa marque, Les Comtes de Provence, bénéficie de la fidélité des consommateurs. " Cela nous permet d'être présents dans les rayons de manière durable ", se réjouit le dirigeant. Pour autant, les négociations avec des enseignes comme Auchan, E.Leclerc ou Intermarché sont difficiles. Mais le jeu en vaut la chandelle. " Ce sont de très bons clients, pérennes, qui paient à 30 jours fin de mois ", glisse Yves Faure. L'entrepreneur qui préside un groupe de travail au sein de la Feef se félicite des bonnes relations entretenues entre la fédération, ses membres et les distributeurs. " Nous préparons les périodes de négociations, nous analysons leurs besoins en termes de produits et de services ", précise-t-il.
L'art de négocier
Des recettes qu'il met à profit dans sa PME. " Nous négocions au cours de trois, quatre, cinq rendez-vous. C'est un vrai sport ! ", lâche celui qui parvient à faire accepter quelques points de hausse des tarifs, certes insuffisants à ses yeux. Car le prix demeure le nerf de la guerre. " En refusant de répercuter les hausses de prix, la grande distribution est dans une logique déflationniste, ce qui n'est pas sain pour le marché, car une entreprise qui ne gagne pas d'argent ne peut plus investir ", regrette Yves Faure. Pour soutenir l'activité de ses membres, la Feef (900 adhérents, dont 80 % dans l'agroalimentaire) a noué, depuis mai, un partenariat avec Alkemics, plateforme de collaboration et de partage des données entre les marques et les distributeurs. Objectif : connecter les catalogues "produits" à l'ensemble des distributeurs en vue de leur référencement. Au printemps, 550 PME utilisaient déjà Alkemics pour transmettre des données "produits" aux sites drive et e-commerce des distributeurs français. " Par sa simplicité d'utilisation, notre plateforme s'adapte aux besoins de tous les acteurs de l'agroalimentaire. Et ce, quelle que soit leur taille. Notre objectif est que les PME puissent, grâce à la digitalisation, répondre aux enjeux de la distribution de demain et aux attentes des consommateurs finaux ", plaide Antoine Durieux, son CEO.
D'autres partenaires doivent être chouchoutés par les entreprises de l'agroalimentaire : les producteurs. Le but : sécuriser les approvisionnements. " Les fournisseurs sont clés, surtout dans le secteur bio, qui est un marché pénurique où la demande est plus forte que l'offre ", observe Beena Paradin, qui explique prendre des engagements sur les récoltes et l'innovation avec les producteurs. Un travail qui exige parfois plusieurs années pour mettre au point un produit afin de satisfaire à l'appétit de nouveautés.
Témoignage 1
" Les marchés internationaux fonctionnent différemment "
Karine Tardon, CEO de Karine & Jeff
" Indépendamment de la mise en rayon de produits de qualité, du travail de sourcing qu'ils réalisent et de leur renommée internationale, les réseaux de distribution bio se comportent comme leurs confrères de la GMS dans les négociations " , témoigne Karine Tardon, CEO de Karine & Jeff qui fabrique des plats cuisinés. Le secteur bio n'échappe pas au rituel de la grand-messe de fin d'année. Et les discussions sont vives. " Fin 2018, les négociations étaient très tendues, mais chacun a fini par faire un pas vers l'autre ", ajoute-t-elle. En balance, le prix. " En France, c'est l'argument de vente n° 1 ", regrette la dirigeante. Or, la PME a besoin de nouer des partenariats à long terme avec ses producteurs. En cas d'aléas climatiques, si leur production baisse, il est nécessaire d'augmenter les prix. Ce que les distributeurs refusent a priori. S'engage alors un bras de fer. " Soit le distributeur considère que le produit est trop cher et menace de le retirer de ses rayons, soit il accepte le principe de la hausse, mais demande qu'elle s'applique à une date ultérieure. " La PME a élargi ses débouchés commerciaux au-delà du retail spécialisé. Elle alimente le secteur du snacking, l'épicerie fine et les primeurs. Surtout, elle exporte. " Les marchés internationaux fonctionnent différemment. Par exemple, aux États-Unis, nous donnons notre prix, le distributeur prend sa marge. Mais c'est le marché qui décide si le prix est juste ou non, il n'y a pas de négociation, le produit perce ou non. " A priori, ça marche : l'entreprise a créé une filiale là-bas, avec un bureau ouvert à New York et un bureau commercial à Los Angeles.
Karine & Jeff
Plats cuisinés bio
Revel (Haute-Garonne)
Karine Tardon, gérante, 45 ans
SARL > Création en 2000 > 35 collaborateurs
CA 2018 : 4,9 M€
Témoignage 2
" Le secret de la longévité est de savoir se réinventer "
Loïc Couilloud, président de Routin
Routin, entreprise savoyarde de plus de 130 ans, a multiplié son résultat par deux entre 2012 et 2018 et projette d'en faire autant entre 2018 et 2023. Le chiffre d'affaires devrait passer de 59 à 82 millions d'euros. " Le secret de la longévité est de savoir se réinventer ", explique Loïc Couilloud, son président. La marque de sirops fabriqués avec l'eau des Alpes s'est transformée. " Jusqu'en 2012, le métier de Routin consistait à accompagner les marques distributeurs, qui représentent 72 % de notre chiffre d'affaires. Depuis, nous opérons un virage stratégique en mettant l'accent sur nos propres marques : Fruiss pour le marché français, 1883 pour l'international et, récemment, des sirops sous licence Oasis pour concurrencer le leader du marché dans les rayons de la GMS et créer de la valeur, notamment avec des bi-parfums attrayants. " Pour devenir leader dans le bio, la marque Fruiss a été relookée et propose des sirops bio, plutôt haut de gamme, afin de cibler les adultes et les familles. 1883, dédiée aux barmen et baristas à l'international, a revu son image et lancé de nouveaux parfums pour les accompagner dans leur créativité. Le tout orchestré par un plan de communication calé au millimètre (nouvelle charte graphique, nouveau site web, club 83 ... ). La PME, dont les produits sont distribués dans 82 pays, a reçu le label PME+ grâce à sa politique RSE. " Face aux distributeurs, il apporte la confirmation de notre engagement. " Un plus. " La force de la marque est essentielle dans la grande distribution en France. À ce titre, Oasis nous est indispensable. Nous développons les achats, sans cannibaliser notre concurrent, mais nous apportons nos goûts, riches en fruits, sans arômes artificiels. Idem avec Fruiss bio ", conclut-il.
Routin
Fabricant de sirops
La Motte-Servolex (Savoie)
Loïc Couilloud,président, 49 ans
SA > Création en 1883 > 152 collaborateurs
CA 2018 59 M€
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