Quand le contrôle fiscal d'un dirigeant vire au cauchemar
Le contrôle fiscal de Jean Brunet, expert-comptable exerçant dans son cabinet parisien, aura duré plus de 20 ans. Une expérience qu'il raconte, avec distance et dérision, dans "Fiscalement vôtre" publié aux éditions du Bazois. Extraits choisis.
Je m'abonneLe sinistre fiscal
Dans un souci d'honnêteté intellectuelle, il est temps de rappeler à nouveau que dans la grande majorité des contrôles -ceux que j'ai qualifiés un peu plus haut de "normaux"-, les vérificateurs font bien leur boulot. Les échanges sont souvent constructifs et les contrôles se soldent par des redressements parfois même symboliques, à tout le moins supportables. Ils sont motivés, la plupart du temps, par des inexactitudes de forme, sans grandes conséquences financières.
Cela témoigne de l'incontestable utilité des contrôleurs des impôts dans un système politique où l'égalité des droits et de traitement figurent au fronton des institutions. Bien évidemment, il faut des vérificateurs fiscaux, des commissaires aux comptes pour les sociétés commerciales, des contrôleurs aux comptes pour les associations... Je n'ai pas pris ici la plume pour condamner un système mais pour témoigner et pointer du doigt les dérapages incontrôlés, tel celui que j'ai subi. Car dans l'hypothèse d'un sinistre fiscal, à l'instar d'un dégât des eaux, ses conséquences peuvent non seulement mettre en péril votre vie professionnelle, familiale et sociale mais également votre santé. Le sinistre fiscal pouvant à tout instant se muer en Samu fiscal.
Après les erreurs judiciaires, les bavures policières, je vais donc découvrir, malgré ma qualité professionnelle, un nouveau préjudice pour le citoyen : le sinistre fiscal! Il est moins visible, plus sournois mais il fait des dégâts comme le gaz Sarin. Certes, c'est un événement exceptionnel et rare. Nous sommes tous d'accord: le meilleur pilote peut commettre une faute de conduite. Pour prévenir cette éventualité, ce professionnel est d'ailleurs assuré, et les éventuelles victimes de son erreur pourront être indemnisées. De même, le meilleur expert-comptable peut commettre une erreur dans le cadre de ses missions (lui ou ses collaborateurs). Dans cette hypothèse, ce dernier est très bien assuré -je sais de quoi je parle- et ses clients peuvent donc, le cas échéant, obtenir réparation.
Alors, j'aimerais comprendre pourquoi, lorsque l'administration dérape par l'intermédiaire d'un agent trop zélé, et qu'à cela vient s'ajouter un dysfonctionnement des services, celle-ci ne serait pas en mesure d'indemniser le contribuable victime de ses erreurs? Quitte, si l'administration est mal assurée, ou pas du tout, à se voir contrainte de puiser dans ses deniers pour réparer et soutenir ainsi son devoir d'exemplarité. Car, soyons clair, c'est exactement ce qu'on exigerait d'un simple citoyen dans une circonstance analogue.
En vérité, c'est l'humilité qui devrait présider dans cette situation, mais il semblerait que l'administration fiscale en manque bigrement et qu'elle ait du mal à reconnaître ses torts.
La longue attente
Déjà pas mal émoussé par ces trois années et demie de contrôle, d'argumentation, de réponses orales ou écrites, de rendez-vous et d'échanges épistolaires, je vais maintenant méditer durant plusieurs mois sur la suite qu'il convient de donner à ce triste épisode de ma vie.
Fin 1997, je décide finalement de contester les conclusions du contrôle, et du même coup le montant de la notification de redressement: j'introduis une réclamation contentieuse auprès des services fiscaux. Cette procédure classique porte sur le redressement de 1990. Je dois admettre que j'ai négligé d'y adjoindre les deux autres années (91 et 92) qui ont pourtant fait depuis, elles aussi, l'objet d'une mise en recouvrement.
En fait, j'ai simplement tenté de parer au plus pressé. La notification de l'année 1990 étant de loin la plus élevée (elle représentait 80 % des redressements), elle a donc légitimement concentré toute mon attention.
Je mesure aujourd'hui mon erreur puisque ce sont, justement, les redressements liés à ces deux années (91 et 92) qui continuent à m'être réclamés par les avis à tiers détenteur du percepteur, vingt-trois ans plus tard!
Mais l'époque ne m'était pas très favorable: je me battais seul et j'étais mal équipé en terme d'assistance fiscale. J'avais renoncé à m'attacher les conseils d'un avocat fiscaliste tant, après une première estimation, les honoraires m'apparaissaient élevés. J'ai eu tort, l'avenir me le prouvera.
Je le regrette d'autant plus qu'à l'heure où j'écris, une récente relecture des pièces de procédures par un avocat spécialisé m'autorise à croire que j'aurais certainement obtenu gain de cause si je n'avais pas limité ma réclamation à la seule année 90...
Silence radio!
A partir du mois de janvier 1998 va débuter ce que j'ai intitulé la "longue attente". Car aussi invraisemblable que cela puisse paraître, désormais l'administration ne me répondra plus ! Un silence radio total ! Une rupture de réseau, de fil, de câble jusqu'au 22 mai 2012... Soit pratiquement quinze ans.
L'auteur
Né en 1948 à Paris, Jean BRUNET est Expert-comptable et exerce toujours dans le cabinet qu'il a fondé à Paris. Il a également présidé la Fédération française de Badminton de 1988 à 1996 tout en siégeant pendant plus de 20 ans à la Commission financière du Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF). Son ouvrage, "Fiscalement vôtre" est publié aux éditions du Bazois (20 euros, 183 pages).