Enregistrer l'employeur à son insu : licite ou non ?
Les échanges verbaux entre l'employeur et le salarié sont multiples et divers, qu'il s'agisse de discussions personnelles, portant sur un dossier ou d'échanges formels (entretien préalable à un éventuel licenciement, entretien d'évaluation, etc.).
Je m'abonne" Les paroles s'envolent, les écrits restent. " Pour contourner cet adage, certains salariés n'hésitent pas à enregistrer l'employeur à son insu. Cette tendance s'accentue car les smartphones rendent l'exercice particulièrement simple. Quel est l'avis de la jurisprudence ?
Le principe : un mode de preuve illicite
Selon l'article 9 du Code de procédure civile, " il incombe à chaque partie de prouver conformément à la loi les faits nécessaires au succès de sa prétention. " Ainsi, les procédés déloyaux, les pièges et les stratagèmes ne constituent traditionnellement pas des preuves valables.
Pour la jurisprudence, l'enregistrement d'une conversation téléphonique privée, effectué à l'insu de l'auteur des propos invoqués, est un procédé déloyal rendant irrecevable en justice la preuve ainsi obtenue.
En revanche, le salarié peut produire en justice le message vocal laissé sur son répondeur par l'employeur, la Cour de cassation considérant que ce dernier ne peut ignorer qu'ils sont enregistrés par l'appareil récepteur.(1)
Dans un arrêt du 2 juillet 2013, la Cour d'appel de Grenoble avait jugé que le moyen de preuve qui consiste à enregistrer des propos à l'insu de la personne qui les tient est illicite, dès lors qu'il n'est pas possible d'authentifier la voix de la personne enregistrée.(2)
Par conséquent, le salarié ne peut valablement pas produire en justice un enregistrement des paroles de son employeur.
Rappelons, par ailleurs, que l'article 226-1 du Code pénal dispose qu'est puni d'un an d'emprisonnement et de 45 000 euros d'amende le fait, au moyen d'un procédé quelconque, de porter atteinte volontairement à l'intimité de la vie privée, en captant, enregistrant ou transmettant, sans le consentement de leur auteur, des paroles prononcées à titre privé ou confidentiel.
En conclusion, il est illicite d'enregistrer en secret son employeur, et ce même si le salarié n'a aucune intention de produire le fichier audio en justice (souvent, sous la forme d'une retranscription par un huissier).
L'exception : la preuve d'une infraction pénale
L'article 427, alinéa 1er du Code de procédure pénale prévoit qu'" hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction. "
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Ainsi, la chambre criminelle de la Cour de cassation estime que le principe de la liberté de la preuve permet de ne pas écarter les moyens de preuve produits par les parties au seul motif qu'ils auraient été obtenus de façon illicite ou déloyale.(3)
En d'autres termes, le salarié peut valablement produire des enregistrements effectués à l'insu de l'employeur, à la seule fin de rapporter la preuve d'une infraction pénale commise par ce dernier.
A titre d'exemple, en matière de harcèlement moral, le salarié peut saisir le tribunal correctionnel puisque le fait de harceler autrui par des propos ou comportements répétés ayant pour objet, ou pour effet, une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel, est passible de peines d'emprisonnement et d'amende (Code pénal art. 222-33-2).
Or, le tribunal correctionnel doit considérer comme recevables, comme preuve de l'infraction de harcèlement moral, les fichiers audios obtenus à l'insu de l'employeur.
Toutefois, si, à l'occasion des mêmes faits, le salarié saisit le Conseil de prud'hommes (pour, par exemple, une demande de résiliation judiciaire du contrat de travail), il ne peut pas se prévaloir de l'enregistrement effectué à l'insu de l'employeur.
La tendance actuelle : vers un assouplissement
La jurisprudence actuelle de la chambre sociale de la Cour de cassation a tendance à admettre la recevabilité de preuves obtenues de manière illicite, sous certaines conditions.
En ce sens, la Cour de cassation(4) vient de juger que le droit à la preuve peut justifier la production d'éléments portant atteinte à la vie personnelle d'un salarié à la condition que cette production soit nécessaire à l'exercice de ce droit et que l'atteinte soit proportionnée au but poursuivi.
L'arrêt ne concerne pas les enregistrements clandestins de l'employeur, mais cette jurisprudence pourrait bien s'appliquer à cette situation.
En effet, le salarié peut établir que l'enregistrement de l'employeur était son seul moyen d'obtenir une preuve et que l'atteinte à la vie privée de l'employeur était proportionnée au but poursuivi.
(1) Cass. soc. 6 février 2013, n° 11-23.738.
(2) CA Grenoble 2 juillet 2013, n°11/02338
(3) Cass. crim. 15 juin 1993, n° 92-82.509
(4) Cass. soc. 25-11-2020 n° 17-19.523