[Tribune] CIR : le parcours du combattant d'André Bousquet, dirigeant de PME
Complexe et coûteux à obtenir, le Crédit impôt recherche (CIR) n'est pas adapté aux PME. Et pourtant ce sont elles, bien plus que les grands groupes, qui en ont le plus besoin pour innover et recruter.
Je m'abonneJe lis ici et là que, chaque année, environ 60 Mds€ sont versés aux entreprises sous forme d'aides diverses... Je suis curieux de savoir à qui ? Une chose est sûre, les PME en voient peu la couleur : seulement 9 % d'après une étude Ernst & Young de début 2013. Chez Meljac, nous n'avons perçu que 20 % des aides auxquelles nous pouvons prétendre pour les deux dernières années, c'est-à-dire 80 k€ (soit le CICE 2013) au lieu de 400 k€. Le reste est toujours en cours d'instruction. À ce rythme, un moment viendra où nous ne pourrons plus investir.
Ces dispositifs sont devenus une aubaine fiscale pour les mastodontes tels que Sanofi qui a touché 125 M€ de CIR en 2013 , La Poste qui dégage un bénéfice net de +31 % grâce aux 297 M€ du CICE, ou encore Total, qui n'a pas payé d'impôts en France en 2013, et qui a reçu 79 M€ l'an dernier au titre du CICE et du CIR. Et pourtant ces grandes entreprises continuent de supprimer des postes...
Parmi les dispositifs mis en place, le CIR est estimé à 5,3 Mds € en 2015 par la Cour des comptes : une somme colossale dont l'efficacité est contestée. C'est un vrai casse-tête, et un parcours du combattant pour l'obtenir. La démarche reste très lourde et nécessite de gros investissements, le tout sans garantie aucune. Pendant l'instruction du dossier, nous sommes sans cesse amenés à répondre à de nouvelles questions, apporter des précisions, modifier des éléments, fournir de nouveaux justificatifs. Si bien que deux ans après avoir investi, nous ne disposons toujours d'aucun financement. Et les risques de subir un contrôle fiscal sont plus importants... Autant d'incertitudes qui complexifient l'établissement d'un plan de développement.
Élaboré au départ essentiellement pour les PME, le CIR profite surtout aux grands groupes. Les PME représentent 88 % des déclarants mais, in fine, seulement 35 % du montant total du CIR leur sont attribués. Pourtant, ce sont elles qui embauchent le plus (+1 % chaque année contre 0,5 % dans les grandes entreprises). Malgré le fait que nous n'ayons pas perçu la totalité des aides attendues, nous avons créé 14 postes chez Meljac en 2013-2014, soit 22 % de l'effectif. Avec ce que nous aurions dû toucher, nous aurions pu doubler les recrutements, nécessaires pour développer l'entreprise et maintenir son haut niveau d'innovation. Si toutes les entreprises bénéficiaires d'aides en faisaient autant, le chômage aurait nettement diminué.
Il s'agit donc de faciliter l'accès au CIR pour les PME et de revoir son fonctionnement afin d'investir plus efficacement dans la recherche. Et ce afin de freiner l'expatriation des cerveaux et de maintenir le niveau de R & D en France. Car si le bénéfice du CIR sur l'emploi en R & D est toujours attendu, il faut s'assurer que les sommes versées sont bien utilisées dans ce sens.
Je perçois néanmoins une lueur d'espoir : fin 2014, Valérie Rabault (rapporteuse générale PS du budget à l'Assemblée Nationale) annonçait la volonté de plafonner davantage le calcul du CIR pour les grands groupes. Appliquer l'aide au niveau d'un groupe et non plus d'une filiale serait donc un début ! Des commissions d'enquêtes ont d'ailleurs déjà été créées et j'espère qu'elles contribueront à faire évoluer le dispositif dans le bon sens.
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André Bousquet
André Bousquet est le créateur et le directeur de Meljac, fabricant d'interrupteurs et de prises de courant haut de gamme. Basée à Paris, la société emploie actuellement 63 salariés pour un chiffre d'affaires de 6,5 M€ en 2014.