Réseau d'entrepreneurs : Jouer collectif !
L'appartenance à un réseau d'entrepreneurs participe-t-elle au bonheur des dirigeants ? Sans doute. Partage, échange, soutien, mais aussi convivialité, ouverture... à les entendre, les rencontres régulières les nourrissent et alimentent autant leur vision stratégique que leur développement personnel. Et surtout, le réseau leur permet de sortir d'une certaine forme d'isolement. À tel point qu'ils en redemandent !
Je m'abonneAdhérente du Réseau Entreprendre depuis quatre ans, Raphaëlle Christ, directrice générale associée de DS Impression (40 salariés, 10 M€ de CA), société spécialisée dans l'impression numérique d'affiche grand format et de PLV, à Geudertheim (Bas-Rhin), s'est engagée au départ sur les conseils d'une amie. « J'en suis très heureuse car il s'agit d'un réseau bienveillant, qui a des valeurs, et nous permet de voir comment travaillent nos pairs, nous échangeons sur nos bonnes pratiques et nous inspirons de secteurs d'activité différents, cela nous permet de compléter nos compétences. » Mieux, aujourd'hui cette dirigeante démarre l'accompagnement d'une société coopérative d'intérêt collectif (SCIC). « C'est un nouveau défi, car je découvre un modèle de société qui fonctionne différemment, reçoit des subventions, et envisage le développement de son activité à un autre rythme, c'est à la fois courageux et intrigant... », témoigne-t-elle. Une porte ouverte. L'accès à l'autre représente peut-être le dénominateur commun à tous les réseaux d'entrepreneurs existants.
Diversité des objets et des cibles
Pour profiter de l'expérience des autres, les réseaux sont légion. Ainsi, Alain Bosetti, président du salon SME dédié aux entrepreneurs (et fondateur du webmagazine Place des réseaux qu'il a revendu en 2017), distingue « les réseaux d'affaires, dont la promesse est de permettre à leurs adhérents de développer leur chiffre d'affaires, les réseaux dont l'objectif est de partager et d'échanger, les clubs dédiés au développement du chef d'entreprise (l'APM,Association Progrès du Management, ou le CJD, Centre des Jeunes Dirigeants), les clubs territoriaux dont les membres ont envie de valoriser leur territoire, les réseaux d'accompagnement à la création et reprise d'entreprises, les réseaux de mutualisation de ressources... ».
On pourrait ajouter à la liste les réseaux de femmes cheffes d'entreprise, les clubs des chambres consulaires, les différentes organisations professionnelles, etc. Indépendamment de leur vocation première, de leur statut juridique (association ou société), de leur taille et de leur renommée, ces groupes relationnels cherchent tous à sortir le chef d'entreprise de son isolement. «
S'il y en a tant, c'est que chacun trouve son public et c'est très bien ! Choisir nécessite de chercher, de tester, de se faire une opinion tout en conservant un regard positivement critique, car beaucoup de réseaux sont complémentaires », affirme Dominique Restino, notamment président de la CCI Paris Ile-de-France et du réseau Moovjee, mouvement pour l'entrepreneuriat des jeunes. Aucun ne serait totalement inutile. « Le réseau c'est la vie, l'humain, l'échange, le partage, le plaisir de se retrouver », poursuit-il. Est-il possible de quantifier leur poids ? Difficile, en l'absence d'études récentes sur le sujet.
En 2023, Initiative France (réseau associatif de financement des créateurs/repreneurs) déclare avoir accompagné et financé, par le prêt d'honneur à taux 0, la création ou reprise de 20 025 entreprises. Le Réseau Entreprendre, présent dans dix pays, revendique réunir 15 000 chefs d'entreprise, et accompagne 5 000 lauréats en France. Le site Internet du Club des Jeunes Dirigeants (CJD) communique sur 6 000 membres, 17 pays affiliés, 125 sections en France...
Il n'est pas rare que les membres d'un réseau s'engagent dans un autre. Suivant une boucle vertueuse. « Je fais du business, je me forme, je contribue à valoriser mon territoire, puis je rejoins un réseau de partage pour rendre ce que j'ai reçu », résume Alain Bosetti.
À chaque moment de sa vie d'entrepreneur, le dirigeant peut choisir un réseau, puis y rester selon ses accointances.
Entraide et réciprocité
La vie d'un réseau nécessite un engagement, une présence. Il faut contribuer. C'est le maître-mot. Profiter d'un réseau c'est bien, renvoyer l'ascenseur c'est mieux. « Ceux qui cherchent à prendre sans redonner se font éjecter naturellement », observe Alain Bosetti. Au contraire, « quand un chef d'entreprise devient membre, il doit y aller à fond, conseille-t-il, la constance est facteur de succès. »
Ce qu'induit le Réseau Entreprendre qui réunit depuis sa création en 1986 des entrepreneurs à potentiel d'emploi (créateurs ou repreneurs) et des dirigeants pour les accompagner. « Nos lauréats sont suivis pendant deux à trois années, mais en général ils restent dans le réseau plus longtemps car la réciprocité fait partie de nos valeurs, ils partagent donc par la suite leur expérience pour en faire profiter d'autres », se félicite Olivier Lamarque, directeur général du Réseau Entreprendre. Pas d'obligation mais ce réseau cherche à fidéliser ses membres.
De nombreux événements favorisent les connexions, des réunions thématiques, clubs de coconstruction pour traiter d'une problématique, des visites d'entreprise, etc. « L'environnement évolue si rapidement que les chefs d'entreprise aguerris apprennent des lauréats et de la vision des jeunes », poursuit-il. L'accompagnement est gratuit. Les dirigeants qui s'investissent participent à une oeuvre collective de soutien pour développer leur territoire.
D'autres exemples éclairent l'envie qu'ont les chefs d'entreprise de s'entraider et de transmettre leur savoir-faire. C'est le cas du CRA dont les délégués accompagnent bénévolement les cédants et les repreneurs depuis 35 ans. Dans les territoires, les réseaux émanant des chambres consulaires apportent leur soutien à leurs ressortissants.
Les CCI se sont dotées de "Club Export". En Normandie, à l'initiative de la CCI du Havre, un réseau d'entrepreneuriat féminin a été créé : Femmes & Challenges. Après six années de présidence, sa fondatrice Léa Lassarat a passé le témoin fin 2023 à Audrey Régnier, dirigeante de l'entreprise Bohin (40 salariés, 4,8 M€ de CA), fabricant d'aiguilles à coudre dans l'Orne. La nouvelle présidente veut faire bouger les lignes : « Casser les clichés concernant les femmes cheffes d'entreprise. » Et moderniser le réseau avec une nouvelle formule, « une adhésion payante afin de pouvoir proposer plus d'avantages et une ouverture aux cadres en entreprises, car nous croyons beaucoup à l'intrapreneuriat comme vivier de porteurs de projets ». Mentoring, programme de sensibilisation au leadership et à l'audace, promotion de l'entrepreneuriat, prêt d'honneur... Femmes & Challenges veut aller plus loin. « Nous souhaitons travailler avec les écoles du territoire pour changer le regard sur l'entrepreneuriat au féminin », lâche Audrey Régnier.
Business et networking
Bouge Ta Boîte, réseau business d'entrepreneures, fondé par Marie Eloy également pour accélérer la place et l'impact des femmes dans l'économie, l'a été sous la forme juridique d'une SAS dont les membres sont actionnaires. Son objectif est clairement affiché : il s'agit de développer le chiffre d'affaires des "bougeuses" et d'étoffer leur stratégie en s'appuyant sur le collectif. Avec une méthode bien huilée : mise en relation, événements locaux et nationaux, parcours d'intégration, etc. « Nous proposons des services associés à l'adhésion, des rencontres physiques, mais aussi une plateforme digitale d'échange avec notamment 150 webinaires disponibles pour se former et l'accès à des offres promotionnelles », glisse Julie Bodin, directrice générale de Bouge Ta Boîte.
Dans un autre dessein, Vincent Fournier a créé son premier club d'affaires à Toulouse en 2004, puis les clubs Protéine en 2015. Sept ans plus tard, Protéine fédère plus de 1 300 membres via 128 clubs répartis en France. Son credo : L'entraide commerciale, sur fond de convivialité. « Nous nous différencions en proposant des déjeuners, parce qu'autour de la table se nouent des attaches et c'est ainsi que naissent les recommandations. Une application mobile permet aux membres de rester en contact et nous organisons aussi des rencontres interclubs », explique le CEO.
Protéine s'est doté d'une base de données répertoriant les opportunités d'affaires à tracer. Des recommandations commerciales hyperqualifiées échangées entre ses membres. Chaque nouveau club se structure autour d'un animateur - formé au siège - à partir de six ou sept adhérents. « Nous devons couvrir encore certaines zones blanches, en Alsace, Bretagne et dans le Centre », note Vincent Fournier.
Sens et croissance
Plus le maillage est important, plus l'effet boule de neige fonctionne. CroissancePlus, association réunissant 500 entrepreneurs s'engageant à construire une société entrepreneuriale qui allie sens et croissance, ne cache pas ses ambitions. « Nous organisons une cinquantaine de rencontres par an autour de trois axes : le networking afin que chacun puisse grandir en bénéficiant des expériences des autres, le business et l'inspiration via des interventions de personnalités (grands patrons, sportifs de haut niveau...) », détaille Céline Garrisson, directrice générale.
Pour y entrer, un candidat doit justifier d'une stratégie de croissance, présenter un business model installé, et avoir mis en place un dispositif de partage de la valeur avec ses collaborateurs, au-delà des obligations légales.
Le réseau, qui n'a pas vocation à former, met en place des ateliers d'information et lancera en septembre 2024 son accélérateur de transition écologique. Enfin, les réseaux d'influence, cercles et autres think tanks, cherchent à faire entendre leurs voix auprès des pouvoirs publics.
Tout comme les grandes organisations patronales (Medef, CPME, U2P...) et les réseaux de soutien à l'innovation tels CroissancePlus ou le Comité Richelieu. « CroissancePlus s'adresse à des chefs d'entreprise, pas à des dirigeants salariés, la nuance est importante car ils portent le risque, cela nous distingue du Medef notamment », prévient Céline Garrisson. Influencer les politiques publiques fait partie de sa feuille de route. « La transmission d'entreprise pose aujourd'hui la question de la pérennité des entités, des emplois et des savoir-faire, nous estimons que l'actionnariat salarié peut représenter une solution », ajoute-t-elle. Une autre façon, apartisane, d'oeuvrer en faveur du développement des PME.
1 Français sur 4 souhaite créer ou reprendre une entreprise.
(OpinionWay pour CCI France et le Medef, 2024)
91 % des entrepreneurs sont heureux dans leur vie professionnelle.
(Initiative France, mars 2024)
60 % des dirigeants français (vs 45 % de leurs homologues internationaux) pensent que leur entreprise disparaîtra d'ici 10 ans si leur modèle d'affaires n'évolue pas.
(PWC - Global CEO Survey, janvier 2024)
Témoigange 1 : Denis Ochanine, président d'AGG Print
" Le BNI est structuré pour générer du business "
Denis Ochanine, président d'AGG Print, fait partie de plusieurs réseaux et notamment du BNI (Business Network International) depuis trois ans. « AGG Print souffrait d'un manque de notoriété, j'ai donc souhaité faire connaître la marque et la présenter à l'occasion de rencontres », déclare-t-il.
Côtoyer des professionnels issus de différents secteurs lui permet en outre, explique-t-il, « de tisser des liens de confiance avec de potentiels fournisseurs et sous-traitants ». Et de prospecter. « BNI est structuré pour générer du business, nous sommes présents dans deux groupes, car un chargé commercial s'est également inscrit, nous captons des appels entrants grâce au réseau, les retombées ne sont pas immédiates, j'estime à environ 14 000 ¤ le chiffre d'affaires généré, c'est peu mais en progression chaque année », indique ce dirigeant.
AGG Print cible une clientèle au niveau régional et national. « Notre marché est vaste, à l'inverse d'une niche, l'impression numérique concerne tous les secteurs d'activité, je commence à avoir quelques clients récurrents sur des petites commandes (cartes de visite) grâce au réseau, mon objectif étant de signer des dossiers plus importants, en signalétique ou décoration intérieure », précise Denis Ochanine.
Chaque mercredi matin, le président participe à la réunion hebdomadaire de son groupe, de 7h30 à 9h30. « Ces réunions m'apportent une dose de dynamisme, elles me boostent, c'est un vrai plaisir de se retrouver et l'occasion de rencontrer les nouveaux invités », confie-t-il. Il apprécie aussi le fait que « le BNI n'avance pas masqué, il s'agit d'un réseau d'affaires organisé pour faire des affaires ». Un véritable plus pour un chef d'entreprise en quête de croissance. « Notre stratégie de développement passe par plusieurs axes, notre offre soutenue par notre force commerciale, notre présence digitale et le réseau, notre positionnement en tant que prestataire de qualité et pourquoi pas par une opération de croissance externe, je regarde les opportunités... »
Témoigange 2 : Maxime Eduardo, CEO de Naboo
« Je m'implique en siégeant dans le "Groupe Future of Work" de CroissancePlus »
« J'ai rejoint CroissancePlus car j'avais besoin d'un réseau de confiance. CroissancePlus s'engage pour favoriser la croissance des entreprises et en partager les fruits avec les salariés, ce que nous avons mis en place chez Naboo, où tous les salariés sont actionnaires », affirme Maxime Eduardo. Naboo, la plateforme BtoB d'organisation de séminaires, s'inscrit dans une stratégie de croissance forte. « Nous avons réalisé 8 M¤ de CA en 2023 et prévoyons d'atteindre les 40 M¤ en 2024 », annonce-t-il. Que retire-t-il des rencontres via CroissancePlus ? Des conseils. « Nous communiquons via un fil de conversation WhatsApp qui vaut de l'or, je le consulte au quotidien, dès que l'un d'entre nous s'interroge sur un sujet, les autres répondent. J'ai ainsi pu être conseillé quant au choix d'une banque d'affaires en une demi-heure. » Gain de temps, recommandation hyperqualifiée, l'entrepreneur n'y voit que des aspects positifs.
Au-delà de l'entraide au quotidien, il cite en exemple les rencontres inspirantes auxquelles il participe. « Le dernier événement organisé au Palais des Papes à Avignon, pendant trois jours, a été l'occasion d'assister à des conférences, de prendre du recul, de la hauteur et d'acquérir des connaissances grâce à la qualité des intervenants. »
Un autre aspect intéresse Maxime Eduardo. La mission d'influence de CroissancePlus, qui se positionne comme force de proposition auprès des pouvoirs publics et formule des recommandations. « Je m'implique en siégeant dans le "Groupe Future of Work" (NDLR : groupe créé par CroissancePlus pour influer sur des réformes structurantes sur la croissance et l'emploi, accompagner les entrepreneurs sur des sujets de recrutement, de formation et sur des questions liées à l'évolution des modes de travail et d'intrapreneuriat), il me paraît important de se battre et d'alimenter le débat public, récemment nous avons discuté avec des candidats aux élections européennes pour leur exposer nos points de vue, il s'agit d'un engagement en dehors de tous partis politiques qui me porte. »
Témoignage 3 : Khadija Sabri, expert-comptable
« Bouge Ta Boîte représente mon comité stratégique »
Après avoir repris un cabinet d'expertise comptable au 1er juillet 2020, Khadija Sabri en a créé un second à Lille en janvier 2022. Dès 2017, cette dirigeante a rejoint le réseau Bouge ta Boîte, avec l'idée de construire son projet entrepreneurial. « J'ai choisi un réseau féminin, qui propose à la fois de l'entraide et du business, et je suis devenue bougeuse (membre du réseau), puis boosteuse (animatrice) locale et enfin boosteuse départementale en avril 2023 », raconte-t-elle.
Satisfaite de son réseau "de coeur", elle trouve dans Bouge Ta Boîte une structure à l'écoute, ouverte aux propositions de ses adhérentes, mais aussi aux hommes qui viennent apporter leur regard. Rencontrer des dirigeants a d'abord permis à l'expert-comptable de découvrir leurs besoins. « Le réseau réunit énormément de compétences, à chaque séance de brainstorming ou à chaque atelier, nous apprenons des autres, de la multitude de positionnements stratégiques. »
Bouge Ta Boite alimente également la prospection commerciale. « Mon portefeuille clients compte de nombreuses bougeuses », avoue-t-elle.
Enfin, Khadija Sabri trouve l'inspiration dans les différents échanges au sein du réseau. « Je suis seule à diriger mon cabinet, Bouge Ta Boîte représente mon comité stratégique et mon comité commercial, je me forme
et je m'inspire de toutes les dirigeantes rencontrées. » En échange, en tant qu'expert-comptable, elle anime des ateliers sur la stratégie de croissance d'entreprise, la fiscalité, le prévisionnel financier, etc.
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