[Tribune] Imagination et contravention
Sur la route, les conducteurs font parfois preuve d'une incroyable imagination ... Ils développent des stratagèmes astucieux pour atténuer la pression pénale. Mais la puissance publique, comme tout bon prestataire soucieux de la qualité de ses services, met en place des astuces innovantes pour criminaliser certains comportements.
Je m'abonnePour animer un repas de famille, un bon conseil : mieux vaut orienter la discussion vers les amendes, les contraventions et les verbalisations. Vous ne serez jamais déçu ! S'il est bien un sujet qui passionne les Français, c'est celui-là. Entre les partisans d'une répression impitoyable des chauffards et les chantres de la fraude au système, il n'y a même plus besoin de remettre une pièce dans le jukebox pour que la soirée devienne une tribune survoltée...
Le plus choquant, c'est l'ignorance de ceux qui ont des positions péremptoires sur le sujet. Car le monde des contraventions, c'est l'éternel combat de l'intelligence au service tour à tour, de la sagesse et de la ruse !
Des réactions radicales
Derrière son volant ou son guidon, n'oubliez jamais que votre salarié peut se muer en chauffeur pépère ou en redoutable tueur, inconscient du danger qu'il représente pour les autres. En 30 ans de pratique policière et 10 ans de présence dans les tribunaux de Police, votre serviteur a assisté à toutes sortes de fausses déclarations, mensonges et trafics. Il y eut ainsi l'époque où des utilisateurs immatriculaient leurs voitures au nom de leur fils de 5 ans pour éviter les amendes. Avec une réaction radicale du système : interdiction d'immatriculer un véhicule au nom d'une personne qui n'a pas de permis français ! De cette manière, l'Etat évite désormais astucieusement les immatriculations de véhicules au nom d'étrangers sans permis, difficilement réprimables.
On évoquera aussi ce célèbre footballeur qui désignait systématiquement un proche installé en province comme auteur de ses propres excès de vitesse commis en région parisienne avec sa berline de luxe. Jusqu'à ce qu'une rapide enquête fasse apparaitre que le proche en question travaillait ce jour-là... et entraine une amende au taux maximum et la perte de plusieurs points du permis.
Si dans votre entreprise on préfère utiliser des véhicules immatriculés dans un autre pays de l'Union Européenne, vous subirez des connexions entre les Etats qui n'ont jamais été aussi efficaces. Et on ne donne pas cher de celui qui cumule les infractions avec cette petite magouille, car l'ANTAI envoie dans les pays étrangers des courriers pour réclamer les amendes qu'on lui doit.
L'agence met d'ailleurs ses meilleurs limiers sur les dossiers les plus compliqués pour retrouver l'utilisateur des voitures suspectes de ne pas jouer le jeu : boites aux lettres fantômes de sociétés radiées, salariés munis de permis de conduire étrangers, location de véhicules immatriculés en Pologne, désignations systématiques d'ex-salariés licenciés... Les carabistouilles d'entrepreneurs indélicats sont bien connues du système, qui n'hésite plus à judiciariser les fraudes qu'il détecte, à des tarifs de plusieurs centaines d'euros par dossier.
Les désignations frauduleuses ont pris le dessus
Ces dernières années, ce sont les désignations frauduleuses qui ont pris le dessus, nourrissant au passage quelques escrocs promettant l'absence de poursuites à leurs clients d'un jour. Là encore, la réaction n'a pas tardé : l'ANTAI a créé une unité chargée de repérer les dossiers frauduleux. Et la position des tribunaux de police a été radicale : désignez un tiers titulaire d'un permis étranger (donc non susceptible de perdre des points en France) et vous recevrez une condamnation dans votre boite aux lettres autour de 600 € par dossier. Cela calme rapidement les velléités de reproduire la manoeuvre. La démarche est très facile pour l'Etat : on remonte d'un cran pour punir celui qui a désigné la personne introuvable. C'est imparable et cela fait très mal au portefeuille ! Le chef d'entreprise doit s'attendre à voir la responsabilité de sa société engagée dès qu'un salarié désigné conteste sa mise en cause.
Cela va même plus loin : vous désignez le chauffeur du véhicule, qui à son tour désigne un permis étranger. L'étranger, destinataire du courrier de l'ANTAI conteste, et vous vous retrouvez poursuivi. Parce que le système considérera que vous avez fait une fausse désignation puisque votre salarié n'a pas assumé sa faute.
Si, en tant qu'utilisateur de la voiture de votre société, vous donnez une mauvaise adresse au policier en pensant qu'ainsi vous n'aurez plus de nouvelles de l'amende, autant vous tirer une balle dans le pied ! L'amende partira à l'adresse et reviendra à Rennes, qui la transformera en amende forfaitaire majorée pour la confier aux services fiscaux. Ensuite, c'est la saisie administrative à tiers détenteur sur les comptes en banque, les frais bancaires jusqu'à 100 €, et surtout une réputation sulfureuse, difficile à masquer au jour de conclure un crédit immobilier avec votre agence, par exemple.
Si vous préférez utiliser des fausses plaques, le vrai titulaire va forcément contester quand il recevra la pluie de PV. Et les synthèses s'opèreront rapidement par croisement des fichiers d'amendes (photos radars, relevés des policiers sur les tablettes). La durée de vie de cette fraude ne dépasse pas quelques mois, car les moyens de diffusion du ministère de l'intérieur ont bien évolué. Vous risquez les menottes au coin de la rue !
Un Etat qui ne manque pas d'imagination non plus
En sens inverse, les autorités chargées de piloter la sécurité routière française ne manquent pas d'imagination : radars capables d'analyser le « contenu » d'un véhicule dans la ligne réservée au covoiturage, connexion entre le fichier des véhicules assurés et les Lapi (lecteurs automatisée des plaques d'immatriculation), réglementation des trottinettes, etc. Cela promet une belle variété d'amendes dans la décennie à venir.
D'autant que les délits maintenant sont traités comme les contraventions, avec les Amendes Forfaitaires Délictuelles (AFD) qui deviennent de redoutables alliées des pouvoirs publics. Elles permettent de réprimer rapidement et méthodiquement les défauts d'assurance (attention à bien paramétrer les logiciels de gestion des flottes automobiles), les défauts de permis (une des missions de contrôle chronophages pour les DRH), mais aussi les occupations de halls d'immeuble, les occupations sauvages de terrains par les caravanes et bientôt les vols d'objets de moins de 300 € ...Il en sort plus de 200 000 par an des appareils mobiles de la police et de la gendarmerie, à des montants qui vont faire trembler les directeurs financiers vu l'impact sur la trésorerie des entreprises : de 450 € jusqu'à 1600 € selon les infractions !
Pour assurer à la fois une poursuite simplifiée des conducteurs et une plus grande solidité du processus, l'avenir du dispositif passera assurément par la connexion des cartes grises avec un mail et un compte en banque. On s'évitera ainsi bien des tracas et des blocages de comptes en banque sans explication, ce qui irrite au plus haut point nos concitoyens qui ont le sentiment d'être parfois saignés sans explication...