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[Interview] Sophie Mechaly, créatrice de Paul & Joe : "Je ne veux pas m'endormir sur mes acquis"

Publié par Céline Tridon le | Mis à jour le
[Interview] Sophie Mechaly, créatrice de Paul & Joe : 'Je ne veux pas m'endormir sur mes acquis'

Sophie Mechaly crée en 1995 une marque de prêt-à-porter masculin, Paul & Joe. Depuis, l'entreprise s'est diversifiée : mode féminine, pour enfants, lunettes, décoration... La dirigeante saisit les opportunités au gré de ses envies, tout en suivant une ligne directrice : le savoir-faire à la française.

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Comment définir l'esprit de Paul & Joe ?

Cette marque possède une identité tournée vers l'héritage : celui de la conception française et celui de mes parents. Entrepreneurs dans la mode, car fabricants de chemises à Rouen, ils m'ont beaucoup appris. Le Garage, c'est le nom de leur entreprise. C'est là que j'ai commencé mon propre parcours d'entrepreneur.

Vous avez toujours eu l'âme d'une dirigeante ?

J'ai travaillé dans l'entreprise familiale durant sept ans, après des études en économie et gestion. Je m'occupais des achats, de la vente, des lancements de fabrication, de la négociation avec les fournisseurs... Cette polyvalence a été la meilleure des écoles ! Puis ma mère a dû quitter l'entreprise pour des raisons de santé... et j'ai été confrontée au veto de mon père qui ne voulait pas d'une jeune fille à la tête de l'affaire familiale. J'ai donc décidé de lancer ma marque, Paul & Joe.

Que gardez-vous de cet esprit " entreprise familiale " ?

Ma mère m'a inculqué des valeurs que je transmets à mes enfants et à mes équipes aussi. C'est peut-être ce qui fait que je suis toujours là, après 24 années d'entreprise, et que je possède encore près de moi le noyau de collaborateurs avec lesquels j'ai construit la marque. Très fidèles, ils sont ancrés dans l'histoire de Paul & Joe. Il y a un vrai respect et un lien qui s'est tissé au fil des années.

Comment justifiez-vous le succès de Paul & Joe ?

Je n'ai jamais vraiment planifié mon développement, ni appliqué une stratégie, ce qui n'est plus possible aujourd'hui... J'ai beaucoup agi en fonction de mes envies, de mes besoins, de mon éducation, mais aussi d'un esthétisme de prêt-à-porter qui est cher à tout ce que j'ai reçu. Il y a une ligne conductrice chez moi : le bien-fait, la qualité, la façon. J'ai beaucoup appris et ne cesse jamais d'apprendre.

Quel sera le futur de Paul & Joe ?

Aujourd'hui, les modes de consommation, les réseaux de distribution et les consommatrices ont changé. L'entreprise arrive à un moment stratégique où la concurrence est forte et où elle doit se renouveler. J'ai donc nommé un directeur général il y a trois mois, issu d'un grand groupe spécialisé en finance et management. Il m'accompagnera dans ma volonté d'inscrire Paul & Joe dans de nouveaux projets.

Lesquels ?

Nous voulons retravailler le positionnement de la marque et son image. Paul & Joe réalise un chiffre d'affaires de 30 millions d'euros et possède un effectif d'environ 70 personnes, une quarantaine de boutiques franchisées et une large présence à l'international. Nous développons de nombreuses licences, la plus emblématique étant celle de cosmétique créée au Japon en 2001. Le buzz rencontré dans ce pays me donne envie de reproduire quelque chose de similaire ici, en France.

Le Japon est-il est une sorte de pays "test " ?

Le lifestyle a commencé au Japon. En 2018, nous avons créé, dans un quartier branché de Tokyo, une boutique où l'" emballage " et le contenu (maquillage, papeterie, pièces exclusives de prêt-à-porter) ont connu un succès phénoménal. Cela nous a amené à développer davantage de licences, japonaises uniquement, autour de produits qui correspondent à des attentes locales : éponges, mouchoirs, ombrelles...

Paul & Joe, marque de prêt-à-porter, se tournera-t-elle donc davantage vers le lifestyle ?

À partir de février, j'envisage de rhabiller complètement mes boutiques en collaboration avec une architecte d'intérieur pour repenser l'intérieur des boutiques, mais aussi le logo de la marque, la manière de présenter les vêtements et aussi proposer de nouveaux produits : ligne de vaisselle, de verrerie, de papier peint et de linge de maison, bref tout ce qui touche l'intérieur. Certains produits ne seront distribués que dans le flagship parisien, ils ne seront même pas disponibles en ligne. J'ai envie que les gens recommencent à bouger de chez eux ! Qu'ils arrêtent de se cacher derrière un ordinateur ou un smartphone...

Il s'agit donc d'un véritable renouveau de la marque ?

C'est la vocation de mon travail : le renouvellement incessant. Il ne faut pas s'endormir, ni s'embourgeoiser dans ses acquis. Aussi, nous envisageons de déployer Paul & Joe comme une nouvelle marque, tout en conservant son ADN. Il y a tellement de concurrents, qui misent sur un marketing énorme et multiplient les ouvertures de boutique à tous les coins de rue. Je pense que les gens ont besoin et envie de surprises. C'est un challenge qui me nourrit énormément. Et comme je sais que la partie gestion / business sera gérée par le directeur général, cela me rend plus sereine.

Pourtant Paul & Joe est aussi présent sur le web, avec un site marchand...

L'un n'empêche pas l'autre ! Le web est d'ailleurs en forte progression : cette année, nous enregistrons une croissance de plus de 60 % en volumes de ventes. Aujourd'hui, si les gens ont envie de se déplacer, c'est pour vivre une certaine expérience de shopping. Il faut qu'ils aient envie de revenir. C'est aussi une manière de valoriser davantage la boutique : cette dernière doit apporter une plus-value à l'expérience d'achat. Désormais, toutes les boutiques se ressemblent, c'est ennuyeux !


Vos vêtements sont estampillés " made in France " . C'est un impératif pour vous ?

70 % de mes produits sont fabriqués en France. Au fil des années, j'ai construit un vrai réseau de partenaires. Cela n'a pas toujours été facile et nous nous sommes serrés les coudes : il faut faire face aux charges, aux difficultés de l'entrepreneuriat, mais nous avons trouvé une manière de travailler ensemble. Il est important de soigner l'écoute, le partage, la communication : que cela aille, ou non, il faut le dire.

Pourquoi ne pas atteindre 100 % de fabrication française ?

C'est une question de métier. Par exemple, il n'y a plus de tricoteurs en France : je fais donc appel à des compétences en Italie. Il y a 10 ans, il y avait encore un tricoteur à Roanne, mais il a fermé. Le manque de soutien envers les plus petits fabricants est un vrai problème dans notre pays. Si l'Italie est capable de le faire, pourquoi pas nous ? Il faut arrêter de dévaloriser les travaux manuels.

En 24 ans, votre regard sur l'entrepreneuriat a-t-il changé ?

Il y a des bases d'entrepreneuriat qui, malgré les générations, demeurent : la volonté, le désir, l'envie de créer, la singularité, la persévérance. D'autres choses ont changé et elles concernent notamment la perte de savoir-faire. Où est la transmission ? Si les anciens n'enseignent pas aux jeunes, tout s'arrêtera complètement. Or, c'est le rôle de grandes maisons, de celles issues de groupes qui ont les moyens, de montrer l'exemple, de continuer à faire vivre le savoir-faire français, de faire perdurer nos traditions.

Vous vous êtes aussi engagée dans le respect de l'environnement. De quelle manière ?

Paul & Joe fait partie des signataires du " fashion pact ", qui réunit 32 marques prêtes à des efforts en faveur de l'environnement. En interne, nous avons banni le plastique et nous veillons à ce que nos fabricants soient vigilants en termes de bilan carbone ou de gestion des déchets.

Et concernant la lutte contre le gaspillage textile ?

Nous utilisons du cachemire recyclé dans nos collections, ou des fibres de plastique pour certaines pièces. Malheureusement, notre secteur souffre d'une grave incohérence : les tissus recyclés coûtent plus cher que les autres tissus. Ce n'est pas normal ! Il devrait y avoir une aide gouvernementale destinée aux fabricants pour les aider à proposer du recyclé sans surcharge pour les clients. Les produits eco-friendly doivent être plus accessibles et plus attractifs, et pour que la menace s'arrête, il faut freiner cette surproduction, née de la surconsommation. L'entrepreneur a un rôle à jouer dans cette bataille...

Portrait en questions de Sophie Mechaly

Votre principale source d'inspiration ?

Les rues de Paris.

Si vous deviez explorer un autre métier ?

Chanteuse.

Votre meilleur souvenir professionnel ?

Un tournage de Woody Allen, pour le film Match Point , dans notre boutique de Londres.

Ce que vous recherchez le plus chez vos collaborateurs ?

La passion.

Le manager que vous êtes ?

Ferme et chaleureuse.

L'entreprise que vous auriez voulu inventer ?

Apple.

Une citation que vous aimez vous répéter ?

" Qui ne tente rien n'a rien ", que me répétait souvent ma mère, Nicole Haggiag.

Un entrepreneur que vous admirez ?

Ilham Khadri, à la tête de Solvay, le géant belge de la chimie.

 
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