Export : un rebond en trompe-l'oeil ?
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Le déficit commercial français s'est réduit en 2024, mais cette amélioration repose davantage sur un recul des importations que sur une vraie progression des ventes à l'international. Si le nombre d'exportateurs augmente, la France reste trop dépendante de ses grands groupes, tandis que ses PME et ETI peinent à s'imposer. Quelles failles persistent dans la stratégie exportatrice ? Comment mieux accompagner les entreprises ? Didier Boulogne, directeur général délégué à l'export chez Business France, et Stéphanie Gateau, experte en stratégie internationale, décryptent les forces et faiblesses de l'export français.
Je m'abonneAvec un déficit ramené à 81 milliards d'euros en 2024, contre 99,6 milliards en 2023 et 162 milliards en 2022, la balance commerciale française semble s'améliorer. Mais derrière ces chiffres, la réalité est plus nuancée. "Il y a eu une baisse des importations qui a été supérieure à la baisse des exportations, constate Didier Boulogne. Cela donne un déficit commercial en réduction, mais on aurait tous préféré que ce soit dû à une augmentation plus vigoureuse des exportations."
Le nombre d'entreprises exportatrices, en revanche, continue d'augmenter, atteignant 151 000 cette année. Un chiffre en nette progression par rapport aux 120 000 recensées il y a encore cinq ou six ans. "C'est une dynamique encourageante", reconnaît Boulogne. Mais cette progression ne change pas un fait structurel : l'essentiel des exportations françaises repose sur une poignée d'acteurs. "Nous avons une structure d'exportation très spécifique : 0,4 % des entreprises françaises réalisent 55 % du total des exportations. Nous sommes extrêmement dépendants de nos grands groupes, ce qui est une force mais aussi une fragilité."
Le défi des PME et ETI : une place encore marginale à l'international
Si les grands groupes français restent solides à l'export, les PME et ETI, elles, peinent toujours à s'imposer. "Le véritable enjeu, c'est d'aider nos ETI et nos PME de croissance à atteindre une taille critique, souligne Boulogne. Si on parvient à les structurer et à les faire monter en puissance, on aura un impact significatif sur notre balance commerciale."
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Pour Stéphanie Gateau, qui accompagne des entreprises dans leur développement international, le problème vient avant tout d'un manque de préparation. "Trop d'entreprises se lancent sans réelle stratégie. Elles décrochent un premier contact sur un salon et pensent que cela suffit, alors que l'internationalisation demande une analyse fine du marché, une adaptation du produit et un positionnement stratégique clair," affirme-t-elle.
La comparaison avec d'autres pays européens est frappante. "Contrairement aux Italiens et aux Allemands, la France n'a pas historiquement une culture du commerce international aussi ancrée", estime D.Boulogne. Résultat : des démarches souvent improvisées, avec des entreprises qui brûlent des étapes et négligent les études de marché en amont.
Des aides publiques utiles mais insuffisantes
Face à ces défis, l'État et Business France ont mis en place plusieurs dispositifs pour soutenir les exportateurs. Le programme Osez l'export, par exemple, vise à atteindre 200 000 entreprises exportatrices. "Nous progressons, mais nous avons encore du chemin à parcourir pour atteindre cette cible", reconnaît Boulogne.
Mais pour S.Gateau, ces aides ne doivent pas devenir une béquille. "Elles sont précieuses, mais elles ne remplacent pas une vraie stratégie. Trop d'entreprises comptent dessus au lieu de structurer leur développement. Être présent sur un pavillon France lors d'un salon, c'est bien, mais si l'on n'a pas le bon positionnement ou le bon discours, cela ne sert à rien."
Même constat du côté de Business France. "Nous sommes là pour accompagner les entreprises à chaque étape de leur développement à l'international, rappelle Didier Boulogne. Nous pouvons les aider à mieux préparer leur marché, à rencontrer les bons partenaires et à structurer leur croissance. Mais au final, c'est à l'entreprise de jouer."
Innover et s'adapter : des leviers sous-exploités
L'innovation pourrait être un formidable levier pour s'imposer à l'international, mais elle est encore sous-exploitée. "C'est un critère clé pour être compétitif, et pourtant, beaucoup d'entreprises se contentent d'adapter des produits existants au lieu de proposer des approches véritablement différenciantes", regrette Stéphanie Gateau.
Le manque d'agilité freine aussi les ambitions françaises. "Dans certains secteurs, nous réagissons trop lentement. L'IA en est un bon exemple : alors que le marché mondial explose, la France peine encore à s'imposer."
Certaines industries, pourtant, tirent leur épingle du jeu. "La chimie, les cosmétiques et la pharmacie ont connu une année exceptionnelle. Ce sont des secteurs porteurs qui renforcent notre présence à l'international", observe D.Boulogne. À l'inverse, d'autres sont en repli. "L'aéronautique et l'agroalimentaire, historiquement des piliers de notre export, marquent le pas. Quant au secteur automobile, il reste fortement impacté et peine à retrouver son niveau d'avant-crise."
Réussir à l'international : une question de méthode et de persévérance
Si l'export représente une opportunité de croissance, il demande une préparation rigoureuse. "Ce n'est pas une aventure improvisée. Il faut une stratégie claire, un positionnement précis et une évaluation rigoureuse des marchés cibles", insiste Boulogne.
L'un des écueils fréquents est aussi le manque de patience. "Convaincre un acheteur international ne se fait pas en une seule rencontre", explique-t-il. "Il faut aller le voir, retourner le voir, encore et encore, jusqu'à ce qu'il vous fasse confiance."
Alors que la France tente de rééquilibrer sa balance commerciale, la transformation de son modèle exportateur reste un chantier en cours. Si les PME et ETI parviennent à mieux structurer leurs démarches et à renforcer leur compétitivité, l'export pourrait devenir un véritable moteur de croissance pour l'économie française. À condition de ne plus laisser place à l'improvisation.