[Tribune] "En Allemagne, l'innovation ne se fait jamais par disruption"
Le G20 des entrepreneurs s'est tenu à Berlin du 15 au 16 juin 2017. Dirigeant cofondateur de l'éditeur de logiciels Dhatim, Thomas Bourgeois y était. Il raconte : les moments les plus marquants, les leçons apprises sur l'Allemagne, les réussites de la délégation française...
Je m'abonneParticiper au G20 des Jeunes Entrepreneurs (G20 Young Entrepreneurs' Alliance), c'est d'abord faire partie d'une délégation nationale, constituée de créateurs d'entreprise (plus de trente entrepreneurs dans des sociétés de toutes tailles et tous secteurs d'activité) qui partagent la volonté d'exporter et de faire entendre la voix de la France à l'étranger. Voici un résumé très partiel et partial de cet événement, dont les propos n'engagent que moi.
Le G20 YEA
En marge du G20 politique, des entrepreneurs du monde entier se réunissent chaque année pour échanger sur leurs problématiques communes et formuler des recommandations destinées à favoriser le développement des entreprises, la relance économique et l'emploi, ensuite transmises aux gouvernements. Après Pékin en 2016, le sommet s'est tenu du 15 au 16 juin 2017 à Berlin, avec 450 entrepreneurs au total dont 34 Français, dirigeants de start-up, PME et ETI, réunis en une délégation emmenée par l'association Citizen Entrepreneurs.
Au coeur des débats : l'économie numérique et l'opportunité qu'elle représente en termes de croissance. Pour la France, les recommandations seront présentées le 20 novembre 2017 lors de la Conférence annuelle des entrepreneurs.
La préparation (13-14 juin)
Après avoir pris l'avion le matin ensemble depuis Paris, l'après-midi s'est déroulé à l'Institut Français dans le centre de Berlin, où nous avons été accueillis par les services de l'Ambassade de France. Ils nous ont dressé un portrait économique et politique de l'Allemagne, en insistant sur la collégialité des décisions entre actionnaires et salariés dans l'entreprise, le quasi plein emploi mais également sur les conséquences du vieillissement de la population. L'entreprise a une très forte légitimité en Allemagne, la place structurante qu'elle possède dans la société est rarement mise en cause.
Ce fut une belle journée pour commencer à se connaître et établir des premiers contacts. Malgré la diversité de nos activités, nous sommes confrontés en tant qu'entrepreneurs, dans notre quotidien, à des problématiques souvent similaires, les échanges d'expérience et les confrontations d'idées sont très riches.
La journée suivante s'est déroulée chez EY Allemagne, un des sponsors de la délégation, qui nous a décrit la réalité économique de l'Allemagne, la place de l'innovation ainsi que de son écosystème de start-up. Intéressant de constater que l'Europe est très peu présente dans les propos de nos hôtes, le rang de l'Allemagne dans le monde et sa comparaison avec ses voisins parait être le seul sujet de préoccupation.
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Étonnant d'apprendre également, au travers des tables ronde qui ont suivi, avec des chefs d'entreprise habitant en Allemagne, que le pays a une vraie culture du perfectionnement continu mais il n'aime pas la rupture et aurait même une certaine aversion au risque ; l'innovation se fait par petits pas, mais jamais par disruption. L'environnement allemand semble plus favorable à la vieille économie qu'aux start-up, c'est un sentiment fort que je conserverai pendant toute la durée du séjour.
Les acteurs politiques et économiques qui se sont exprimés, ont souvent ramené leurs propos à la lutte contre les déstabilisations, au retour à l'ère d'avant, à la protection des équilibres. Mais entreprendre dans l'innovation, n'est-ce pas rechercher la disruption ? Créer une start-up, n'est-ce pas s'engouffrer dans des déséquilibres et trouver des solutions qui accompagneront des équilibres nouveaux ?
Pour aller plus loin :
- Revivre le G20 YEA 2016 en Chine ? Ça se passe ici et là sous la plume de Caroline Lamaud, cofondatrice de la plateforme de crowdfunding Anaxago, participante au sommet l'année dernière
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Le sommet (15-16 juin)
Il s'agit de deux jours de programme hyper dense, avec plus de 400 délégués venus de 20 pays pour partager leur vision des tendances du marché autour du numérique, et proposer un communiqué final censé orienter les décisions du G20 qui se tiendra un peu plus tard à Berlin. Voici les points saillants que je retiens.
Tout d'abord l'incroyable dynamisme de la délégation française, de loin la plus visible, la plus enthousiaste et la plus entendue - sans faire d'excès de chauvinisme. A peine sortie d'une période austère de French bashing, les entrepreneurs ont le sentiment que tout est maintenant possible et qu'ils ont un rôle très important à jouer pour le renouveau économique du pays, et ils le font savoir.
Une illustration : c'est une française, Apolline Aigueperse, analyste chez CybelAngel, start-up spécialisée dans les solutions de cybersécurité pour les entreprises, qui gagne le prix de l'entrepreneur après de multiples tours de sélections et suite à une dernière confrontation en public contre des Canadiens, Chinois et Allemands. Il s'agit un combat de pitches au cours duquel les entrepreneurs défendent la valeur de leur entreprise en répondant à l'animateur et à un jury. Elle a gagné grâce à son aisance et à sa fougue et sans doute aussi grâce à un soutien enthousiaste et fortement bruyant de l'ensemble de la délégation française.
Une anecdote qui s'est déroulée pendant le sommet illustre bien les temps nouveaux que vivent les entrepreneurs français. Chargés de réfléchir à des propositions à remettre au gouvernement en novembre, nous planchions sur les récurrentes préconisations liées au financement de l'innovation, au droit à l'erreur, à la fiscalité. Nous parvint alors le discours du président de la République sur l'innovation et le numérique prononcé au salon VivaTech de Paris la veille. Il nous fallut alors tout reprendre, tant Emmanuel Macron était allé loin dans les annonces, répondant ainsi à nombre de nos demandes.
Le communiqué final du sommet repris les trois principales recommandations choisies par l'ensemble des délégués au cours d'un vote. Il s'agit de simplifier la procédure de visas, d'harmoniser la fiscalité, et de promouvoir une éducation adaptée. Je suis heureux de constater que pour ces trois thèmes, le président a apporté des propositions lors de son discours.
Au niveau technologique, je retiens que l'Intelligence Artificielle est sur toutes les lèvres, présente dans presque toutes les interventions, avec un mélange d'interrogations et de peur, mais parfois perçue comme une opportunité. L'IA est au coeur de l'activité de Dhatim. J'ai ainsi pu témoigner qu'elle va profondément faire évoluer certains métiers.
Les tâches administratives manuelles et répétitives seront remplacées par les actions d'assistants digitaux, des robots logiciels dotés d'Intelligence Artificielle et de capacités d'apprentissage. Une vraie disruption, en effet, pour laquelle la France peut proposer des solutions innovantes et possède tous les atouts pour garder un vrai leadership.
L'auteur
Thomas Bourgeois est le dirigeant cofondateur de Dhatim, éditeur de logiciels en SaaS pour la gestion des dépenses achats, finance et RH des entreprises, basés sur l'intelligence artificielle. Installée à Paris, la société compte trente salariés et a réalisé, en 2016, 5 millions de chiffre d'affaires, dont la moitié à l'international. Dhatim est implantée aux États-Unis, Mexique, Argentine et Inde.
Son objectif en participant au G20 YEA était "en tant que PME de croissance [de] rencontrer des homologues français et internationaux afin de partager les enjeux de cette croissance et des problématiques associées".
Crédit des photos : Thomas Bourgeois