Silver economy : le nouveau graal industriel ?
La silver economy, ou économie des seniors, est devenue l'une des priorités industrielles nationales. Mais avant d'en tirer profit, les entreprises ont encore beaucoup à faire pour adapter leur offre aux besoins et attentes d'une cible hétérogène et exigeante.
Je m'abonneC'est Ivry-sur-Seine, dans le Val-de-Marne, qui va accueillir la première plateforme dédiée aux entreprises de la filière de la silver economy. Inauguré à l'automne 2014, le complexe flambant neuf de 4 255 m2 servira de pépinière et d'hôtel d'entreprises. Showroom de produits innovants, auditorium, Living Lab pour les tests consommateurs... La plateforme immobilière et de service Charles Foix s'inscrit dans la droite lignée des actions menées sous l'impulsion du gouvernement depuis le lancement, en juillet 2013, de la Silver Valley, premier pôle industriel au monde spécialisé dans ce secteur, basé en Île-de-France.
Programme d'investissement d'avenir dédié, signature d'un contrat de filière... Le développement de la silver economy est aujourd'hui érigé en priorité nationale. Derrière cette forte volonté politique, l'ambition est claire : favoriser l'émergence d'une filière industrielle et imposer la France comme l'un des leaders mondiaux du secteur. Il faut dire que l'enjeu est de taille. En 2035, le tiers de la population française aura plus de 60 ans, contre moins d'un quart actuellement.
" Aujourd'hui déjà, 48 % des dépenses de consommation des ménages sont supportées par les plus de 50 ans ", souligne Hervé Sauzay, fondateur de l'Institut français des seniors (IFS), spécialisé dans l'étude, la formation et le conseil sur ce marché. Une tendance qui est vouée à s'accentuer dans les années à venir. " Cette problématique n'est pas propre à la France, mais à tous les pays industrialisés ", indique Benjamin Zimmer, directeur de la Silver Valley. Les plus de 65 ans représenteront 25 % de la population européenne en 2030, soit plus de 100 millions de personnes (contre 76 millions en 2010). Plusieurs économies vieillissantes, comme l'Allemagne, la Corée du Sud et le Japon, ont déjà pris de l'avance.
Améliorer l'accessibilité des biens et services
" Face à cette évolution, ce sont les entreprises qui doivent s'adapter aux besoins des seniors et non l'inverse ", avertit le directeur de la Silver Valley. Plusieurs sociétés l'ont déjà bien compris. Si certaines se sont spécialisées depuis longtemps sur cette cible, comme Assystel (service de téléassistance) ou Everstyl (fauteuil de confort), d'autres surfent désormais sur cette vague de l'or gris comme levier de diversification (Legrand, Orange...).
À l'ombre des grands groupes, des TPE-PME tirent savamment leur épingle du jeu, à l'instar de Matooma (objets connectés) ou Génération Plume (couches lavables et sous-vêtements antifuites). Une autre PME, Bluelinea, a eu l'idée de repositionner son offre sur l'accompagnement des plus âgés. Initialement spécialiste des bracelets GPS pour nouveau-nés dans les maternités, elle est passée en deux ans de 6 à 66 salariés et prévoit d'atteindre un effectif de 250 à l'horizon 2016. " Les enjeux du vieillissement ne se limitent pas au marché de la santé ou des services à la personne. Du logement aux loisirs, en passant par les télécommunications, les transports ou l'agroalimentaire, tous les secteurs vont être touchés ", affirme Benjamin Zimmer (Silver Valley). Packagings plus lisibles, formation des vendeurs au parcours d'achat des personnes âgées, accessibilité...
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Adopter le design universel
Plusieurs ajustements doivent être réalisés dès aujourd'hui à l'échelle de chaque entreprise. " L'adoption des principes du design universel (conception des biens et services utilisables par le plus large éventail d'usagers) est une piste d'évolution fondamentale pour les entreprises ", estime Franck Lehuédé, chef de projet senior du département consommation du Centre de recherche pour l'étude et l'observation des conditions de vie (Crédoc).
Selon Hervé Sauzay (IFS), avant de penser à créer de nouvelles offres "spéciales senior", " les entreprises devraient d'abord revoir leur argumentaire de vente en valorisant les caractéristiques recherchées par ces personnes (sécurité, sociabilité, praticité, made in France...) ". D'autant plus que de la préretraite à l'accompagnement de la dépendance, en passant par le cap de la retraite, les seniors ne représentent pas un groupe homogène de consommateurs. " Le marché des seniors est très complexe à appréhender. Il suppose une approche marketing d'une grande finesse ", avertit Hervé Sauzay.
Pour accompagner les entreprises dans cette transition, le gouvernement s'est engagé à mener une série d'actions, dans le cadre du contrat de filière signé le 12 décembre dernier entre l'État et 40 acteurs du secteur. Parmi les pistes prochainement déployées, la création de labels et de normes, la mise en place de showrooms itinérants ou encore l'organisation de concours et de salons dédiés.
Un fonds de capital-risque vient aussi de voir le jour pour soutenir le financement des entreprises du secteur. Celles-ci pourront également se faire accompagner à l'export (missions économiques, Ubifrance...). À l'échelle des territoires, des comités de filières régionaux vont être créés afin de coordonner l'action des multiples acteurs sur le terrain (entreprises, corps médical, mairies, caisses de retraite...). Des régions pilotes, telles que l'Île-de-France ou l'Aquitaine, se mettent déjà en état de marche. Ne reste plus aux entreprises qu'à se lancer dans cette nouvelle quête de l'or gris.
Trois questions à...
Franck Lehuédé, chef de projet senior du département consommation du Crédoc
Qui sont les seniors, aujourd'hui??
Le terme "senior" revêt des réalités très diverses. À partir de 50 ans, on peut distinguer quatre catégories principales?: les seniors actifs (50-65 ans), les jeunes retraités (65-75 ans), les retraités âgés encore en couple et les retraités âgés seuls. Chaque nouvelle étape (passage à la retraite, veuvage...) induit d'autres besoins et donc, de nouvelles pratiques de consommation.
Quelles sont leurs attentes en matière de biens et services??
On constate une forte demande du côté du réaménagement du logement, des équipements, des loisirs et de l'habillement. Selon leur âge, les seniors ont des besoins très différents. Si les jeunes retraités nourrissent une forte appétence pour les nouvelles technologies ou les voyages, les plus âgés expriment au contraire une aversion profonde contre la nouveauté et recherchent des produits simples d'utilisation, avant tout adaptés à leurs capacités physiques et cognitives.
Sur quels plans les entreprises peuvent-elles adapter leur offre??
Au-delà du design, elles doivent s'adapter à leurs envies. Les seniors veulent de la qualité et du confort. Ils sont particulièrement sensibles à des discours liés à la nostalgie ou à la transmission générationnelle. Leur acte d'achat est d'ailleurs bien souvent corrélé à une volonté de maintenir une vie sociale avec leurs proches.