Jean-Baptiste Rudelle, CEO de Criteo : "La France est un pays favorable à la création d'entreprise"
Fleuron de la Tech, Criteo fait partie des rares licornes tricolores. Jean-Baptiste Rudelle, son CEO, explique pourquoi les start-up hexagonales ont du mal à grandir. La raison est avant tout culturelle.
Je m'abonneCriteo est l'une des rares licornes françaises. Quelle est votre activité ?
Nous sommes un ovni dans le secteur de la publicité en ligne. Dans un univers archi-dominé par les grandes entreprises américaines, nous sommes une société française au rayonnement mondial. Nous réalisons 95 % de notre chiffre d'affaires à l'international, mais nous avons gardé un encrage très fort en France.
Notre siège social, l'essentiel de la R&D, les fonctions centrales et la direction stratégique sont à Paris. De plus, un tiers de nos effectifs sont présents dans l'Hexagone. Concrètement, nous sommes un outil technologique permettant aux annonceurs d'acheter de la publicité plus efficacement sur Internet. En particulier dans l'"Internet ouvert".
C'est-à-dire ?
Depuis plus de 20 ans, Internet s'est développé dans un monde ouvert, où n'importe qui peut créer des sites et des applications. Mais cette vision idyllique de la décennie 90 n'est plus totalement vraie depuis quelques années. Il existe désormais des écosystèmes fermés, contrôlés essentiellement par les Gafa. Ici, la relation avec les utilisateurs est verrouillée. Il est beaucoup plus difficile pour les annonceurs de maîtriser leur destin.
Pour quelle raison ?
Dans cet Internet fermé, les Gafa ont réalisé de lourds investissements technologiques. Il est donc efficace d'un point de vue publicitaire, mais les annonceurs perdent le contrôle de leurs données, ainsi que la relation avec leurs clients. Ce qu'ils gagnent en efficacité publicitaire, ils le perdent en maîtrise de leur business. La situation est, par conséquent, assez inconfortable.
Heureusement, il reste cet Internet ouvert. Et nous offrons des briques technologiques qui permettent aux annonceurs de garder la maîtrise de leurs données et aux médias la maîtrise de leur inventaire publicitaire. Tout en ayant une efficacité similaire à celle des écosystèmes fermés.
Pouvez-vous nous donner les chiffres clés de Criteo?
Aujourd'hui, Criteo, c'est 2700 employés dans le monde, 30 bureaux opérant dans plus de 90 pays et 19 000 clients internationaux. Nous avons généré 2,3 milliards de dollars de revenus en 2017, avec une forte rentabilité, et investi 20 millions d'euros dans le Criteo AI Lab, lancé en juin 2018. Enfin, nous disposons de 700 ingénieurs en R&D.
Vous êtes coté au Nasdaq. Pourquoi ce choix ?
Nous avons eu un grand débat en 2013, au moment où nous avons décidé de nous coter en Bourse. Nous avons fait le choix des États-Unis pour deux raisons. Tout d'abord, il s'agit du marché principal pour toutes les entreprises de publicité numérique, avec une vraie profondeur concurrentielle. En Europe, nous aurions risqué de manquer de liquidités, ce qui n'est pas le cas sur le Nasdaq.
La seconde raison, c'est qu'une entreprise européenne crée toujours de la suspicion au niveau de ses clients et partenaires locaux. Ils se demandent si vous êtes un acteur pérenne. Quand vous êtes coté au Nasdaq, vous changez de catégorie. Dès cet instant, nous avons accédé à des clients américains stratégiques.
Est-ce aussi une façon d'attirer les talents ?
Tout à fait. Ce n'est pas un choix évident, quand vous êtes un talent américain dans le monde de la publicité numérique, de choisir une start-up française pour faire carrière. Le fait d'être coté donne une assise et une notoriété.
Quel est le marché le plus porteur pour Criteo ?
Aujourd'hui, c'est la zone Amérique. Elle représente environ 40 % de notre chiffre d'affaires, ce qui est logique car c'est le plus gros marché au niveau mondial. Ensuite, nous sommes très développés au Japon, qui est pourtant peu connu dans notre secteur.
Avez-vous pensé à déplacer votre siège social ?
Jamais. La question ne se pose pas. Contrairement à ce qu'on dit, la France est un pays favorable à la création d'entreprise. Lorsque je le dis, je sais que les gens font des yeux ronds. J'ai écrit un livre entier sur la question. Nous avons tendance à caricaturer la France comme étant un enfer fiscal et administratif.
Mais connaissant bien la fiscalité et la bureaucratie américaines, nous n'avons rien à leur envier. Par exemple, la Californie est l'un des endroits les plus taxés au monde, beaucoup plus qu'en France. Et ça ne l'empêche pas d'être le centre de la créativité technologique mondiale. Il ne faut pas faire de raccourci entre fiscalité et capacité à créer des start-up.
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Il y a un vrai mouvement, en France, sur la création de start-up. Comment l'expliquez-vous ?
Il existe des personnes brillantes, qui pourraient faire des carrières exceptionnelles dans des grands groupes, mais qui choisissent de créer leur entreprise. Notamment des diplômés, et c'est un point très important. Selon Yvon Gattaz, entrepreneur et père de Pierre Gattaz, il existe une corrélation très forte entre le niveau d'études de l'entrepreneur et sa capacité à "scaler" une société. Il y a évidemment des contre-exemples.
Mais quand vous passez un certain seuil, comme 50, 100 ou 500 salariés, les niveaux de complexité sont très différents. Et là, il vaut mieux avoir un bon bagage théorique. Il faut donc encourager les diplômés à franchir le pas. Car l'enjeu n'est pas d'avoir plus de start-up en France, mais plus d'ETI. C'est ça la clé.
Pourquoi, justement, y a-t-il si peu d'ETI en France?
Il y a plusieurs raisons et elles sont surtout culturelles. C'est à la fois les plus faciles et les plus difficiles à changer. En effet, cela ne nécessite pas un puits sans fond d'argent public, mais il faut changer les mentalités. On me demande souvent la différence entre une PME et une start-up. Ce n'est pas la taille de l'entreprise, mais sa façon de s'organiser pour pouvoir faire de l'hypercroissance.
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