Élever des licornes dans l'écosystème français : un doux rêve ?
A l'occasion des Assises de la compétitivité sises à la faculté de droit Assas Paris II, entrepreneurs et acteurs de l'écosystème juridique et financier se sont réunis en table ronde pour évaluer la capacité française de créer des start-up valorisées à plus d'un milliard d'euros sur le territoire.
Je m'abonne"Aujourd'hui est déjà demain". C'était le thème de la journée de débats et conférences organisée par le think tank "Le Club des juristes" à l'Université Paris II Panthéon-Assas. Pour parler de la ligne d'horizon économique des jeunes entreprises françaises en pleine croissance était donnée une conférence sur le thème : "Élever des licornes, protéger nos start-up".
Un parterre nourri d'entrepreneurs, experts juridiques et financiers a oeuvré à décortiquer les raisons qui empêchent la France d'être un berceau de licornes, ces sociétés technologiques pas forcément rentables mais qui sont valorisées à plus d'un milliard d'euros. Elles seraient au nombre de 150 à 180 (Uber, AirBnB, ...) dans le monde et seulement de quatre en France (Vente-privée, BlaBlaCar, OVH et Criteo).
L'obsession néfaste de la licorne "à tout prix"
Première question soulevée : comment gérer son hypercroissance ? Pour Stéphane Treppoz, p-dg de Sarenza, une entreprise de e-commerce florissante sur un marché qui pèse 8,5 milliards d'euros en France et 40 milliards en Europe, c'est la politique du "premier arrivé, premier servi" . Un marché très accessible, d'après lui, aux pure-players qui choisissent de miser d'entrée de jeu sur l'innovation et ont pensé à rendre leur service ergonomique : "La technologie aide à développer une croissance forte et la proposition au consommateur doit être excellente", rappelle l'entrepreneur.
Un son de cloche équivalent chez Frédéric Mazzella, p-dg de la licorne française BlaBlaCar, qui met en garde sur la démarche à adopter : "Ça commence avant tout par un produit qui marche. J'entends trop d'entrepreneurs qui veulent commencer par une levée de fonds. C'est une erreur. En 2009, on avait déjà 150 000 utilisateurs sur la plateforme. On est pas allés directement sur une levée de fonds", ajoute t-il.
Pour faire une licorne il faut 4 ingrédients pour @StephaneTreppoz de @sarenza : travail-carburant-chance- faire des paris #adec2017 pic.twitter.com/1y8fWhA5wy
- Chef d'Entreprise (@Chef_Entreprise) 27 janvier 2017
Une idée confortée par Thierry Petit, p-dg de Showroomprivé, incisif à ce sujet: "Vouloir devenir une licorne à tout prix peut pousser à la connerie ! Les lois du financement de ces entités sont parfois débiles." En cause, d'après lui, l'impatience des jeunes pousses qui veulent grandir trop vite et laissent leur gestion aux oubliettes, créant un risque de dilution pour les entrepreneurs débutants. Il cite son expérience à l'appui : "En 2010, Showroomprivé faisait 80 millions d'euros mais personne ne nous connaissait. On a cédé 30% de nos parts à Accel Partners pour être accompagnés. Pour passer de 80 à 700 millions d'euros, on a pris des risques."
Mais d'après lui, ces risques étaient mesurés et rendus possibles par une certaine culture de la gestion chez lui et son cofondateur, David Dayan. Il regrette, au sujet de certaines jeunes entreprises, leur incapacité à garder les pieds sur Terre : "Il est important pour un entrepreneur de garder sa liberté. On ne bosse pas pour des fonds mais pour soi." Pour Thierry Petit, les fonds d'investissement ont aussi une responsabilité et un rôle de "garde-fou" à jouer.
"Les fonds ont 1 resp de ne pas emmener les jeunes dans le mur en réclamant une croissance forte ss gestion" #adec2017 @ShowroompriveFR pic.twitter.com/QbpcG4mkel
- Chef d'Entreprise (@Chef_Entreprise) 27 janvier 2017
Des fonds disponibles, mais pas assez d'audace
Si la culture de licornes n'est pas encore intestine à notre système, c'est, d'après Matthieu Baret (Indivest Partners) parce que les investisseurs suffisamment sophistiqués et connaisseurs ne se jettent pas assez à l'eau. "On voit beaucoup de fonds américains avec de gros tickets. Aujourd'hui, il y a de supers boîtes en France, mais les fonds doivent encore se structurer pour les accompagner. On manque de growth equity en Europe, mais ça arrive !".
Il cite en exemple la levée de fonds de Vestiaire Collective (58 millions d'euros) pour avancer vers les États-Unis et en Asie. Une rareté, d'après lui, sur notre territoire. L'avocat David Benichou est optimiste. Pour lui, le paysage du financement en France est assez positif : "Il y a eu 100 milliards de capitaux privés levés en 2016 dans le domaine de la technologie. De nombreux investissements sont disponibles à taux très bas". Mais ces investissements restent limités à de petits montants. Pour Maud Bailly, "le problème, c'est que les ETI ne grandissent pas assez en France". Au moment de croître et de passer un cap, trop d'entreprises fuient vers l'étranger où elles sont bien souvent rachetées.
Partir à l'étranger pour mieux revenir
Lorsque les entreprises françaises ne se sentent plus portées par le système mais qu'elles souhaitent continuer à s'étendre, elles font parfois le choix de s'exporter pour aller trouver une nouvelle respiration hors de nos frontières et des capitaux plus structurés. Le stéréotype de la lourdeur de la fiscalité est aussi encore bien marqué en France : "Dans l'esprit des gens, les entrepreneurs français sont excessivement taxés alors qu'on est en dessous des taux subis par les entrepreneurs américains", rectifie Maud Bailly.
Pour Thierry Petit et Frédéric Mazzella, le problème vient aussi des changements de règlementation systématiques. "Les chinois ont du mal à investir en France car l'instabilité de notre règlementation leur fait peur", ajoute Matthieu Baret.
Mais garder son indépendance en se confrontant à plus gros que soi peut mettre l'indépendance des jeunes entreprises a mal : "Si la part de capitaux étrangers est trop importante, il y a risque de rachat", selon Maud Bailly. Thierry Petit n'a pas souhaité revendre Showroomprivé face aux propositions qui lui ont été faites, pour garder, entre autres, son autonomie : "On voulait continuer à faire ce qu'on aimait... Et si ça peut embêter nos principaux concurrents...!", s'amuse t-il.
Pour lui, l'exode des entrepreneurs français n'est pas une fatalité en soi : "On trouve de nombreux français au top des posts de direction dans certaines boîtes de la Silicon Valley. Ce n'est pas grave qu'ils partent mais il faut qu'ils reviennent un jour". Maud Bailly préconise la fin de l'austérité pour garder ces talents sur le territoire : "Contrairement aux observations, un marché trop rigide est facteur de précarité." Un message qui sera peut-être entendu par les hommes politiques français.