REF 2019 : le Medef s'empare de la crise écologique et sociale
Baptisée désormais " Rencontre des Entrepreneurs de France " (REF), la 21ème université d'été du Medef s'est faite l'écho de la crise écologique et des inégalités sociales. Du jamais vu de la part du premier syndicat des patrons de France. Reportage.
Je m'abonneUne scène en plein air, les pelouses de l'hippodrome de Longchamp en arrière-plan et la musique " God Save the Queen " d'un groupe célèbre, les Sex Pistols. Nous ne sommes pas au festival de musique Solidays mais bel et bien à l'édition 2019 de la " Rencontre des Entrepreneurs de France " du premier syndicat des patrons tricolores, le Medef.
Le jingle punk rock terminé, Geoffroy Roux de Bézieux, président de l'organisation depuis un an, prend la parole : " Je vous disais qu'il y a un an, de nouveaux sujets brûlants étaient en train de surgir partout en France et dans le monde. Des questions de soutenabilité de la croissance bien sûr, mais aussi sur les inégalités, réelles ou perçues, sur le libre-échange et le commerce mondial, sur le modèle démocratique. Je vous disais aussi que les entrepreneurs, que le Medef, devaient affronter ces défis, se confronter à ceux qui s'opposent, ne pas se replier dans un entre soi, certes confortable, mais en réalité trompeur. C'est de cette volonté qu'est née la REF. " Dans l'assistance, le discours du patron des patrons fait sensation tant il est singulier. Comme la thématique de l'événement qui insiste sur cette nouvelle tonalité : " Nos futur(s), climat, inégalités, conflits, quel capitalisme pour demain ? "
Débats de société durant deux jours
Durant deux jours, des conférences-débats seront organisées autour de ces thématiques sociétales et d'actualité. Pour les animer, des personnalités de tous horizons : politique, économie, culture, média, justice, syndicats et administration. Selon Geoffroy Roux de Bézieux, l'idée est de " donner de la perspective, du recul " aux dirigeants d'entreprises, " parties prenantes, au même titre que l'État, de l'intérêt général de la France et du monde ". Au sein du Medef, cette nouvelle orientation a reporté 97% des suffrages lors d'un référendum interne, a précisé le leader.
Le Medef attentif aux prochaines réformes du gouvernement
Mais attention, les revendications traditionnelles du Medef - baisse d'impôts sur les sociétés et des charges, compétitivité - ne sont pas absentes de son discours pour autant. " Je vous rassure, nous allons continuer à les revendiquer avec constance et détermination ", a rappelé le président du syndicat patronal. Concernant la prochaine réforme des retraites, si le Medef approuve " sa philosophie générale ", il la soutiendra à la seule condition qu'elle " combine l'âge et la durée de cotisation " pour éviter " l'impasse financière ". Aussi il veillera à " ce que les réserves des salariés du privé ne financent pas les retraites des fonctionnaires ". Le bonus-malus sur les contrats courts en prend aussi pour son grade : " une usine à gaz à laquelle personne, ni l'entrepreneur, ni le salarié, ne comprend rien ", même " si elle part d'une bonne intention, lutter contre la précarité ". Un bon point est par contre distribué à la " taxe GAFA ", un " signal politique " qui prône un " libéralisme " dont " la concurrence est stimulée par l'innovation plutôt que l'asymétrie fiscale ".
Comme s'il voulait formuler une réponse, le ministre de l'Économie Bruno Le Maire, invité à prendre la parole peu après, a tenté de rassurer les patrons français. " Nous ne reviendrons pas sur les allègements de charges aux entreprises " a-t-il assuré. Avant d'ajouter : " La baisse de l'impôt sur les sociétés à 25 % en 2022 se fera " et " nous avons commencé à baisser les impôts de production ". La ligne directrice économique pour soutenir des entreprises françaises va donc se poursuivre : " Nous donnons des garanties de stabilité fiscale et nous poursuivrons la politique de l'offre ".
Climat et inégalités sociales au menu
Durant deux jours, une vingtaine de conférences-débats se sont tenues. Climat, inégalités sociales, économiques, géographiques, redistribution des richesses, éducation, la REF 2019 s'est faite l'écho d'un nouveau message porté par les entreprises françaises : être rentables, se développer, oui, mais plus à n'importe quel prix social et écologique. S'il est difficile de relayer la totalité de ce qui s'est dit, durant ces panels, on retient deux thématiques revenues à plusieurs reprises.
La première, la loi Pacte, promulguée le 22 mai 2019. La " raison d'être " et la " prise en compte des enjeux sociaux et environnementaux " des entreprises ont marqué les esprits des entrepreneurs et encouragé bon nombre à renforcer leur politique RSE. Dans une conférence sur " le capitalisme à l'épreuve du réchauffement climatique ", Pierre-André de Chalendar, p-dg de l'entreprise de bâtiment Saint-Gobain a déclaré à ce sujet : " Ce sont les chefs d'entreprise qui doivent prendre l'initiative sur le sujet impact environnemental. Que ce soit par conviction écologique ou pas, nous n'avons plus le choix. " Quid de l'attractivité des entreprises ? Le patron de Saint-Gobain répond : " Aujourd'hui, les jeunes postulent de moins en moins dans une entreprise simplement pour le salaire et le niveau de responsabilité. Ils recherchent du sens dans leur travail, ils analysent l'impact environnemental de leur future boîte. C'est pour cela qu'on parle de marque-employeur, d'attractivité. Il y a un changement de paradigme dans la manière de recruter. "
Le partage des richesses aux salariés est aussi revenu sur la table plusieurs fois. Xavier Bertrand, ancien ministre et président de la région Haut-de-France, a insisté sur le sujet lors d'un panel questionnant la fracture sociale française : " La question du partage de la valeur en entreprise est centrale. L'actionnariat interne, utilisé par de nombreuses entreprises françaises, est une piste de solution. Mais il faut également encourager à un changement de mentalité de la part des entrepreneurs. L'intérêt général doit faire partie de leur logiciel. L'État n'a plus le monopole sur le sujet. Il y a un besoin de plus de cohésion entre entreprises et État. C'est crucial. "
Événement éco-responsable
Si le Medef a innové sur le contenu de son université d'été, son contenant avait aussi sa part de nouveauté. Le lieu, l'hippodrome de Longchamp, plus accessible en transport et très aéré, est un premier point. Plus essentiel encore, la REF s'est fixé l'objectif du zéro déchet. Pour se faire, le Medef a fait appel à l'agence Hopscotch, devenue spécialiste de l'événementiel à impact environnemental réduit. Gourdes gratuites, tri-sélectif, food-trucks bio, navettes de bus électrique gratuites pour se rendre à l'événement, pas d'utilisation de climatisation, telles sont les principales actions mises en place sur cet aspect. " Les entreprises sont désormais accélératrices de changement sur les sujets sociétaux. Pour nous, c'était cohérent d'organiser cet événement du Medef pour notre agence ", déclare Sophie Gerstenhaber, directrice de l'événement "La Semaine du Goût" chez Hopscotch. Mathieu Tascher, gérant de Stereo-texte, une société de traduction et de communication franco-allemande, partage son sentiment de l'événement : " J'ai eu une très bonne impression de cette REF 2019. Le cadre, très agréable, est un de ses points forts. Le panel des intervenants de tous horizons et avec des avis parfois contradictoires, était très riche aussi. Traiter des thèmes de société ouvre des perspectives aux entrepreneurs, c'est essentiel. " Fabrice Le Saché, porte-parole et vice-président du Medef abonde dans ce sens : " Pour nous, la REF 2019 est un succès en termes d'audience avec 7500 participants composés de chefs d'entreprise mais aussi de d'autres pan de la société civile. Nous voulions montrer que le Medef s'empare lui aussi des enjeux de notre société comme le climat ou les inégalités. Nous ne voulions pas parler que de fiscalité ou de taxes. Les entreprises ont un rôle majeur à jouer dans la résolution de ces problématiques et cet événement est là pour s'en faire l'écho. Notre organisation va poursuivre ce travail en suivant cette orientation désormais. "
Si cet événement repositionne le Medef et les entreprises sous l'arc de l'intérêt général, il est légitime de se poser la question suivante : se traduira-t-il en actions concrètes et porteuses de sens ? La voix de Geoffroy Roux de Bézieux, lors de son allocution de conclusion, est un élément de réponse : " Depuis 2015, les entreprises françaises ont créé 936 000 emplois. C'était un de leur engagement et elles l'ont tenu. Autre engagement à vous présenter aujourd'hui : la signature du French Business Climate Pledge par 101 entreprises tricolores de toute taille. " Via ce pacte, les 101 signataires - parmi lesquelles on trouve des multinationales françaises comme Danone, Sanofi, Orange, Kering, l'Oréal, Engie - s'engagent à investir au total 73 milliards d'euros dans les énergies renouvelables, les technologies bas carbone et les pratiques agricoles durables pour la période allant de 2020 à 2023. Gage de vraisemblance, ce pacte sera évalué au fur et à mesure de sa durée par un cabinet indépendant. " Ce n'est donc pas une déclaration d'intention ", a souligné le président du Medef. Intentions ou actions ? Là se trouve la pierre angulaire de la crédibilité de cette REF 2019. A suivre de près donc.