Jonathan Anguelov, cofondateur d'Aircall : "Il y a un problème de formation en France"
Aircall est une société spécialisée dans la téléphonie d'entreprise. La PME, située à Paris et New-York, vient de lever 29 millions de dollars. Jonathan Anguelov, co-fondateur et COO, dresse les ambitions de développement de cette pépite.
Je m'abonnePouvez-vous nous expliquer l'activité d'Aircall ?
C'est de la téléphonie 100% cloud, connectée aux outils de l'entreprise. Concrètement, nous supprimons les téléphones fixes et nous les remplaçons par une application sur les ordinateurs et les smartphones des collaborateurs. Aircall se connecte ensuite aux logiciels de la relation client et aux logiciels de vente de la société.
C'est-à-dire ?
Prenons par exemple une équipe commerciale qui passe des appels toute la journée. C'est intéressant pour le manager ou le chef d'entreprise d'écouter les appels en direct ou de les réécouter en fin de journée. De même, si un prospect rappel, les équipes peuvent savoir quand il a été appelé pour la dernière fois, etc.
Notre cible, ce sont les services commerciaux et les services de la relation client. La force d'Aircall, c'est que nous sommes "plug and play" dans le monde entier. De plus, il n'y a pas de coût de maintien pour nos clients puisque notre logiciel est en mode SaaS.
Pouvez-vous nous donner quelques chiffres sur votre entreprise ?
Nous sommes un peu plus de 100 personnes à Paris et une soixantaine à New York. Aujourd'hui, plus de 100 millions d'appels par mois passent par Aircall. Nous avons une équipe de plus de 60 ingénieurs. Nous sommes en forte croissance, de l'ordre de 8 % à 10 % par mois. Nous avons plus de 3 000 clients dans le monde, qui vont de la petite PME à l'ETI.
À titre d'exemple, nous sommes passés de 1 million d'euros de chiffre d'affaires (CA) à 10 millions d'euros en à peine 18 mois. Enfin, notre culture est très internationale avec 18 nationalités présentes dans l'entreprise.
Vous venez de lever 29 millions de dollars. Quels sont vos objectifs ?
Tout d'abord, nous souhaitons poursuivre le développement de notre technologie pour devenir une plateforme de téléphonie d'entreprise. Concrètement, notre but est de connecter Aircall à des centaines d'autres solutions métiers, comme des logiciels spécifiques pour les avocats ou les comptables.
Bref, à tous les outils où la connexion à la téléphonie fait sens. Nous construisons donc notre plateforme pour qu'elle soit ouverte. Ce sera notre axe de développement en 2019 et 2020. Ensuite, naturellement, nous continuons à recruter des talents. Notre marché pèse 20 milliards de dollars et il croît de 10 % à 20 % par an.
Pourquoi avoir un siège à New York ?
C'est une décision que nous avons pris dès le départ. À l'époque, les investisseurs étaient plus intéressés par les structures américaines. Par ailleurs, aux États-Unis, le marché du logiciel est très important. Sans compter que cela nous a offert une vraie légitimité locale. Nous ne voulons pas être franco-français et refermé sur notre marché. Après, nous avons aussi un bureau à Paris car l'Europe est un gigantesque hub pour notre business.
Vous êtes quatre cofondateurs. Est-ce compliqué au quotidien ?
Pas du tout. Nos backgrounds sont relativement différents et très complémentaires, avec deux profils Tech et deux profils Business. Nous nous sommes donc réparti les rôles. Olivier Pailhes, notre CEO, est le cerveau et le stratège d'Aircall. Il est basé à New York avec Xavier Durand qui est CTO.
Quant à moi, je suis beaucoup plus dans l'opérationnel et je suis à Paris avec Pierre-Baptiste Béchu, CTO également. Je gère, au quotidien, l'intégralité du business européen de l'entreprise.
Il n'y a jamais eu de frictions dans la gouvernance ?
C'est paradoxal mais nous sommes presque toujours d'accord. Nous avons des discussions très ouvertes et nous nous entendons très bien. Nous nous réunissons tous les vendredis après-midi en "browsing meeting" (réunion de navigation, NDLR). C'est le moment où nous émettons nos doutes et nos recommandations.
Finalement, nous nous accordons toujours. Il n'y a jamais eu de décisions prises à deux contre deux ou trois contre un. La raison : nous avons un objectif commun qui est la réussite de notre entreprise. Nous sommes persuadés que nous pouvons révolutionner la téléphonie d'entreprise.
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Rencontrez-vous des difficultés pour recruter des talents ?
C'est une grande difficulté, en France, d'embaucher des talents dans le secteur de la Tech. Peu importe le profil, qu'il soit commercial, technique ou produit. C'est d'ailleurs surprenant dans un pays où il y a presque 10% de chômage. Cela dit, à l'heure actuelle, nous recrutons tout de même plus de dix personnes par mois. Ça va très vite.
Vous avez du mal à recruter des commerciaux en France ?
Oui. Je reviens du G20 des jeunes entrepreneurs à Buenos Aires et nous partageons tous la même vision : nous formons des étudiants dans des filières considérées comme "poubelles" où, à l'issue de leurs études, il y a très peu de débouchés. Je ne dis pas qu'il faut supprimer des filières telle qu'histoire de l'art ou psychologie. Mais c'est problématique quand il n'y a pas de corrélation entre la formation des étudiants et les besoins des entreprises.
Ensuite, en France, nous ne formons pas de vrais commerciaux. Les écoles n'apprennent pas à vendre. Dans notre pays, être commercial, ce n'est pas cool. Ce n'est pas un métier que l'on veut faire. Je ne comprends pas pourquoi. Pour moi, c'est l'un des plus beaux métiers au monde même s'il est très difficile. D'ailleurs, pour contourner le problème, nous formons nos commerciaux en interne avec la Aircall Academy.
À ce rythme, arrivez-vous à conserver votre culture d'entreprise ?
Notre culture est très ouverte. Mes associés et moi-même sommes assis au milieu de nos équipes. Je n'aurai jamais de bureau individuel car je veux garder cette proximité. Je rencontre individuellement, ou en petit groupe, les collaborateurs qui rejoignent Aircall. Et ce, dès les premières semaines. Je leur présente l'entreprise, notre vision et ce que nous avons accompli depuis 4 ans. Le but : que tout le monde soit embarqué dans la même aventure.
Ensuite, nous restons très transparents, notamment au niveau des chiffres et le board fait des debriefs mensuels. Le message que nous faisons passer : l'entreprise n'est pas celle des fondateurs mais celle de tous les collaborateurs. Nous avons besoin d'eux.
Le développement à l'international est-il obligatoire ?
Selon son secteur d'activité et son business, l'international a un vrai intérêt. Nous voulions faire de la téléphonie d'entreprise en mode cloud. Cela implique la suppression des barrières de la langue et du pays. Pourquoi se contraindre à rester en France alors que nous pouvons avoir des clients dans le monde entier ? Aujourd'hui, c'est ce qui fait notre force et notre croissance.
Pensez-vous que toutes les entreprises devraient suivre votre voie ?
Certaines PME ont un business franco-français et se portent très bien. Elles sont rentables et ont une belle croissance. C'est déjà excellent ! Je pense, par exemple, à Chauffeur Privé ou Le Cab qui ont eu un développement essentiellement français. Ces entreprises ont été rachetées pour de beaux montants et c'est magnifique. Il ne faut pas vouloir aller à l'international par principe. C'est l'une des meilleures façons d'échouer. Attaquer de nouveaux marchés comporte des risques, prend du temps, demande des investissements et, surtout, peut faire perdre son focus.
Depuis la création d'Aircall, quel a été votre pire souvenir ?
C'était en 2004. Nous n'arrivions pas à avoir une qualité de voix et un produit stables. Nous étions une dizaine, en comptant les stagiaires. Les clients étaient mécontents et nous nous demandions si nous allions y arriver. Nous ne pensions pas que notre projet serait si difficile. Finalement, la barrière à l'entrée est ici : développer un logiciel "scalable" dans le monde entier. Au début, nous obtenions une bonne qualité dans certains pays mais pas dans d'autres. Sans savoir pourquoi. Nous avons beaucoup tâtonné pour aboutir au produit qui satisfait aujourd'hui tous nos clients. Ce qui nous a aidés, c'est justement d'être quatre. Il y avait toujours quelqu'un pour rebooster les autres.
Dates clés :
1986 : naissance à Paris
2013 : diplômé de l'ESCP
2014 : rencontre de mes futurs associés
2015 : départ pour San Francisco avec Aircall
2016 : ouverture du bureau d'Aircall à New-York
2018 : Levée de fonds de 29 millions de dollars