[Billet d'humeur] Episode 2 : l'étrange cas des lutins syndiqués !
Scène : Le bureau de Sigmund Freud, avec le même décor chaleureux. C'est important un décor neutre, il en va de la partie clinique de la séance. Freud ajuste ses lunettes comme à son habitude, tandis que le Père Noël, cette fois-ci avec une barbe parfaitement égalisée, s'allonge sur le divan. Freud, prêt à écouter, s'apprête à prendre des notes dans son calepin.
Je m'abonneFreud (souriant) : Visiblement Nicholas, la dernière séance semble vous avoir fait énormément de bien. Je vous trouve particulièrement soigné, comme si vous aviez décidé de reprendre un peu de votre pouvoir personnel...
Père Noël : Ah ça oui en effet, j'ai décidé d'aller à la salle trois fois par semaine et de prendre soin de moi. Vous avez raison, c'est important la valeur que l'on s'accorde Docteur. C'est certainement le premier des sujets à considérer pour prendre sa place dans une équipe et plus généralement dans le monde.
Freud (souriant) : Très bien, je vois que vous avez réfléchi à la relation que vous entretenez avec vos lutins. C'et une très bonne chose. Pouvez-vous m'en dire plus ?
Votre relation avec les lutins...
Père Noël (avec un sourire triste) : Ah, les lutins. Ils se sont organisés en SCOP maintenant. C'est drôle, n'est-ce pas? Moi, le symbole de Noël, supposé être le patron, et voilà que je me retrouve à leur service ! Ils décident des horaires, des quotas de production, des budgets, des heures de travail, des innovations... et moi... je passe juste pour signer les chèques. Je me demande parfois qui est vraiment aux commandes. Je suis devenu une sorte de figure symbolique, un ambassadeur de bonne volonté. Je suis devenu leur mascotte. »
Freud (souriant) : « Une mascotte, dites-vous ? Et cela vous fait ressentir quoi, exactement ? »
Père Noël : « Comme un pion. Ils me disent où aller, quoi faire. On m'a même donné un script pour mes discours de Noël ! Je suis devenu un acteur dans ma propre entreprise. C'est épuisant, et franchement, démoralisant. Et puis, il y a cette idée que je dois être parfait, infaillible. »
Freud : « Et face à cette vision des choses, comment vous sentez-vous ? »
Père Noël : « Fatigué. Épuisé, en fait. Je me sens exploité, comme si je travaillais pour la gloire et non pour de véritables récompenses. Tout le monde s'attend à ce que je sois généreux, que je donne sans compter, et souvent gratuitement. C'est comme si j'avais une obligation morale de tout sacrifier pour le bonheur des autres. Et à chaque fois, c'est la même chose : je veux être gentil, je propose ça, et les autres après, ils prennent ça. J'ai vraiment l'impression de me faire avoir à chaque fois. Ça ne sert à rien d'être gentil. Je me sens arnaqué par les personnes qui m'entourent ! Alors, ça commence à aller un peu mieux pour tout vous dire, mais je dois en permanence traquer les micro-comportements de tous les lutins ! »
Freud : « Et si cela venait autant des autres, de ce que vous leur permettez d'agir ? Je vois votre état et je ressens votre énergie. Comme cela s'est passé depuis la dernière séance ?
Père Noël : « Au début, c'était difficile, et c'est pour cette raison que j'ai décidé d'aller à la salle et que j'ai décidé de prendre un peu plus soin de moi. Du coup, je délègue un peu plus forcément car je sens que c'est important autant pour mon physique que pour mon mental ce sport en salle ! La semaine dernière, j'ai fait non pas trois séances, mais 6, et à chaque fois plus de 10 km de rameur pour arriver à faire 72 km en une semaine ! Je peux vous assurer qu'aucun lutin ne viendra me chercher des noises sur ce périmètre de la performance individuelle ! »
Freud : « Ça je veux bien vous croire ! Cependant, c'est fou ça que dès que vous décidez de lâcher prise dans votre management, vous compensiez par une charge totalement démentielle ! Vous, votre « fais effort », il est particulièrement bien balèze ! »
Père Noël : « mon Fais effort ? »
Freud : « Ben, c'est quand vous y allez à fond jusqu'à l'épuisement quoi ! Tout commence bien entendu pendant votre enfance et vous n'avez pas forcément entendu la phrase « fais un effort ». Néanmoins ce message s'est dissimulé dans d'autres phrases que vos parents et professeurs vous ont sorties. Vous avez dû l'entendre sous la forme : « Tu n'as plus rien à faire ? », « C'es tà cette heure-ci que tu te lèves ? », « Tu sais, on ne fait pas toujours ce qu'on aime dans la vie ! » ou encore « Tu sais Nicholas, moi ma place elle est faite, mais va falloir mettre un petit coup de boost si tu veux t'en sortir mon fils ! ». Généralement la personne qui a trop entendu ce message aura tendance à être besogneuse, persévérante, et néanmoins fiable et volontaire. Du coup, cela fait terriblement sens avec notre dernière séance Nicholas : ce qui est facile à faire est quasiment sans valeur. Ce que vous faites a moins d'importance que l'effort consenti pour le faire. Vous ignorez la possibilité de déléguer ou de demander de l'aide à ceux qui l'entourent. Et vous avez tendance enfin à vous dévaloriser ou à dévaloriser autrui. Comment vous sentez-vous ? »
Père Noël : « Fatigué ! »
Freud : « Ah là Nicholas, Là on n'est plus dans la fatigue. On est dans l'épuisement professionnel voire le burnout ! C'est d'ailleurs extrêmement important de savoir faire la différence entre les deux. J'ai lu un article récemment sur Be A Boss qui... »
Père Noël : « Ahah, je vous retrouve bien là Sigmund ! Vous adorez les blagues un peu méta ! Bah, en burnout clairement ! J'ai lu l'article aussi ! Y'a vraiment cette notion de chosification de la part des lutins ! Nicholas, où est votre plan de route ? Avez-vous mis à jour SAP et HubSpot ? D'ailleurs à ce moment, j'ai répondu, que ce n'est pas parce que Jul et Arielle Dombasle ont fait n'importe aux J.O. quoi qu'on doive forcément rayer de la base de données toute leur descendance ! Je ne suis pas d'accord ! En plus, ce n'est pas comme si j'étais payé ! « Au nom de l'entrepreneuriat ! » qu'on me dit ! Nanméoh ! Ça me rappelle ma mère, tiens ! »
Freud : « Vous voyez, je touche quelque chose de sensible et vous partez dans tous les sens ! Recentrons-nous un peu Nicholas. Je sens que cela vous affecte franchement et que vous êtes très énervé. Intéressant. Parlez-moi des tensions internes avec vos équipes. Pouvez-vous m'en dire plus ? »
Père Noël : « Ils se sont organisés en syndicat ! »
Freud : « Un syndicat ? C'est surprenant. Quelles sont leurs revendications ? »
Père Noël : « C'est là que ça devient absurde. Ils veulent des avantages comme des congés payés, des bonus de fin d'année... avec des sucres d'orge et des piécettes en chocolat ! Et tenez-vous bien, ils demandent des tickets-restaurants ! Je leur ai expliqué qu'on ne pouvait pas vraiment commander une pizza au pôle Nord, mais ils insistent. Ils sont convaincus que je suis ce grand méchant patron machiavélique qui les exploite. »
Freud : « Intéressant. Et sur quelles bases croient-ils cela ?"
Père Noël : « C'est là le sommet de l'ironie, mon petit Sigmund... ah non, désolé Docteur encore une fois... c'est que j'ai plus de 2000 ans quand même ! Bref, docteur, ils croient à une théorie du complot selon laquelle je suis à la tête d'un vaste empire capitaliste secret. J'ai beau leur montrer mon bilan en méga déficit et la ligne de salaire à 0 depuis facilement... bah depuis le 25 décembre 00, parce qu'à l'époque, un panier en osier, fallait le fabriquer et ça m'a pris un temps de dingue. Heureusement que j'avais mes potos Balthazar, Melchior et Gaspard - Ce sont eux qui m'ont donné l'idée de monter la première usine et d'embaucher mes premières créatures magiques !
Freud : « Créatures magiques ? »
Père Noël : « Bah, des nains, vous n'avez pas encore vu le remake de Blanche Neige ? Maintenant, on dit « créatures magiques ! »
Freud : « Blanche neige ? Si... euh... ah non, Blanche Neige, cette Blanche Neige avec la majuscule à Blanche ? Non, en effet, je n'ai pas vu ce remake encore ! Attendez, les lutins sont des nains ? »
Père Noël : « Bah oui, c'sont pas des poulpes, ce sont des nains et je vous jure, les miens ils sont atteints de wokisme ! Bref, reprenons, mes lutins et donc bien sûr, je suis bien obligé : mes lutines, ils/elles pensent que je suis assis sur une montagne d'or, probablement parce que je porte du rouge comme un roi médiéval. Mais si seulement ils savaient... Bon, okay, j'ai dealé le veston avec Coca-Cola ! Mais ça remonte maintenant ! Mon contrat de travail précise clairement que je suis juste un ressort marketing ! Je suis le visage de la marque, rien de plus. Si je ne peux pas me pécho une petite veste de temps en temps... »
Freud : « Alors, vous n'êtes plus le décideur ultime dans cette entreprise ? »
Père Noël : « Bah j'aimerais bien ! Mais les lutins - et donc les lutines - gèrent tout, de la production à la logistique. Je suis là pour les photos, les pubs, et les ho-ho-ho. Mais pourquoi je rigole à chaque fois que je dis oh-oh-oh. Ça aussi c'est insupportable ! Vous savez, je me demande si je ne devrais pas me mettre en grève moi-même. Je pourrais demander une vraie augmentation, peut-être même un carnet de tickets-restaurants ! »
Freud (souriant) : « De quoi manger ? Ce serait une petite révolution en effet ! Mais revenons aux lutins et lutines. Vous dites que eux, ils sont prêts à faire grève jusqu'à la fin de l'hiver ? »
Père Noël : « Oui, ils prévoient une grève illimitée, ce qui est totalement absurde. Nous sommes déjà en basse saison après Noël, et ils choisissent maintenant pour exiger des choses comme un système de retraite anticipée pour les lutins senior ! Je leur ai dit, « Les gars, nous sommes immortels, la retraite n'a aucun sens ! Mais non, ils insistent. »
Freud : « Il semble que vos lutins souffrent d'une crise de reconnaissance. Peut-être ressentent-ils une forme de détachement par rapport à leur contribution. »
Père Noël : « C'est possible. Ils se plaignent aussi que je monopolise toute la gloire. Comme si je pouvais contrôler cela ! Je leur ai proposé de faire des 'Selfies avec le lutin' pour partager un peu la lumière, Sven m'a répondu que c'était une tentative de diversion ! »
Freud : « Ce n'est pas un cerf, Sven ? »
Père Noël : « Bah, je vous ai dit ce que je pense des prénoms qu'on donne aux gosses ? Bon, c'est la même chose ! Il n'a pas eu de chance, c'est tout ! Bref, à ce stade, je me demande si je suis vraiment le problème ou si c'est juste une crise de leadership collectif. »
Freud : « Cela pourrait être un mélange des deux. La dynamique de pouvoir dans les entreprises peut être très complexe. Il semble que vous soyez à la fois la figure de proue et le bouc émissaire. C'est une position difficile, surtout lorsque les autres ne reconnaissent pas votre véritable rôle. Mais du coup, Coca, c'est eux, pour le costume rouge ? »
Père Noël : « C'était jute sur la lettre du petit Woodruff, le fils de Robert. C'est moi qui lui ai raconté cette petite histoire, mais j'étais en rouge bien avant, c'est juste que je voulais inaugurer mon atelier de confection et ça m'a permis de me lâcher, tenez docteur, touchez cette matière un peu ! Dites-donc, c'est drôle quand même, vous avez près de 130 ans et vous avez gobé toute l'histoire ? Vraiment ? ça c'est du marketing qui envoie ou je ne m'y connais pas ! »
Freud : « Mais Woodruff, il n'est pas un peu vieux pour que vous lui accordiez votre temps ainsi ? »
Père Noël : « C'est vrai, vous avez Doctolib ! Mon avatar cesse de l'être quand il arrête de croire en moi. C'est tout. Vous pouvez avoir quarante ou quatre-vingts ans, si vous croyez encore en la magie de Noël et que vous conversez avec votre enfant intérieur, votre lettre sera traitée dans notre ERP. »
Freud : « Donc, vous pourriez me livrer... »
Père Noël : « Ça suffit Sigmund ! »
Freud : « Bon, vous avez raison, cela clôture notre séance d'aujourd'hui. Pour notre prochaine séance, j'aimerais que vous réfléchissiez à la nature des relations que vous entretenez avec votre mère. Vous savez, c'est probablement de la faute de vos parents. Du père, pour les filles et de la mère, pour les fils. Éric BERNE, qui a créé la pratique de l'Analyse transactionnelle, n'arrêtait pas de répéter que « les enfants sont nés princes et princesses et que leurs parents les ont transformés en grenouille ! ».
Père Noël : « Mais Éric Berne, ce n'est pas un gars des années 50 ? »
Freud : « Voyons Nicholas, déjà, qui vous a dit qu'on était en 1910 ? et puis, est-ce que nous sommes à un anachronisme prêt dans nos séances ? Nous nous revoyons dans un mois, le dernier mercredi ? »
Père Noël : « Oui, c'est parfait Sigmund, à dans un mois ! »
Hello je m'appelle Guillermo Di Bisotto et je suis l'auteur Eyrolles Business de "C'est où qu'on signe ? L'art de traiter les objections" (http://tinyurl.com/s93ufjx5) et de "Questions pour un champion de LA vente" (https://c3po.link/QJyHhbRRZa) | Mon dernier livre a remporté le prix du coup de coeur de l'IDRAC Business School et c'est un honneur que ce livre ait été plébiscité par ses étudiants. J'espère donc de tout coeur, en ayant écrit cet article, vous avoir donné envie de vous le procurer 😊(et surtout de le lire à votre tour)