La Chine à l'heure du réveil écologique
Le 22 septembre 2020, le président Xi Jinping a annoncé la neutralité carbone de la Chine pour 2060. Une ambition questionnée tant le pays reste un gros pollueur, malgré des avancées certaines. Quelles sont les pistes envisagées pour atteindre cet objectif ? Est-ce l'occasion pour certaines entreprises françaises d'investir le marché chinois ?
Je m'abonneAlors que la Cop26 réunit les pays signataires de la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, les regards sont tournés vers la Chine. Le président Xi Jinping a en effet partagé, en septembre 2020, l'objectif de son pays d'atteindre le pic de ses émissions de CO2 avant 2030 et la neutralité carbone d'ici 2060. Il a même été précisé, en juillet dernier, que cette neutralité concernerait tous les gaz à effet de serre et pas uniquement le CO2. Mais depuis cette annonce, aucune précision n'a été apportée sur la façon dont le pays compte réaliser cette transition climatique.
Dépendance
Plusieurs arguments plaident cependant en faveur d'une évolution dans le bons sens. Et en premier lieu les efforts réalisés ces dernières années : investissements massifs dans les énergies renouvelables, fortes incitations à la production de véhicules électriques (les modèles électriques ou hybrides doivent représenter un minimum de 14 % de l'ensemble des ventes des constructeurs automobiles et ce pourcentage augmente de 2 % chaque année), lancement d'un marché du carbone... " Au cours de la dernière décennie, il y a eu une amélioration de l'intensité énergétique en Chine, c'est-à-dire du niveau d'énergie associée à un point de PIB. Mais elle est demeurée faible, inférieure aux objectifs du dernier plan quinquennal (le 13e). Cette évolution vertueuse s'est même inversée au cours des dernières années ", explique François Issard, consultant senior en énergie internationale.
La Chine continue en effet à faire face à de nombreux obstacles sur la route de la transition écologique. À commencer par sa forte dépendance au charbon. " Si les Chinois envisagent d'arrêter d'investir dans les centrales à charbon à l'étranger, rien n'a été précisé concernant le charbon domestique. Or, plus de la moitié des centrales à charbon se trouvent en Chine ", observe Aurore Mathieu, responsable politiques internationales du Réseau Action climat. Même sur l'étranger, François Issard met en garde : " La Chine a déclaré qu'elle ne construirait plus de centrales à charbon à l'étranger, mais pas qu'elle n'en financerait plus. "
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D'autres problèmes écologiques minent le territoire chinois : dans son livre Quand la Chine s'éveille verte... (éditions de l'Aube), Nathalie Bastianelli, fondatrice du forum WeBelongToChange, rapporte que sont polluées plus de 80 % des eaux souterraines peu profondes, 40 % des rivières et 19 % des surfaces agricoles. Sans parler de la qualité de l'air qui est préoccupante, malgré des améliorations récentes dans certaines villes. " La trajectoire de la Chine est en ligne brisée et est par là-même imprévisible. Certaines villes, comme Shanghai, présentent une intensité énergétique très performante, tandis que d'autres régions voient leur intensité énergétique se dégrader " , observe Jean-François Di Meglio, président d'Asia Centre. Il note aussi que, malgré de forts investissements dans les énergies renouvelables, les équipements éoliens et solaires chinois sont mal entretenus.
Plans quinquennaux
Est-ce à dire que la Chine ne réussira pas sa transition écologique ? " Ce n'est pas parce que la Chine ne va pas vite dès aujourd'hui sur ces questions de transition climatique qu'elle ne sera pas capable d'accélérer plus tard ", avertit François Issard. Il faut garder en tête que le pays ne souhaite pas dépendre du calendrier imposé par les instances internationales : il avance selon ses plans quinquennaux et pas en fonction des Cop. Le 14e plan quinquennal (2021-2025), dévoilé en mars dernier, est le premier à ne pas afficher d'objectif précis de croissance du PIB. " Cela apporte donc de l'espoir. Or il n'y a pas d'accélération annoncée de la réduction des émissions de carbone par rapport au plan quinquennal précédent, ce qui n'est pas cohérent avec l'objectif de neutralité ", nuance Lola Vallejo, directrice du programme climat de l'Iddri (Institut du développement durable et des relations internationales). Cependant, les objectifs qualitatifs annoncés semblent prometteurs : réduction de la consommation de charbon, modernisation de la consommation énergétique... Le plan quinquennal fixe notamment la part des énergies non fossiles à 20 % de son mix énergétique d'ici à 2025. " Mais on ne sait pas encore comment ce plan quinquennal se traduira dans le détail au niveau sectoriel et provincial ", poursuit Lola Vallejo.
Au-delà de la question énergétique, la Chine investit de nombreux autres sujets. Dans son ouvrage, Nathalie Bastianelli parle de dix villes chinoises qui se lancent dans le zéro déchet à l'image de San Francisco ou de la construction d'une ville-forêt à partir d'une idée italienne d'un immeuble végétalisé... " C'est le pragmatisme à la chinoise : ils appliquent chez eux des initiatives qu'ils jugent intéressantes et les déploient si le test s'est avéré concluant ", remarque-t-elle. Son livre se fait aussi l'écho du programme national de reforestation qui devrait permettre aux forêts d'occuper 24 % du territoire national d'ici à 2025.
Notons aussi que la Chine a été le pays-hôte de la Cop15 sur la biodiversité. C'est pourquoi, Jean-François Di Meglio invite à ne pas sous-estimer le plan B que pourront déployer les Chinois si, en 2060, la neutralité carbone n'est pas atteinte. " Le gouvernement serait capable de couper l'électricité des foyers puis des entreprises pour atteindre son objectif ", avance François Issard. La Chine subit d'ailleurs actuellement une grave pénurie d'électricité due à des facteurs classiques d'offre et de demande, mais aussi à des coupures imposées par des responsables régionaux qui souhaitent ainsi améliorer leur score énergétique...
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Témoignage
" Les Chinois ne sont plus en attente de méthodes françaises "
Thierry Jacquet, président de Phytorestore
L'entreprise Phytorestore, spécialisée dans les paysages écologiques et la dépollution par les plantes, travaille avec la Chine depuis une dizaine d'années dans différents domaines, allant de l'assainissement à l'aménagement urbain orienté vers la préservation des ressources.
Elle a accompagné de grands groupes internationaux implantés dans le pays, qui souhaitent être irréprochables sur les questions écologiques. " Ils sont regardés à la loupe ", glisse Thierry Jacquet, président de Phytorestore. L'entreprise a aussi et surtout participé à de grands marchés publics. " La Chine avance vite sur différents sujets écologiques, mais un changement culturel devra s'opérer afin de glisser d'un système de construction de grands équipements structurels à un nouveau modèle plus culturel ", juge Thierry Jacquet qui espère que le pays réussira à passer d'aménagements décoratifs à des aménagements naturalistes. " On sent l'envie, mais il y a encore beaucoup de choses à faire évoluer. "
Pour y parvenir, il souhaite davantage implanter sa société physiquement en Chine, afin de mener les projets jusqu'au bout. " Les Chinois adorent construire. Or, ils ne sont pas encore au point au niveau de la gestion et de l'exploitation, poursuit-il. Cela est pourtant essentiel en matière d'écologie afin de conserver la qualité et la durabilité dans le temps. " Pour Thierry Jacquet, l'avenir de sa société dans ce pays se situe dans cette expertise. Car il met en garde les sociétés françaises qui souhaiteraient s'implanter en Chine dans le domaine de l'écologie : " Les Chinois ne sont plus en attente de méthodes françaises comme il y a deux/trois ans. Le nationalisme est très fort, même dans le domaine de l'écologie. Pour réussir en Chine, il faut désormais faire ressortir ses spécificités, des choses qu'ils ne savent pas faire. " Ce qui passe et passera désormais par de la co-conception avec des entreprises chinoises.
Phytorestore
Traitement et assainissement des sols
Paris (11e)
Thierry Jacquet, président, 56 ans
SAS, création en 2004, 39 collaborateurs
CA 2020 : 6,2 M€
Nationalisme écologique
Pour autant, les entreprises françaises pourraient-elles profiter de cet élan vers l'innovation verte ? " Les besoins de transition de la Chine seront énormes, il peut donc être intéressant de se positionner. Toutefois, le projet de la Chine sera de développer la R&D et les compétences de transition écologique sur son territoire. Par ailleurs, son marché n'est pas le plus simple niveau protection intellectuelle et réciprocité des marchés ", note Lola Vallejo. Attention donc à ne pas s'imaginer face à un nouvel eldorado. Reste que quelques opportunités sont envisageables.
" Du point de vue de l'innovation, il y a un sujet sur lequel la Chine voudrait s'améliorer : la grille électrique. Le pays a notamment l'ambition de créer une "hyper grid" pour la route de la soie et recherche pour cela des innovations venues de l'étranger ", raconte Jean-François Di Meglio. François Issard observe, lui, de réelles demandes concernant le captage de carbone : " Pour les nouveaux entrants, la question est de savoir s'il faut investir le marché chinois dès aujourd'hui alors que certaines technologies sont encore à peaufiner, comme l'hydrogène par exemple. "
L'expert rapporte que la " wish list " des autorités chinoises concernant la transition écologique fait beaucoup appel à des technologies non encore stabilisées. Le risque ? Ne pas parvenir à une réelle coopération en recherche et développement et voir copier ses innovations par des entreprises chinoises concurrentes. En effet, comme le souligne Nathalie Bastianelli dans son ouvrage : " La stratégie de la Chine pour progresser dans des secteurs de haute technologie a évolué. Dans un premier temps, les sociétés chinoises ont bénéficié des transferts technologiques des entreprises occidentales. [...] Aujourd'hui, Pékin cherche à se passer des Occidentaux, voire à les surpasser. Le pays s'est transformé en une ruche d'innovations technologiques avec des avancées qui dépassent parfois les Occidentaux et les prennent de court. " Elle rapporte ainsi que Tesla s'est fait détrônée sur le marché chinois par un modèle national, Xpeng, et que les foodtech chinoises sont en train de concurrencer les entreprises américaines sur la viande végétale.
Le risque est donc grand que ces entreprises chinoises dépassent leurs concurrents étrangers sur le territoire national, comme elles peuvent aussi les concurrencer à l'international. " La Chine est acteur de la transition écologique, elle est même parfois leader : elle veut en faire un axe de développement général ", estime Nathalie Bastianelli. Car si la Chine se positionne sur ce créneau de l'environnement, c'est aussi et avant tout pour rester une puissance économique incontournable.
Quatre solutions écologiques made in China
Veg Planet
D'un blog, elle en a fait une véritable petite entreprise d'une quinzaine de collaborateurs. Son nom ? Hazel Zhang. Sa marque ? Veg Planet, qui met en lumière le mode de vie vegan à travers un e-shop et lors de diners événementiels.
Yingchuang-WinSun
Cette PME shanghaïenne a mis au point une imprimante 3D gigantesque qui fabrique très rapidement des maisons respectueuses de l'environnement, le matériau utilisé pour l'impression étant composé de déchets et de surplus industriels auxquels sont ajoutés des fibres pour créer un polymère solide de construction.
ReClothing Bank
La marque de la designer Zhang-Na utilise de vieux vêtements pour en faire de nouvelles pièces. Elle recueille également des vieux tissus auprès d'ONG, recycle des bouteilles en plastique usagées et utilise le textile des sièges de voitures.
Six Senses Hotel Resorts
Petite chaîne d'hôtels de luxe, Six Senses Hotel Resorts privilégie les constructions écologiques, soutient la culture locale et la protection des pandas et exploite une ferme biologique qui garantit la sécurité alimentaire de ses clients.
Découvrez d'autres entreprises chinoises écologiques dans le livre de Nathalie Bastianelli, "Quand la Chine s'éveille verte..." (éditions de L'Aube)