Les secrets des ETI allemandes
L'Allemagne est réputée pour la vivacité de ses ETI. Quelles sont leurs forces et faiblesses ? Le mythe qui entoure ces entreprises est-il justifié ? Comment s'en inspirer ? Éclairage.
Je m'abonneAvec ses moins de 5000 ETI selon l'Insee (chiffres de 2011, parus en 2014), la France fait pâle figure à côté de l'Allemagne, qui, elle, en compterait récemment 12 500 environ, selon le METI (Mouvement des entreprises de taille intermédiaire).
Plus nombreuses outre Rhin, ces entreprises sont aussi réputées, du moins en France, comme particulièrement dynamiques et solides. Leur potentiel s'attire communément l'admiration des entrepreneurs tricolores, eux qui, faute notamment d'accompagnement adapté, ont parfois du mal à faire passer le seuil des 250, et à se hisser ainsi de la catégorie des PME à celle des ETI.
Reste que la comparaison, à proprement parler, peut être dangereuse. Car des deux côtés du Rhin, le terme "ETI" ne renvoie pas à la même réalité. Les termes employés sont d'ailleurs différents, puisqu'en Allemagne, on parle plus volontiers de Mittelstand, pour renvoyer à ce terreau d'entreprises de taille d'ailleurs très variable (équivalentes à la fois des PME et des ETI), qui portent l'économie du pays.
Voici les principales caractéristiques de ces sociétés, et ce qu'elles sont en mesure d'apporter à leurs homologues tricolores, et à toutes celles qui rêvent de les imiter.
ETI : de quoi parle-t-on ?
En France, une ETI se définit essentiellement par son effectif et son chiffre d'affaires. Selon l'Insee, entre en effet dans cette catégorie toute "entreprise qui a entre 250 et 4999 salariés, et soit un chiffre d'affaires n'excédant pas 1,5 milliard d'euros soit un total de bilan n'excédant pas 2 milliards d'euros" (ou "moins de 250 salariés, mais plus de 50 millions d'euros de chiffre d'affaires et plus de 43 millions d'euros de total de bilan").
Rien de tel en Allemagne, où la catégorie n'est pas avant tout statistique, mais surtout culturelle. Elle englobe, ainsi, des entreprises de taille très variable (y compris, donc, les petites et les moyennes) dont les points communs sont ailleurs. "Une entreprise du Mittelstand se définit moins par sa taille que par sa forme de propriété, son organisation et sa culture", écrit Patrice Pélissier, ex président du groupe industriel allemand MEA, passé également par Saint-Gobain, aujourd'hui consultant pour des groupes européens et des fonds d'investissement, dans un document de mars 2016 délivré à des chefs d'entreprise en visite en Allemagne.
Facteurs culturels
Plus que par un effectif, les ETI allemandes se caractérisent en premier lieu par une dimension familiale forte. Les postes clés sont généralement occupés par des membres de la famille, qui par ailleurs détiennent l'intégralité du capital. "La famille et l'entreprise sont absolument indissociables", indique Patrice Pélissier. Une situation qui engendre des atouts : "Une persévérance dans la durée incomparable, une mobilisation des énergies qu'aucune autre forme d'organisation ne permet d'atteindre (...) des décisions rapides, une continuité exceptionnelle entre les décisions et leurs mise en oeuvre opérationnelle", détaille l'expert dans son document.
Les ETI allemandes bénéficient, ensuite, d'un ancrage local prononcé. "Vous entrez dans un village, au bout du village, il y a une entreprise mondialement connue...", illustre Jérémie Huss, membre de la délégation française au dernier G20 des entrepreneurs et président cofondateur de Technology & Strategy, groupe de conseil en technologies innovantes ayant son siège à Strasbourg, réalisant 35 à 40 % de son chiffre d'affaires en Allemagne.
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Cette situation crée de la cohésion sociale - une entreprise peut être le plus gros employeur d'un territoire - et un fort attachement dû à la proximité. Celle-ci peut aller loin : par exemple, les enfants des salariés et des dirigeants se connaissent, fréquentent les mêmes écoles... Elle engendre, également, de la confiance entre les différentes parties.
"Un entrepreneur, pas un investisseur"
Le troisième point commun des ETI allemandes tient à leur vision. "Le patron se vit comme un entrepreneur, pas comme un investor", note Patrice Pélissier. Autrement dit, elles regardent leur pérennité avant leur profit immédiat. Certes, cela apparaît plus simple pour elles, dans la mesure où elles n'ont pas de compte à rendre à un investisseur extérieur. Mais leur cap est orienté vers le long terme, dans la mesure où l'idée est de la perpétuer pour la transmettre à la famille. C'est la raison pour laquelle elles sont moins enclines à réagir pour des baisses d'activité ponctuelles, comme pourraient l'exiger des investisseurs plus traditionnels.
"La symbiose entre la famille et l'entreprise, l'obsession de la transmission à la génération suivante génèrent une énergie pour l'action et une persévérance dans l'exécution des décisions, écrit Patrice Pélissier. On se bat plus pour sécuriser l'avenir de ses enfants, que pour générer un dividende pour un fonds d'investissement ou des actionnaires anonymes". Avec les limites que cela comporte (voir encadré page 2).
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Trois bonnes idées à importer
De fait, ces facteurs, d'ordre à la fois culturels et structurels, sont compliqués à dupliquer. Parce qu'ils sont très liés au territoire dans lequel ils sont déployés. Et que la transplantation d'un modèle dans un terreau autre que celui qui lui a donné naissance n'a aucune garantie de succès. Ceci étant dit, reste que, par certains côtés, il y a de quoi s'en inspirer.
Par exemple, comme le mettent en avant les experts, le système de chômage partiel est différent en Allemagne. Pour faire simple, lorsqu'une entreprise traverse une mauvaise passe, elle peut garder ses salariés, tout en adaptant la rémunération. Et n'a, alors, pas besoin de les réembaucher quand l'activité repart. "Cet instrument est transposable, estime Patrice Pélissier. Le risque serait cependant de maintenir des canards boiteux".
De même, coté RH, les rapports sociaux sont différents. Dans les ETI, comme dans les autres entreprises, "on recherche d'abord le consensus avec les partenaires sociaux, on est dans une logique de co-construction", remarque Didier Boulogne, directeur de Business France Allemagne. En France, les rapports sont traditionnellement plus compliqués, et le dialogue est loin d'être toujours au rendez-vous. "Il y a peut-être quelque chose dont on pourrait s'inspirer de ce côté-là". Jouer davantage la carte de la transparence, de l'association, de la considération pourrait être une idée pour améliorer le dialogue social. À condition toutefois que les deux parties jouent le jeu.
Autre point, en Allemagne, l'horizon international est considéré beaucoup plus tôt dans le cycle de vie du produit, dès sa conception. "Chaque länder a son champion", observe Didier Boulogne. Un fait qui tient à une certaine vision de l'entreprise. "En Allemagne, on veut être le meilleur, devenir le champion du monde sur son produit. Les ETI allemandes ont un spectre plus restreint de produits qu'ils vont chercher à exporter dans le monde entier".
D'où, relate l'expert, une force en matière de R&D, "surtout en matière de développement". Ce qu'approuve Jérémie Huss : "En Allemagne, on reste concentré sur son savoir-faire. On ne cherche pas la diversification. Ce qui donne une forme de visibilité et de pérennité. Il y a une concentration dans le développement de la stratégie et un développement sur le long terme".
Le message aux dirigeants français ? "soyez plus ambitieux, avance Didier Boulogne. Pensez tout de suite à l'export. Soyez dans une logique de grandir".
Repenser l'environnement global
Pour que ces idées soient importables avec efficacité, reste à savoir ce qui manque à la France pour que l'environnement global soit favorable à la consolidation des entreprises de taille moyenne. "L'une des clés pour favoriser le développement des ETI en France serait de créer une forme de financement local", avance Patrice Pélissier. Selon l'expert, l'Allemagne dispose d'un réseau bancaire particulièrement bien ancré en local, avec d'une part l'existence de banques mutualistes, et de caisses d'épargne d'autre part. Ainsi, les économies sont davantage réinvesties en local. "La régionalisation de la Caisse des Dépôts avait été imaginée dans les années 1980", explique cet ancien du cabinet de Michel Rocard.
"La difficulté des PME françaises à se transformer en ETI est souvent liée à des problèmes de financement, approuve Didier Boulogne. Les développements de Bpifrance depuis 2013-2014 sont extrêmement favorables à cela. Si les pouvoirs publics ont compris que l'enjeu était de faire grandir ces entreprises, les outils existants sont encore mal connus, pas utilisés à plein".
Au-delà de la question du financement, une évolution de la fiscalité apparaît aussi souhaitable. Les ETI allemandes se caractérisent par leur pérennité. "Un des éléments qui pourrait rendre cela transposable serait une stabilité fiscale, avance Jérémie Huss. Pour investir de manière pérenne il faut de la sérénité".
Si cela dépend de l'État, reste, enfin, que les entreprises de taille moyenne peuvent s'organiser pour se faire entendre. Selon Patrice Pélissier, " il manque en France quelque chose à la frontière entre les institutions et le lobbying. Il existe en Allemagne une fédération des ETI, la BVMW, autonome, très puissante et très organisée. A la fois lieu d'échanges, de conseils et de lobbying..." Un porte-voix essentiel pour les ETI.
ETI allemandes, un mythe fragile ?
Une dimension familiale forte, un ancrage local prononcé, une vision long terme. Trois caractéristiques qui représentent jusqu'alors plutôt des forces, mais qui ont aussi leurs limites. Elles se conjuguent, par exemple, avec une hyper personnalisation du pouvoir, un certain culte du secret, une absence de transparence ou encore des problèmes au niveau de la succession (préparation tardive ou mauvaise, manque d'intérêt de la part des héritiers...)
Autant de revers de la médaille qui signent les limites du modèle. "Il a atteint son zénith, pour plusieurs raisons. On ne voit pas émerger de modèle complémentaire avec le même niveau de qualité, d'efficacité économique et sociale", juge Patrice Pélissier.
A cela s'ajoute que "la numérisation de l'économie est une chance, mais aussi une vraie menace pour le Mittelstand, car le partage de l'information et la collaboration inter-entreprises qu'elle implique remettent fondamentalement en cause [sa] culture du Mittelstand". Les ETI vont devoir s'adapter pour rester performantes.