Xavier Niel : "La France est un paradis pour entreprendre"
Le patron préféré des Français investit sa fortune, la septième de France en 2016 selon Forbes, au profit de l'entrepreneuriat. Présent à chaque étape du développement des entreprises, il ne semble rechercher qu'un but : faire de la France l'endroit idéal pour créer de l'emploi et de la croissance.
Je m'abonneChef d'Entreprise : À la rentrée, vous ouvrirez les portes de votre école 42 dans la Silicon Valley. Son inscription, gratuite, bouscule le modèle universitaire américain basé sur des frais de scolarité élevés. Décidément, vous aimez bousculer les secteurs!
Xavier Niel : C'est drôle ! Surtout dans le domaine de l'enseignement et de l'éducation. C'est sympa d'être capable d'apporter des expériences différentes dans d'autres pays et que ça marche. Maintenant, il faut voir si les étudiants américains seront aussi intéressés que leurs homologues français. Mais je ne suis pas très inquiet ! Surtout que, pour ce lancement, nous avons bénéficié du support de nombreux entrepreneurs américains. Ce sont des camarades, copains, associés qui étaient venus voir 42 à Paris, avaient adoré et m'ont donc, très gentiment, proposé de nous aider.
Est-ce les prémisses d'un retour de Free aux États-Unis après l'essai avorté de 2014?
Pas du tout. C'est juste un pays que je connais bien car j'y suis souvent. Et que c'est plus simple de le faire là que dans un endroit que je ne connais pas. On a acheté un immeuble quatre fois plus grand qu'à Paris et on s'est lancés!
Free n'est basé qu'en France. Et ce, alors que vous encouragez les entrepreneurs à penser global...
Mais je rajoute, juste après, que je suis trop vieux et que c'est trop tard pour moi ! Le petit défaut, en France, c'est de vouloir lancer des entreprises locales. Souvent, les entrepreneurs nous disent : si ça marche à Paris, j'ouvrirai en province. O.K., mais je préfère un autre type de raisonnement : si ça fonctionne en Europe, j'ouvrirai dans le reste du monde ! Aujourd'hui, dans le secteur du numérique, vous devez créer une entreprise qui soit à l'image du marché, donc mondiale. Ça permet souvent d'atteindre une masse critique. Exception faite de certains secteurs, comme les télécoms, qui sont soumis à des autorisations pays par pays.
Aujourd'hui, vous êtes le business angel le plus actif de France. Est-ce parce que vous regrettez l'esprit start-up de vos débuts?
Je suis aussi, certaines années, le business angel le plus actif du monde. Tous les ans, nous nous battons pour prendre la tête du classement avec SV Angel, dirigé par un mec génial. Pourquoi ? Je ne sais pas si c'est car je regrette mes débuts. Kima Ventures est une structure très organisée, créée pour avoir la capacité d'aider les gens à se lancer. Et ça nous fait plaisir d'être capable de vivre et de vibrer avec eux. Alors, bien sûr, au fond de nous, on puise une partie de leur énergie et de leurs idées. Mais je ne sais pas si c'est pour nous rappeler des périodes déjà bien lointaines...
Chez Free, avec ses 9000 salariés, avez-vous réussi à conserver cet esprit start-up?
Pas forcément dans toutes les activités de Free... Celles de création, très certainement, car les équipes sont très petites et travaillent ensemble de manière très rapprochée et très agile. Sur l'exploitation, Free reste un opérateur de téléphonie où l'esprit start-up est moins évident. Vous avez des fonctions de gestion d'entreprise où la notion d'invention et de création est plus dure. C'est le propre de toute forme d'entreprise : elle arrive sur un secteur qu'elle disrupte, puis elle grandit et vieillit avant qu'une autre n'arrive à son tour. Mais nous, nous essayons de vieillir le plus lentement possible !
Parmi toutes les start-up que vous accompagnez, vous reconnaissez-vous dans l'un de ses dirigeants?
Non, je ne suis pas sûr de pouvoir me reconnaître. Déjà, ils sont beaucoup plus jeunes, nettement plus dynamiques. Ils ont une pêche, une ambition, une envie de réussir. C'est bien différent du modèle dans lequel nous sommes, nous les entrepreneurs de la deuxième ou de la troisième génération. Il y a plein de dirigeants de start-up qui sont de vrais génies. Ça fait d'ailleurs partie de nos critères pour investir : avoir quelqu'un en face de nous qui a une vision, qui est capable de se projeter dans un projet différent.
Vous aussi, vous avez réussi très jeune. À leur âge, en quoi leur ressembliez-vous?
En pas grand-chose... Je les trouve beaucoup plus construits, beaucoup moins brouillons, plus brillants aussi car la concurrence est devenue plus dure. Déjà parce qu'il y a quelques années, il y avait quand même moins d'entrepreneurs. Et surtout car aujourd'hui ils doivent faire face à des entrepreneurs du monde entier qui ont, d'emblée, une vision globale.
Vous avez créé l'école 42 qui forme des codeurs. Vous êtes le parrain du Cargo et financez un autre incubateur parisien, la Halle Freyssinet, qui accueillera un millier de start-up en janvier prochain. Vous entrez, avec Kima Ventures, dans le capital des entreprises les plus prometteuses. Être présent à chaque étape de leur développement, n'est-ce pas une manière de contrôler les entrepreneurs?
L'entrepreneur, c'est tout l'inverse ! On ne peut jamais prendre son contrôle. Si vous avez des idées, ça m'intéresse. Il y a, en France, un certain nombre de choses à améliorer. Et si nous pouvons aider, tant mieux ! C'est pour cela que nous avons créé des écoles, non pas de business, mais de codeurs, car c'est une bonne porte d'entrée pour l'entrepreneuriat. Surtout qu'en France, même si nous sommes bons dans ce domaine, les écoles existantes ne s'adressaient qu'à 20 % des étudiants, ceux qui avaient les moyens de se payer autour de 10 000 euros de scolarité par an. 42 propose un modèle complètement différent car gratuit, qui permet à des jeunes, quelle que soit leur origine sociale, d'émerger ! Je pense que l'endroit idéal pour entreprendre, c'est la France... pour des tonnes de raisons ! Pratiques, historiques, géographiques, fiscales... Au sein de cet environnement, la Halle Freyssinet, l'incubateur le plus grand du monde, va s'insérer dans un écosystème parisien d'incubation qui marche plutôt bien. Et va attirer, nous l'espérons, des personnes de toute la France et du monde entier pour qu'ils créent, ici, leurs entreprises. Mais il n'y a pas d'idée de prise de contrôle.
Quant au financement, on le fait maintenant dans un modèle assez classique de business angel qui consiste à aider des jeunes qui ont de belles idées et de belles initiatives. Et ça a un côté très excitant ! Notre objectif, à chacun de ces niveaux, c'est d'aider les gens à créer leur boîte et de faire marcher un écosystème. Nous ne sommes jamais en compétition avec personne.
Certains y voient un programme politique. Est-ce le cas?
Je ne fais pas de politique. Je n'ai qu'un métier, celui dans les télécoms et qui m'occupe à temps complet. Les autres sont, en général, très brillamment gérés par d'autres personnes. À la Halle Freyssinet, il y a Roxanne Varza qui a une énergie incroyable et qui connaît tous ces sujets sur le bout des doigts. Pour 42, c'est une équipe de quatre grands professionnels qui gère la France et les États-Unis. Idem chez Kima. Moi, j'ai seulement quelques e-mails...
Vous êtes, avec Michel-Édouard Leclerc et Alain Afflelou, le patron préféré des Français. Qu'est-ce qui vous vaut ce titre?
Vous remarquerez que les trois font des produits grand public et ont une vision très tournée vers le consommateur. Là où je suis très fier, c'est que je suis le préféré des jeunes [rires] ! Mais comme j'ai tendance à vieillir aussi vite que les autres, j'ai une chance d'être, bientôt, le préféré des moins jeunes !
Le trouvez-vous mérité?
Je ne pense pas qu'il soit mérité, mais j'en suis très content ! Ça me flatte. Les premières années, c'était toujours une surprise ! Aujourd'hui, je suis content lorsque je suis premier et beaucoup moins lorsque je suis second !
Certains entrepreneurs vous reprochent d'avoir dérégulé les télécoms et d'avoir détruit des milliers d'emplois. Que leur répondez-vous?
La concurrence est toujours bénéfique et ne détruit jamais d'emplois. Elle permet d'augmenter les investissements. Et, en dégageant du pouvoir d'achat, de créer des emplois dans d'autres secteurs. Ce n'est plus un sujet aujourd'hui : l'emploi n'a pas baissé dans les télécoms, c'est démontré par l'ensemble des études publiques. Et l'investissement a progressé.
Les dirigeants vantent désormais les vertus de l'échec. Vous en faites partie. Mais ils sont souvent très réticents à parler des leurs. Êtes-vous pareil?
Vous allez détester ma réponse et je m'en excuse par avance. Mais j'oublie toujours les choses négatives, sinon j'aurais du mal à avancer. Je suis optimiste et je gomme de ma tête tous mes échecs. C'est facile d'avoir des regrets, mais avec, vous ne construisez rien.
Quelle est votre plus grande fierté dans votre vie entrepreneuriale?
D'avoir crée des produits qui ont apporté un véritable service au consommateur. Je suis très fier que ce soit en France que les télécoms soient les moins chers du monde. Peu modestement, j'ai l'impression d'y avoir un peu, voire beaucoup participé. L'arrivée de Free a permis de rendre plus de 12 milliards d'euros de pouvoir d'achat aux Français. C'est bien ! Nous sommes fiers !
Quels conseils donneriez-vous aux dirigeants de PME françaises?
D'avoir plein d'optimisme, car on ne peut avancer sans. Il faut se dire aussi que la vie de chef d'entreprise, ce n'est qu'une succession de mauvaises nouvelles. Mais il faut être capable de les oublier et de se dire que ça va aller mieux, voire encore mieux !
Vous avez eu une carrière loin d'être linéaire. Lorsque vous étiez dans des périodes de creux, avez-vous toujours su que vous alliez rebondir?
J'ai toujours eu le sentiment que lorsque vous êtes dans une période de creux, c'est le meilleur moment parce qu'il ne peut plus rien vous arriver. J'ai le souvenir de m'être dit : tout va tellement mal que ça ne peut aller que mieux !
Même si vous dites ne pas voter, quel homme politique trouve le plus grâce à vos yeux?
Il y a plein de dirigeants de start-up qui sont de vrais génies.
Ces hommes politiques, je les vois souvent dans d'autres contextes. Ceux que j'aime, ce sont tous ceux qui sont libéraux et défendent l'entreprise. À l'inverse, j'espère que tous ceux qui ne souhaitent pas aider à la création d'entreprises ne seront jamais à la tête de ce pays. Car favoriser les entrepreneurs, c'est aider l'emploi et l'économie de notre pays. Or, ceux qui se sont d'ores et déjà déclarés candidats ne sont pas les meilleurs pour défendre l'entreprise. Je ne suis pas sûr du programme pro-entrepreneur de l'extrême gauche. À l'extrême droite, les candidats ne sont pas familiers avec l'économie. Et à gauche comme à droite, on ne connaît pas encore les candidats.