[Tribune] Save en redressement judiciaire : les 3 pistes de son patron pour repartir
A-t-on vraiment le droit à l'échec en France ? Le jeune patron de Save, Damien Morin, a réalisé son autocritique suite au redressement judiciaire de sa société prononcé début juillet 2016. Une analyse riche en enseignements pour les entrepreneurs.
Je m'abonneJe n'ai pas beaucoup dormi la veille. Les jours précédents non plus. En fait, ça fait 3 mois que je ne dors pas beaucoup. C'est qu'il faut énormément travailler pour solidement et rapidement restructurer une entreprise.
Pourquoi 3 mois alors que nous rentrons tout juste en redressement judiciaire ? Parce que cela fait 3 mois que nous restructurons l'entreprise et il n'était pas question de nous pointer devant le tribunal sans avoir solidement travaillé sur notre redressement.
Les 18 derniers mois, nous avons été en très forte croissance et nous avons beaucoup investi. Nous sommes notamment passés de 30 à près de 400 salariés, de 100k€ de chiffre d'affaires par mois à 100k€ de chiffre d'affaires par jour. Nous avons déployé plus de 100 corners et ouvert 5 pays.
Pavaner sur cette croissance fulgurante, c'était fantastique. Tout le monde a pris son shot de dopamine et s'est senti pousser des ailes. Moi le premier. Sauf que nous n'avons pas maitrisé cette croissance. Pire encore, lorsque notre activité s'est tassée en début d'année 2016 et que nous n'avions pas encore entamé nos relais de croissance géographiques, stratégiques et opérationnels, c'est là qu'on a réalisé l'ampleur des dégâts.
On avait un mauvais contrôle de nos achats, la finance était approximative, notre gestion de stock était brinquebalante, les vols en corners ont pris une ampleur considérable, l'Allemagne et l'Espagne ont été un échec, nos relais croissance n'ont pas vu le jour, et j'en passe... Vous voyez le tableau.
On cramait trop d'argent, et on ne savait pas comment. L'horreur. Et dans un cas comme celui là, il n'y a qu'une seule chose à faire: Tendre vers l'excellence et retourner la situation, rapidement, ou mourir.
Chez Save, nous avons notamment compris que nous devions rétablir trois piliers critiques sur lesquels nous avions échoué: les chiffres, les process, et l'organisation.
Les chiffres, c'est la vie
On ne fait pas du business avec du vaudou ou des approximations, mais avec des chiffres fiables, réguliers et pertinents. Et plus jamais on ne m'y reprendra! Notre équipe travaille jour et nuit, depuis des mois, pour développer les outils internes qui nous permettent désormais de gérer l'ensemble de nos flux, de nos entrées en stocks à nos sorties en corner. Plus rien ne nous échappe, à la minute. Notre reporting, il n'est pas hebdomadaire ou mensuel, il est quotidien!
Sans process, vos équipes se perdent
Sans process, les gens s'éparpillent, ne prennent pas leurs responsabilités et c'est toute votre entreprise qui est en péril. Les process doivent être impeccables et infaillibles, c'est le fil directeur de l'activité. ça n'empêche ni l'innovation, ni l'initiative, mais ça permet à l'organisation d'être efficace. Chez Save, désormais, tout le monde connait parfaitement son champs de responsabilité et d'action.
Pas d'exception, que des gens exceptionnels
Avoir de l'ambition et choisir le chemin de la forte croissance, ça n'est possible qu'avec des gens exceptionnels qui ont conscience des enjeux et de leurs responsabilités individuelles et collectives. Ils sont talentueux, se respectent, travaillent ensemble, se motivent, sont efficaces. Pas de place aux égos mal placés et à la médiocrité. Le travail d'équipe doit être exceptionnel et nous avons du faire des choix difficiles chez Save pour rebâtir la meilleure équipe.
Jusque là, nous avions négligé trop de détails, accepté trop d'approximations et sous estimé les impacts alors que notre croissance était sans précédent. Le résultat a été terrible.
People, first.
La suite ?
Le redressement judiciaire, ce n'est pas une procédure automatique, il faut l'obtenir auprès du président du tribunal.
C'est une aide qui est octroyée aux sociétés qui ont des difficultés à faire face à leurs exigences. Le tribunal attribue sa protection sur:
- Les engagements du passé (contrats, baux commerciaux)
- Le passif (les dettes de l'entreprise)
- Les engagements du futur et les engagements de dépenses.
Peu de choses en réalité changent dans le quotidien de la société. On lui donne une respiration pendant une période, le temps qu'elle reconstruise sa rentabilité et son cash pour pouvoir de nouveau faire face à ses exigences.
Nos investisseurs nous accompagnent dans cette étape. Grâce à leur soutien, nous avons fait un tour de refinancement pour nous permettre de passer cette étape en toute sécurité.
Le futur ?
Des business comme le nôtre, dont la taille de marché se compte en milliards d'appareils, qui touchent 100% des gens, sur des paniers moyens élevés, tous les entrepreneurs en rêvent.
Nous avons une marque forte, une équipe exceptionnelle et soudée, des outils internes ultra-performants. Notre périmètre d'activité devrait nous amener sur un runway annuel de près de 40M€ d'ici la fin de l'année, rentable.
Aujourd'hui, tout le monde est redescendu sur terre, pour construire une machine de guerre!
PS: Je confirme, quand vous êtes dans la merde, vous êtes bien seuls.
Article initialement publié sur le blog de Damien Morin sur Medium
L'auteur
Diplômé de l'EBS Paris (école européenne de management et de gestion), Damien Morin est le p-dg et fondateur de Save, entreprise spécialisée dans la réparation de smartphones et tablettes à travers un réseau de points de vente. Née en 2013 - alors que son jeune patron n'a pas 25 ans - l'entreprise connaît un développement si fulgurant (passage de 100 k€ de chiffre d'affaires par mois à 100k€ de chiffre d'affaires par jour ces derniers 18 mois) qu'elle a du mal à se structurer en parallèle et que, victime de son hypercroissance, elle entre en redressement judiciaire le 5 juillet 2016. Une mauvaise passe sur laquelle l'entrepreneur a eu le courage de prendre la parole pour en tirer les leçons et tenter de rebondir.
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