[Étude de cas] La PME Fournival Altesse renaît de ses cendres
Voué à disparaître, le fabricant de brosses picard Fournival Altesse s'offre une seconde jeunesse. Rachetée en 2006 par Jacques Gaillard, la PMI d'une trentaine de salariés prend le chemin de la relance grâce à la protection de son savoir-faire séculaire et à la diversification de son activité.
Je m'abonneLe 22 novembre 2005, les Établissements Fournival étaient placés en liquidation judiciaire, un mois à peine après avoir ouvert une procédure en redressement. Exécution sommaire de 130 ans de savoir-faire transmis depuis cinq générations de dirigeants. Dans la petite commune picarde de Mouy, personne ne croit guère en l'avenir de la PMI, spécialisée dans la brosserie fine de toilette et de coiffure.
Personne, sauf Jacques Gaillard, lui-même fils de brossier et ex-dirigeant de la maison Brosse et Dupont, rachetée dans les années 1990 par le groupe LVMH. Lui nourrit alors une conviction : la brosserie française indépendante n'est pas morte. Il reprend l'affaire à la barre du tribunal en décembre 2005 en misant sur la diversification de l'activité et le haut de gamme.
Dix ans plus tard, l'histoire semble lui donner raison. Aujourd'hui, la société, rebaptisée Fournival Altesse, renaît petit à petit de ses cendres. Avec un chiffre d'affaires de 3 M€ en 2013-2014 (contre 2,2 M€ avant la reprise), l'entreprise produit chaque année 600 000 brosses distribuées à travers une quarantaine de pays. Une exception dans ce fief historique de la brosserie française qui ne compte plus à ce jour qu'une poignée de fabricants, contre une quarantaine un siècle plus tôt.
À l'origine, la brosse à dents
La société d'origine voit le jour en 1875 sur les rives du Thérain. Son fondateur, Cyrille Constantien Roussel, ancien contremaître de Brosse et Dupont, se met à son compte pour lancer les Établissements Roussel, atelier de brosses à dents entièrement fabriquées à la main à partir d'os et d'ivoire.
Au début
du XXe siècle,
la filière de l'Oise emploie
plus de 15 000 personnes
"Tous les types de brosseries se côtoyaient, des fabricants de brosses à cheveux aux brosses de ménage, en passant par les brosses à ongles. Il y avait assez de grain à moudre pour tout le monde", rappelle Stéphane Jambois, l'actuel directeur général de Fournival Altesse. À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, la filière du département de l'Oise emploie directement et indirectement plus de 15 000 personnes.
C'est à cette époque que le fondateur cède sa place à sa fille et à son gendre, Gaston Fournival. L'entreprise n'emploie alors que quelques façonniers et une dizaine d'ouvrières à domicile chargées de l'empoilage. La production s'écoule à travers un réseau de grossistes parisiens.
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Un approvisionnement en matières premières rigoureux...
Ébène de macassar, bois d'olivier, palissandre, bubinga et hêtre. Fournival Altesse travaille pour l'heure principalement à partir de ces cinq essences de bois précieux ou agricole. "Nous utilisons également du plexiglas dans la fabrication de nos brosses et, pour les poils, des soies naturelles de sanglier ou encore du nylon" , développe Stéphane Jambois, le directeur général.
... pour une fabrication traditionnelle dans les règles de l'art
Du ponçage à l'empoilage (l'insertion des poils sur la tête de la brosse) en passant par le polissage, le laquage, le perçage ou encore le collage, le processus de fabrication des brosses en bois de Fournival Altesse se décompose en de multiples opérations : entre 10 à 16 selon les modèles. La PMI est ainsi l'un des derniers brossiers à assurer une partie de sa production presque 100 % fait main.
Il faut attendre l'après-guerre, sous la direction d'André Fournival (arrière-petit-fils du fondateur), pour que l'activité décolle réellement, notamment grâce à l'ouverture de nouveaux marchés à l'export et à une modernisation de l'outil de production. La PMI, alors essentiellement sous-traitante de grandes marques parisiennes, lance la sienne, Altesse, en 1963. Les Établissements Fournival comptent à cette époque jusqu'à 110 salariés.
Comme tant d'autres, ils franchissent difficilement le cap du choc pétrolier de 1973. Augmentation du prix des matières premières, politique des prix bloqués, prémices de la concurrence asiatique... André Fournival opère un repositionnement stratégique vers le haut de gamme et le luxe. Un choix qui l'amène à signer un contrat d'envergure en Libye, se concrétisant par deux commandes représentant à elles seules un an de chiffre d'affaires.
"Un train entier a été nécessaire pour charger nos 17 containers", raconte son fils, François Fournival, qui reprend les rênes de la structure en 1983. Face à l'arrivée massive de produits asiatiques, il abandonne progressivement la fabrication de brosses à dents, puis diversifie sa production vers le label privé pour la grande distribution. Une stratégie payante jusqu'à la fin des années quatre-vingt-dix.
Lorsque l'un de ses plus gros donneurs d'ordre met un terme à leur collaboration en 1998, "l'entreprise perd 37 % de son chiffre d'affaires en quatre mois", se souvient François Fournival. Commence alors un long chemin de croix jusqu'à la liquidation, sept ans plus tard.
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Cap sur la diversification
De cette période de disette, les actuels dirigeants gardent un enseignement : la relance de l'activité ne peut se faire que par l'indépendance commerciale et la valorisation du savoir-faire séculaire de la PMI. Une réorganisation qui a débuté par la sécurisation de sa production.
"Dès 2007, nous avons racheté l'un de nos sous-traitants, la petite menuiserie Lepot, située à quelques kilomètres, qui fabriquaient nos manches. Être autonome sur ce plan-là était vital pour notre nouveau business model. Cela nous a permis de faire évoluer nos gammes et produits grâce à la R & D", explique Stéphane Jambois.
En intégrant tous ses process de fabrication jusque-là externalisés, les dirigeants se dotent d'une capacité d'innovation et de réactivité qui leur servent aussi bien dans le développement de leurs propres marques que de leurs commandes sous label privé.
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La protection du savoir-faire commence par celle de la formation...
"Il n'existe plus en France de formation de brossier. Aussi, pour préserver nos savoir-faire et assurer au mieux leur transmission, les anciens participent-ils à la formation des novices. Nous avons également introduit une certaine polyvalence dans les postes, même si chacun conserve une spécialisation. Nous soutenons par ailleurs l'employabilité de nos équipes en les incitant à suivre des formations professionnelles en bureautique, management ou encore en communication." Un investissement qui est vital pour la pérennité de l'entreprise, selon le dirigeant.
... et se poursuit à travers la mobilisation collective
Fournival Altesse est l'un des 39 membres de la Fédération française de la brosserie, qui a célébré l'année dernière ses 150 ans. Rassemblant et représentant les cinq segments d'activité de la brosserie (brosses de ménage, de toilette, industrielles, brosses à peindre et pinceaux fins), l'organisation a pour vocation de promouvoir et défendre le patrimoine de cette filière séculaire.
Tests sur de nouvelles essences de bois, adaptation sur-mesure aux cahiers des charges clients, production en petite comme en grande série... La PMI a notamment emporté en 2011-2012 l'appel d'offres des Galeries Lafayette pour la confection de brosses sous label privé. "Ils ont été sensibles au fait que nous étions les seuls à faire du made in France. Nous leur avons proposé de réorienter leur cahier des charges vers des modèles plus haut de gamme en bois d'olivier. Ça a marché !" se réjouit le directeur général. En 2013, elle a par ailleurs séduit le groupe L'Oréal pour sa marque de soins capillaires haut de gamme Kérastase.
Un avenir prometteur
Résultat, Fournival Altesse dispose désormais d'un catalogue de 200 à 300 références, chaque modèle étant décliné en plusieurs gammes selon les finitions. Une diversification de l'offre renforcée par le rachat d'un concurrent, la Société générale de brosserie, et de sa marque haut de gamme, Isinis, en 2008. Associée à Altesse, cette dernière représente 45 % du chiffre d'affaires de la PMI picarde, qui emploie 37 salariés.
En France,
la PMI est présente dans 1500 pharmacies, 450 parfumeries, 50 grands magasins...
Autre bénéfice de cette nouvelle stratégie : la diversification de la clientèle. Aujourd'hui, Fournival Altesse écoule sa production, en France, à travers 1500 pharmacies, 450 parfumeries, 50 grands magasins et 80 grossistes. Du Moyen-Orient aux États-Unis, en passant par le Japon et l'Union européenne, les ventes à l'international génèrent par ailleurs 33 % du chiffre d'affaires.
"L'export est une piste de développement majeure pour les années à venir", reconnaît Stéphane Jambois. Après avoir remis la structure en ordre de bataille, les dirigeants s'attellent désormais à la redéfinition de leur stratégie marketing. Refonte du site internet, édition de divers supports d'information, publicités, demandes de labellisation... L'année 2015 est clairement placée sous le signe de la communication.
"Nous passons du savoir-faire au faire savoir", résume le dirigeant. Parmi les grands temps forts à venir, la participation au salon pharmacologique PharmagoraPlus, les 21 et 22 mars 2015.
"Si le label privé marche bien, nous tenons aussi à valoriser nos marques auprès du grand public. C'est en partie la raison pour laquelle nous avons participé au salon Made in France à Paris, en 2014, et que nous réfléchissons à lancer notre site marchand d'ici à fin 2016", annonce le directeur général. Une manière pour le brossier de rester dans l'"hair" du temps.
Fournival Altesse
Activité : brosserie fine et de coiffure
Ville : Mouy (Oise)
Forme juridique : SAS
Dirigeants : Jacques Gaillard, 70 ans, et Stéphane Jambois, 51 ans
Année de création : 1875
Année de reprise : 2005
Effectif : 37 salariés
CA 2013-2014 : 3 M€